Les hommes déguerpissent les djinns
Le ‘’Cœur de ville de Kaolack’’ commence à vivre et à faire vivre. Ouvert en 2014, ce projet, qui a accusé du retard, accueille en ce moment des milliers de jeunes. Après les idées reçues suite à deux incendies, le ‘’cœur’’ s’est mis à battre ; et petit à petit, les hommes prennent la place des djinns dont on disait qu’ils étaient les occupants malveillants du site.
A l’entrée de la ville de Kaolack, un grand espace construit sous forme de cases alignées. Un tel environnement rustique au milieu d’une cité est immanquable pour le visiteur. A l’intérieur, de jeunes commerçants, tailleurs, gérants de restaurant y sont installés. Presque tous les types de jeunes entrepreneurs que compte la région rallient ce lieu, nouvellement découvert par les Saloum-Saloum : le ‘’Cœur de ville de Kaolack’’. Nombreux sont les commerçants qui délaissent maintenant le marché central pour ce nouveau cadre. Les locaux offrent une opportunité économique appréciable. Les commerçants, qui l’ont découvert, y trouvent leur compte. Non encore inaugurée officiellement, la bâtisse regorge d’un potentiel économique énorme. Récemment, elle a abrité, pour la première fois, la 10e édition du ‘’Louma agricole’’ de Kaolack. Des agriculteurs venus des villages environnants comme Taïba Niassène et Diossom ont pu écouler leurs produits, durant deux jours.
Ce site est le résultat d’un projet de l’ancien président Abdoulaye Wade, concrétisé par l’ex-maire Salif Bâ. D’ailleurs, la grande esplanade porte le nom de ce dernier. Elle accueille des soirées et des concerts. Celle-ci est entourée par un bâtiment dédié à l’Administration. Un autre abrite la télévision Saloum (TVS). Sur l’allée qui mène vers cette esplanade, tout à fait à l’entrée, des cantines appelées ‘’village des commerçants’’. Peint aux couleurs rouge-ocre, beige et jaune, elles avaient comme objectif d’accueillir les sinistrés du marché central, victimes d’un incendie. On décompte au total 478 cantines et magasins sur une superficie de 20 ha.
Les jeunes sont sans doute les premiers à avoir compris les enjeux, car ils ont très tôt rejoint les lieux. Impossible de parcourir les artères sans en voir un, devant sa machine à coudre ou exposant sa marchandise, un autre derrière le comptoir... C’est le cas de ce jeune tailleur qui se fait appeler Papi. Assis devant sa cantine, il attend impatiemment le retour de l’électricité. Une rupture momentanée dans la fourniture du courant qui n’émousse en rien son enthousiasme. ‘’Ça fait un mois que je suis là. Je viens de Dakar, j’ai mes parents à Kaolack. Je fais le maximum pour m’imposer. Vraiment, nous y trouvons notre compte. L’environnement est idéal’’, apprécie-t-il. Papi préfère ce site au marché central. ‘’J’ai porté mon choix sur ce lieu, car le marché central est enclavé, il y a l’insalubrité ; ici, on nettoie à tout moment. Les agents veillent à ce que la propreté soit de mise’’, a-t-il laissé entendre. A son avis, ce projet représente un avenir pour les jeunes qui auront l’idée d’y investir et de mener leurs activités.
En attendant la grande affluence, élégant dans son ensemble wax bien cousu, il essaie d’attirer la clientèle à sa manière. ‘‘Je trouve tout le temps des créations pour varier un peu plus mes collections et obtenir le maximum de clients’’, révèle ce jeune tailleur. Papi plaide pour plus d’investissement de ce genre pour la revitalisation économique de la région de Kaolack. Pour lui, l’initiative va permettre de créer des emplois, surtout chez les jeunes. D’ailleurs, lui qui a dès à présent vu l’intérêt de ce projet, a installé deux machines à coudre. Il prie pour que les clients viennent en masse afin d’adopter ce projet.
Cet état d’esprit est partagé par le célèbre tailleur Baye Bakh. ‘’J’ai quitté le marché central pour adhérer au projet ; c’est génial ce que nous avons trouvé là. Nos clients nous retrouvent ici, nous en remercions les chefs de projet’’, a-t-il lancé, occupé qu’il est devant sa table, à revoir les mesures prises. Il garde espoir que ce lieu va générer des milliers d’emplois. Car, de son point de vue, si l’activité ne tourne pas à plein régime, c’est que beaucoup ignorent encore son apport. A côté de lui, Anta Thiam, jeune couturière, aménage en même temps un complexe à l’intérieur. Dans sa cantine, elle ne cesse de pédaler. Cette dame au teint clair dévoile sa satisfaction : ‘’Rien à signaler. Nous menons nos activités tous les jours. Kaolack manque de projets similaires, c’est à saluer et nous demandons à nos frères et sœurs de suivre nos pas. Comme ça, l’économie de la région se portera mieux’’, invite-t-elle.
