Publié le 22 Sep 2014 - 17:13
ACCUEIL PRECAIRE, RETARDS, ABSENCE D’INTERLOCUTEUR…

Les pèlerins en zone de turbulence

 

Le pèlerinage 2014 restera à jamais gravé dans la mémoire de certains pèlerins. Ce qui devait être une partie de plaisir en direction des deux plus grandes villes de l’islam est en train de se transformer en cauchemar, avant même l’embarquement à Dakar. Conditions d’accueil exécrables, des rendez-vous toujours manqués, une attente interminable sans interlocuteur sont devenus le quotidien d’une bonne partie des candidats au hajj.

 

Vu de loin, rien d’anormal ! Quelques pas de plus, et le visiteur se rend compte que le hangar des pèlerins, érigé à des centaines de mètres de l’aéroport Léopold Sédar Senghor, est loin d’être un havre de plaisir. Au contraire, le silence apparent est bruissant de protestations. Les différents groupes de discussion qui se sont formés ne sont, en fait, rien d’autre que de petites tribunes de dénonciation.

Il faut avoir la chance d’arriver en même temps qu’une caméra de télévision pour voir la soif d’expression des pèlerins. L’équipe de rédaction est entourée en un laps de temps. ‘’Va parler, la télévision est venue’’, conseille un vieux à son camarade d’infortune. ‘’C’est bien, comme ça, ils vont montrer ce qui se passe’’, se réjouit un autre assis à côté de lui. Les conditions d’accueil, les retards, le non-respect des engagements ainsi que l’absence d’interlocuteurs sont, entre autres, les griefs formulés par les voyageurs à l’encontre des organisateurs.

La mine épuisée, le regard tantôt inquiet, tantôt interrogatif, les pèlerins ont l’impression de vivre dans un  tourbillon. Déboussolés, ils ont du mal à connaître la direction que prennent les évènements. ‘’ Je n’ai ni badge, ni passeport. Depuis jeudi, je viens ici chaque jour. Et chaque rendez-vous est faussé et on me demande de revenir le lendemain. C’est vraiment difficile’’, se désole un pèlerin du vol 5 venu de Kaffrine. La quarantaine révolue, cet autre pèlerin du vol 6, habitant Bargny, embouche la même trompette d’indignation. ‘’Je perds 2 000 f par jour et je ne sais pas quand cela va s’arrêter. Hier, on nous avait dit que les passeports n’étaient pas encore disponibles. Ils nous ont donné rendez-vous ce matin (hier matin). Jusqu’ici (il était 13h) on n’a rien vu, et on ne nous dit rien. Nous avons juste entendu parler de 17h, mais on ne sait pas’’, renchérit cet homme au teint clair.

«J’ai honte (…). A chaque fois, je pars et je reviens»

Mohamed Siradji Koréra, lui, préfère sortir des documents pour apporter les preuves de ce qu’il avance. Etant de la compagnie privée Dental Daaka, sa première convocation était fixée au 20 septembre à 18h. Une nouvelle lui a été notifiée, le 21 à 10h. S’étant conformé à ce qui  a été écrit, il était là à attendre, depuis le matin. Comme les autres, il entend parler de 15h, 16h et 17h, mais il n’y a rien d’officiel. En face de lui se trouve un groupe de pèlerins du même vol, composé majoritairement de femmes. Entre quatre grilles, ils sont parqués comme du bétail. Certaines croquent silencieusement un sandwich, d’autres se partagent des bananes, l’air absent. Il n’y a que des nattes légères qui les séparent du sol mouillé.

Avec la pluie de la veille qui a arrosé les lieux, les voyageurs évoluent dans des conditions précaires. Déjà que la tente est trop petite pour contenir ce beau monde. En plus, l’intérieur même de la bâche dont le sol est argileux est trop humecté, avec de petites flaques d’eau par endroits.  Et c’est là que certains pèlerins du vol 2, venus de l’intérieur du pays, ont passé la nuit. Témoignages :’’ On m’avait convoqué hier (samedi) à 1h du matin. Sur place, on m’a fait savoir que le vol 2 était décalé. Et personne n’a eu la courtoisie de m’appeler pour m’aviser de ce changement. Comme je suis de Linguère et sans attache à Dakar, j’ai dû passer la nuit sous cette tente. C’est vraiment irresponsable’’, peste de rage un pèlerin  qui a du mal à avaler sa colère.

