Publié le 27 Jan 2015 - 12:53
ABDOU KHADRE NDIAYE, SG ASKAN, ANCIEN MILITANT DE L’AFP ‘’A l’AFP

‘’A l’AFP la démocratie est une camisole que Niasse porte quand ça l’arrange’’

 

Membre fondateur de l’Alliance des forces du progrès (AFP), Abdou Khadre Ndiaye en est exclu en 2007. Sa faute : avoir agité le débat sur l’évaluation des résultats chaotiques du parti qui, de 19% en 2000, s’est retrouvé avec moins de 6% des suffrages des Sénégalais. Aujourd’hui secrétaire général de Askan, parti qu’il a créé et qu’il dirige depuis lors, il revient dans cet entretien sur la crise qui secoue son ancien parti.

 

Quelle est l’appréciation que vous faites de la crise qui mine l’AFP ? 

Il y a un adage qui dit que quand c’est quelqu’un qui se dispute tout le temps avec la même personne, il est difficile de pouvoir les arbitrer. Mais si c’est la même personne qui se dispute avec tout le monde, c’est facile de déceler qui a tort. Aujourd’hui, ce sont les mêmes pratiques et les mêmes méthodes qui perdurent au sein de ce parti.

Quelles sont ces méthodes dont vous parlez ?

En 2007, j’avais été victime d’une cabale pour avoir soutenu un point de vue libre et  démocratique. En  somme, je disais que nous devions faire notre mue parce qu’il n’était pas objectif de passer en sept ans, c'est-à-dire de 2000 à 2007, d’un score de 19 à 6% des suffrages des Sénégalais. Entre deux élections, le même candidat, en l’occurrence Moustapha Niasse, avait perdu plus de 12% des suffrages des électeurs. Il était devenu nécessaire pour l’AFP de se remettre en question et j’avais appelé les responsables du parti à prendre leurs responsabilités. Maintenant cela a été interprété différemment et cela a été un crime de lèse-majesté. En son temps, on m’avait accusé de tous les péchés d’Israël. On m’avait même accusé d’être en complicité avec Abdoulaye Wade avec qui on s’était allié pour rendre possible la première alternance.

Il n’est pas aisé de parler en démocrate et agir autrement. Dans ce parti, on tente souvent de diaboliser tous ceux qui ont un point de vue contraire à celui du secrétaire général national. C'est-à-dire, quand on est dans ce parti, on est dans un système de pensée unique où si on pense le contraire de ce que pense le secrétaire général, on devient infréquentable. Et c’est cela qui est dommage. Mais si aujourd’hui la crise a pris une nouvelle tournure, c’est parce que d’abord, il y a non pas une guerre de succession, mais un héritage naturel que certains responsables du parti doivent pouvoir réclamer. En réalité, tous ceux qui se démarquent de la ligne de Moustapha Niasse veulent un autre avenir pour l’AFP et veulent porter un projet de société pour le parti. Et les dissidents ne sont pas n’importe qui, c’est le poumon du parti qui s’est rebellé. A son âge, ce n’est plus à Moustapha Niasse de porter l’avenir du parti malgré son cursus.

Donc vous pensez que le principal problème de l’AFP, c’est Moustapha Niasse lui même ?

Moustapha Niasse est le père fondateur de l’AFP. Mais malheureusement, s’il ne fait pas attention, il ne pourra pas être un digne héritier de Senghor. Qui lui, a réussi que le Parti socialiste (PS) lui survive. L’enjeu, c’est que son parti lui survive au vrai sens du terme. C’est de son devoir de pérenniser son œuvre. L’AFP en tant qu’institution, doit pouvoir survivre à Moustapha Niasse. Il lui faut une dose de générosité et être démocrate dans l’esprit et la lettre. Un parti peut avoir un père fondateur ou des membres fondateurs mais il ne doit être la propriété d’aucune personne, fût-elle la personne qui finance partiellement ou totalement le parti.

On n’est pas dans un système de ploutocratie où celui qui paye commande. Je pense qu’il faut, au-delà même de l’AFP, repenser le système politique sénégalais, et rationaliser même le système de gouvernance des partis politiques. Aujourd’hui, on s’attaque à la gouvernance économique, mais nous avons un grand chantier sur la gouvernance démocratique. Quelle que soit l’issue de cette crise, je pense que si des médiateurs ne parviennent pas à rassembler toutes les parties autour du débat contradictoire et dans la sérénité pour que dans les plus brefs délais, l’AFP puisse avoir un congrès extraordinaire ou ordinaire pour trancher définitivement cette question, ce sera beaucoup plus malheureux pour celui qui en est le responsable moral, authentique et officiel, en l’occurrence, Moustapha Niasse. Ce dernier doit négocier en dehors de tout honneur et de tout prestige, les conditions de sortie honorifique et surtout démocratique.

Comment jugez-vous sa gestion de cette crise ?

Je pense que les gros mots, les paroles malheureuses qui ont été entendus sont très regrettables. Mais ce ne sont pas un élément nouveau. Cela a simplement pris une nouvelle proportion. C’est comme si on n’a plus besoin du suffrage des Sénégalais. C’est malheureux qu’on finisse sa carrière politique par de telles paroles au vu et au su de toute l’opinion nationale et internationale. Niasse a quand même rendu un grand service à ce pays et à sa démocratie. En tout cas, ce n’est pas l’image que j’aimerais voir à la fin de sa carrière politique.

Mais qui a tort dans cette affaire ?

Il faut rappeler que les premières vagues de crises au niveau de l’AFP ne datent pas de 2009. Elles remontent en 2001 à la suite des élections législatives. La frange jeune était complètement out dans cette liste. C’était un certain nombre de pratiques qui n’avaient aucune contradiction avec le congrès sans débat du PS, dénoncé en son temps. Ce processus a suscité la démission d’une première vague d’universitaires de l’AFP en 2001. Ensuite il y a une deuxième vague de démission avec les fameux présidents de groupes de contact. Il y a eu le départ des Dr Pape Camara, les Oumar Khassimou Dia et le doyen Cheikh Ngom de Ziguinchor. Après cette vague, il y a eu celle des Me Babou, Mor Dieng et moi-même.

Vous semblez dénoncer un manque de démocratie interne au sein de l’AFP ?

J’ai l’impression qu’à l’AFP, la démocratie est une casquette qu’on porte le jour quand cela nous arrange et qu’on enlève la nuit quand cela ne nous arrange pas. La démocratie est une camisole que le secrétaire général porte la nuit quand il fait froid et l’enlève le jour quand il fait chaud. Or la démocratie est un état d’esprit qu’il faut avoir en toute circonstance.

Est-ce que cette crise ne pose pas le problème de la succession de Moustapha Niasse ?

La succession de Moustapha Niasse a été ouverte depuis 2011 quand il a dit que sa dernière élection était celle de 2012. L’objectif d’un parti politique, c’est de conquérir le pouvoir, l’exercer et le conserver. Quand le secrétaire général qui n’est pas forcément le candidat naturel du parti dit lui-même : ‘je ne suis plus intéressé ni par la conquête, ni par l’exercice du pouvoir’, sauf partiellement puisqu’aujourd’hui il est le président de l’Assemblée nationale, il ne doit pas mettre en veilleuse toutes les ambitions politiques de la structure politique  qu’il dirige. C’est le meilleur moyen pour lui d’ouvrir sa succession en tout cas. 

PAR ASSANE MBAYE

 
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