‘‘L’hygiène et la sécurité y règnent’’
Non loin de là, des jeunes sont assis à l’ombre d’un arbre. Ce petit groupe est constitué de tailleurs et de vendeurs de mercerie. L’un d’eux insiste surtout sur le côté sécuritaire de cet endroit. ‘’Nous ne craignons pas l’insécurité. Les vigiles sont là, nous travaillons sans rien craindre. C’est une belle initiative de l’ancien président Abdoulaye Wade et de Serigne Mboup qui a sauvé notre ‘’cœur’’, celui de Kaolack’’, témoigne-t-il. Petit de taille, ce jeune est aussi satisfait du maintien de l’environnement. Un coup d’œil panoramique permet de confirmer la thèse de cet interlocuteur. En fait, les arbres et les fleurs bien taillées viennent rehausser le décor. A l’intérieur du ‘’Cœur de ville’’, l’environnement est propice, rien à voir avec ces tas d’immondices qui polluent la plupart des marchés du pays. Les normes d’hygiène sont respectées, car chaque heure, les agents font des rondes pour s’assurer qu’il n’y a pas d’objets durs à terre ou de l’eau versée sur les allées. Si c’est le cas, le ou la responsable est mis (e) au courant des normes. L’installation de poubelles est régulière et fait partie des gestes à ne pas manquer. Le gestionnaire du service nettoiement, Abou Guèye, s’en félicite : ‘’Nous avons une équipe du matin et des permanents. Nous essayons de satisfaire les gens. Par rapport à l’hygiène, nous l’assurons à 100 %. Même les toilettes sont surveillées.’’
‘’ L’occupation anarchique n’est pas tolérée’’
Cette jeune coiffeuse du nom de Fatou Kiné Fall confirme les propos de M. Guèye. ‘’Ils nous interdisent de verser de l’eau dans les allées. Nous aussi nous veillons à cela et nous nous plions à leur décision’’, dit-elle. Dans sa cantine, elle essaie de fidéliser ses clientes avec ses propositions de modèles de coiffure. Un regard circulaire sur son nouveau local et elle se met à rendre hommage aux initiateurs. ‘’Ils ne savent pas à quel point cela nous agrée, nous les jeunes. C’est ce qui nous manque dans ce pays. Des lieux pareils qui puissent nous permettre d’entreprendre et de réaliser nos rêves. Au ‘’Cœur de ville’’, la location n’est pas chère’’, note-t-elle, sourire aux lèvres. Ses élèves coiffeuses n’en disent pas moins. Elles confortent la thèse de leur patronne qui est presque de la même génération qu’elles.
L’adjoint de la directrice générale, Cheikh Faye, pense que l’une des raisons qui pousse les jeunes à venir au ‘’Cœur de Kaolack’’, c’est surtout la sécurité et l’environnement sain. Deux aspects qui, selon lui, sont nécessaires dans un espace comme celui-ci.
Serigne Mboup, l’homme providentiel
Toutefois, il se désole du retard pris dans l’envol des activités du ‘’Cœur de ville’’. Ce site, auparavant, abritait la gare. Il a connu un arrêt des travaux de trois à quatre ans, de 2008 à 2011. Soixante pour cent des travaux étaient réalisés. D’après nos sources, le contrat entre l’Etat et la société Sattar a été rompu. Ce qui explique ce blocage. En 2012, le président de la Chambre de commerce de Kaolack, Serigne Mboup, a pris en main le projet. Ce dernier est peint comme l’homme providentiel. ‘’J’ai vu ce bébé (projet) naitre devant moi. Donc, je peux dire que Serigne a sauvé ce bébé pour relancer le ‘’cœur’’. Je n’abuse pas des mots. Nous ne nous voyons presque pas’’, précise M. Faye. Il révèle qu’à un certain moment, le projet a connu un retour dans la phase réalisation et exploitation. La phase exploitation a débuté en juillet 2014. Il y a eu cependant trois phases. La deuxième s’est réalisée grâce à la FIKA (Foire internationale de Kaolack) qui se tient annuellement sur ce site afin, d’une part, d’attirer les investisseurs et, d’autre part, participer au développement économique de la région.
Actuellement, déclare cet adjoint de la directrice générale (Mme Mboup) le ‘’cœur’’ fait vivre plus de 200 travailleurs dans l’Administration, répartis en journaliers et personnels permanents. ‘’C’est un complexe culturel économique qui exploite beaucoup de domaines. C’est un centre d’affaires. Il y a un espace jeux qui fonctionne pour les enfants, une salle de cinéma plus sollicitée par des rencontres, un parc animalier et une case des tout-petits nommée ‘’Keur Badjène’’, renseigne M. Faye. Pauline Ndong, en robe bleu, déambule, accompagnée de ses enfants. Elle fait le tour de cet espace récréatif. Calmement, elle demande à ses trois enfants ce qu’ils préfèrent.