Surtout qu’il ne sait pas encore à quelle heure est son vol (le numéro 2). ‘’On nous a encore convoqués ce matin (hier) à 8h 50, il est presque 11h et rien n’est encore sûr’’, renchérit-il sous les approbations d’autres voyageurs qui ne savent plus à quel saint se vouer. Tant les désagréments qu’ils sont en train de subir sont énormes et multiples. Tandis que d’autres ont du mal à entrer en possession de leurs passeports, d’autres ne parviennent pas à retrouver leurs badges. Et ne cessent de faire la navette entre le hangar des pèlerins et le siège de la commission au pèlerinage sis à Mermoz. Même les gendarmes semblent dépasser par ce ‘’saint’’ désordre.

La vieille dame Betty Ndiaye est à Dakar depuis vendredi. Elle a eu la chance d’avoir son fils à Dakar. C’est là où elle loge. Elle regrette l’absence de prise en charge de la part des voyagistes. «Ici, il n’y a même pas de toilettes. Le manger, n’en parlons pas. Depuis vendredi 10h, nous sommes là», fulmine-t-elle. Samba Amadou Barry soutient avoir entendu que c’est l’Etat qui a pris l’avion qui devait les convoyer pour transporter ses pèlerins. Ce qu’il considère comme une discrimination. Il s’y ajoute qu’il a désormais du mal à retourner chez les siens, à la maison. «J’ai honte de dire au revoir à la famille. A chaque fois, je pars et je reviens». Cette longue attente et ce sentiment d’injustice ont d’ailleurs amené certains pèlerins à franchir les grilles de délimitation.

Arrestation du deuxième khalife de Médina Gounass, Thierno Abdoul Aziz Ba

Deux versions s’affrontent à ce propos. Les pèlerins déclarent que ce sont les organisateurs qui ont ouvert les barrières pour leur permettre d’accéder à la salle d’attente, plus confortable. Mais, une bousculade s’en est suivie avec les gendarmes ; et on leur a demandé de regagner la bâche. Ce qu’ils ont refusé. Mouhamed Amar de la commission soutient que ce sont plutôt les pèlerins qui ont forcé le barrage. Dans tous les cas, cet épisode a abouti à l’arrestation du deuxième khalife de Médina Gounass, Thierno Abdoul Aziz Ba. Un fait vécu comme une humiliation par les disciples présents. Finalement, il a été libéré, contribuant à faire baisser la tension.

 Il n’est pas certain toutefois que ce soit le cas pour les autres aspects du hajj. Tout indique que la situation n’est pas prête de se décanter. Le vol n’est donc pas encore près de sortir de la zone de turbulence...terrestre !

La commission responsable de rien

Sur les impairs notés actuellement dans l’édition 2014 du pèlerinage à la Mecque, la commission n’a aucune responsabilité. C’est en tout cas ce qui ressort de la réaction de Mouhamed Amar de cette structure. A propos des retards, il a déclaré n’avoir rien à dire et que c’est plutôt à la compagnie Sénégal Airlines de s’expliquer. Il a alors donné des numéros pour appeler la société. Le contact téléphonique étant établi, la personne au bout du fil a indiqué ne pas être en mesure de s’exprimer. Elle ne peut pas non plus permettre qu’on parle à des responsables.

Sur les nombreux retards de livraison de badges et de passeports, M. Amar a assuré que la commission n’en connaît pas. ‘’Je ne peux parler pour le privé. Moi, je travaille pour l’Etat’’, a-t-il dit. Et pourtant, sous nos yeux, le préposé à la distribution des badges a demandé à des pèlerins des photos pour leur confectionner de nouveaux badges. Quant aux conséquences des nombreux rendez-vous manqués, il a soutenu qu’il n’appartient pas à la commission de les prendre en charge. ‘’Même moi je paye mon transport pour venir. La commission ne me donne rien’’, a-t-il conclu. 

BABACAR WILLANE

 

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