Souriante, cette dame estime ce lieu à sa juste valeur. ‘’Pendant les vacances, j’emmène les enfants pour qu’ils jouent. Je trouve l’endroit idéal et c’est mieux que de les laisser aller à la plage. C’est un moyen de divertissement’’, explique-t-elle. Elle voit aussi que la facturation est accessible, car seules les grandes personnes paient l’entrée, et pour les jeux, ça dépend des choix. Les prix varient entre 300 et 500 F CFA. Son fils Thomas, pantalon bleu et chemise carrelée de même couleur, soutient que c’est la troisième fois qu’il vient assister aux jeux d’enfants. Fidji, Kaïla et Linda marchent pour aller vers le parc retourner jouer. Interpellée, cette gamine ne s’empêche pas de sautiller, exaltée par l’ambiance qui prévaut. La bonne musique la rend gaie, ainsi que ses deux amies. Toutes les trois viennent de Ziguinchor. ‘’Je m’amuse bien, c’est la deuxième fois que je viens ici et tout me plaît’’, soutient-elle en sautillant. ‘‘C’est super, nous ne payons pas le ticket à l’entrée’’, exulte Linda. Contentes, elles prient pour que les vacances durent un peu plus longtemps.
De l’autre côté, des enfants sautent sur un trampoline. Boubacar Diallo affiche un grand sourire. Il ne cache pas sa joie : ‘’Nous sommes trois et nous avons payé chacun 500 F CFA, c’est agréable. Nous avons découvert les lieux grâce à notre grand-mère.’’ Le gérant Boubacar Fall, un jeune homme, reconnait que les affaires marchent. En plus, avec ce métier, il a réussi à combler un déficit personnel. Lui qui avoue s’énerver pour un rien, arrive à mieux se maitriser avec les enfants.
Avec une telle adhésion progressive, il est évident que les vendeurs de nourritures ne dépriment pas. Les gérants de resto se frottent les mains. Saliou Mbacké, un quinquagénaire, estime que les choses bougent par rapport au début. ‘’Les gens découvrent de plus en plus l’endroit, les jeunes qui n’avaient pas où aller viennent renforcer le fil des clients. C’est une infrastructure venue à son heure, nécessaire pour la bonne marche du pays et pour l’intérêt de chacun’’, argumente-t-il.
‘’Le projet commence à avoir un élan favorable’’
Cheikh Faye reste convaincu que cet espace sera, d’ici deux ans, beaucoup plus rentable. ‘’Les Kaolackois ne peuvent pas avoir mieux que ce site. C’est un projet purement sénégalais. Il n’est pas déficitaire. Il est en plein développement, car ce sont des centaines de millions ou milliards qui ont été investis. Il commence à avoir un élan favorable. C’est un sentiment de satisfaction, aujourd’hui, que nous avons’’, confie-t-il. Selon lui, avec les deux incendies de 2006 et de 2010 qu’il a connus, les gens avaient beaucoup de préjugés défavorables. ‘‘Certains disaient qu’il était exposé aux djinns. D’autres se contentaient de dire que c’est un lieu pour les ‘’Toubabs’’ (Blancs) alors que ce n’est pas le cas’’, se désole-t-il.
‘’Ce sont des idées que les gens se sont faites, mais cela ne tient pas. C’est un marché moderne que nous avons innové. C’est un joyau pour les Kaolackois. L’occupation anarchique n’est pas tolérée’’, précise-t-il. M. Faye explique que le premier incendie vécu lors du coffrage de la salle polyvalente est dû au contact entre un projecteur et un contre-plaqué. Lors du décoffrage, un ouvrier a pris le projecteur et l’a déposé sur le contre-plaqué. Un vigile était là. Il a vu l’un des projecteurs prendre feu. La chaleur que dégageait le projecteur a provoqué le feu. Heureusement, le vigile a vite donné l’alerte. Le second sinistre a eu lieu en 2010. Il avait été causé, selon ses explications, par un feu allumé par un voisin qui a ravagé toutes les herbes. C’est ainsi qu’elles ont été enlevées.
Une fois ces idées reçus battues en brèche, il invite les Kaolackois à consommer local, à investir dans leur région. ‘’Le ‘’cœur’’ est un socle économique, c’est pour cela que nous voulons qu’il soit une bonne infrastructure. Nous avons comme objectif qu’il prenne un envol extraordinaire, d’ici cinq ans, et nous travaillons sur cette lancée’’, dit-il avec optimisme. Dans cette perspective, il y a un motel qui devra loger les exposants de la foire qui décideront de rester tout au long de leur séjour.
AIDA DIENE