Publié le 27 Aug 2014 - 00:35
AMBIANCE

Quand la défense prend le procès en otage

 

A l’entame de la troisième semaine de procès du fils de l’ancien Président de la République, les avocats de la défense ont réussi l’exploit de monopoliser une grande partie du temps de parole en seulement deux interventions…!

 

La journée d’hier lundi, normalement dédiée aux répliques de la partie civile quant aux 17 exceptions et nullités soulevées par la défense de Karim Meïssa Wade, a encore été (on ne sait comment) prise en otage par les avocats de ce dernier. Ces derniers ont en effet réussi l’exploit de faire le hold-up de près de 75% du temps de parole total en seulement deux interventions, à savoir celles de Me Demba Ciré Bathily et Me Amadou Sall ! Si ce n’est pas du grand art, ça y ressemble !

Mais avant de se pencher sur les torrentielles plaidoiries des avocats du fils Wade, un flash-back sur l’ordre chronologique des événements de ce lundi n’est pas de trop. Le procès commençant de commun accord entre les parties aux environs de dix heures, à notre arrivée au tribunal vers 9H45, la Cour ne siège pas encore. Néanmoins, des inculpés sont bien là : Karim Meïssa Wade, le prévenu principal, et Moussa Ngom, seul de ses supposés sous-fifres assez malheureux pour partager avec lui le box des accusés.

La salle, à moitié vide depuis la semaine dernière, se remplit peu à peu de ceux de leurs «supporters» (pour citer Henry Grégoire Diop) ayant l’endurance de braver la perspective d’une ennuyeuse journée à se faire surveiller comme du lait sur le feu par les gendarmes…

Parlant d’eux, ces derniers (à qui on a sûrement dû remonter les bretelles depuis l’«incident» de jeudi dernier) sont particulièrement féroces avec l’assistance : pas de portable allumé, pas d’ordinateur pour les journalistes (pauvre presse en ligne !), pas d’échanges animés entre voisins (là, on commence à quitter le domaine du normal !), pas de manière de s’asseoir trop relâchée (nous croit-on à Bangui ?!), pas de rires, pas même de sourires trop flagrants…

Les journalistes, parqués sur le côté gauche de la salle dans une rangée spéciale qu’ils partagent avec le personnel juridique, fulminent en silence et lancent des œillades assassines aux hommes en tenue sans trop oser protester… Après tout, personne ne voudrait risquer les ‘’fameux’’ deux ans fermes pour troubles à audience : l’affaire Rampino, chuchote-t-on dans les rangs de la presse,  suffirait comme «jurisprudence» en la matière !

Me El Hadj Diouf sans verve

L’heure avançant, la Cour fait son entrée et tout le monde se lève, Karim et Co. sont appelés à la barre et, après avoir (encore une fois) dispensé Bibo Bourgi d’EPS, on ouvre les débats.

La partie civile, en l’occurrence l’État, est la première invitée à s’exprimer : Mes Simon Ndiaye, Félix Sow, Bamba Bitèye, Aly Fall et Yérim Thiam vont ainsi de façon (relativement) rapide se succéder à la barre (voir article ci-contre). Parlant des exceptions soulevées, ils vont (pour résumer) demander aux juges de rejeter en bloc l’essentiel des exceptions soulevées, chacun agrémentant sa plaidoirie de «piques» et autres «grains de sel» destinés à la partie adverse… Et c’est là que cela devient intéressant !

Si l’on met de côté la «prestation» de Me El Hadj Diouf qui, manquant de son habituelle (et tonitruante) verve, n’a brillé hier que de par les couleurs criardes du nœud papillon noué à son col, le reste des avocats s’est illustré, hier, en ce qu’il a rendu coup pour coup les attaques antérieures de la défense. Me Yérim Thiam, autre ancien MVP des bâtonniers, a - quant à lui - voulu conclure l’assaut en un feu d’artifice en faisant un jeu de mots sur l’allusion aux «étages» survenue, plus tôt dans le procès, lors d’un duel entre Antoine Félix Diome et Me Clédor Ly : «Leurs étages sont des étagères en bois vermoulu», a plaisanté l’avocat.

L’heure des répliques

Vient ensuite le temps des répliques aux répliques. Après avoir (en vain) demandé un délai pour pouvoir lire les conclusions communiquées à elle par la partie civile, la défense, contrainte à répliquer ou à se taire, entre dans l’arène en traînant (métaphoriquement) les pieds.

Son champion, le brillant et peu charismatique Me Bathily, commence alors ce qui se révèle être une plaidoirie tellement longue qu’elle nous mangera l’essentiel de la journée.

Assez logiquement, les postures se relâchent, les paupières tombent et certains sont même surpris à doucement ronfler… Même le Procureur Spécial, le terrifiant Alioune Ndao, est vu fermant brièvement les yeux !

Me Bathily est sans doute pertinent dans ses développements mais à un moment précis, il semble avoir perdu l’attention de toute la salle et, peut-être aussi, le fil de ses propres pensées. C’est un peu avant 13h qu’il lâche son coup d’éclat.

En effet, suite à ce qu’on met familièrement sur le compte d’une langue ayant précédé la pensée, Me Bathily réussit à mettre le Président de la Cour dans une colère noire par ses propos. Ce que le juge considère comme scandaleux. «Nous ne tolérerons pas que soient attaquées les institutions de ce pays. Qualifier de ‘’rétrograde’’ une décision de la cour constitutionnelle est inacceptable!» tonne Henry Grégoire Diop.

Quelques minutes plus tard (et après une levée de boucliers chez les avocats toutes confessions confondues), l’audience est suspendue dans un brouhaha indescriptible pour «permettre à chacun de reprendre ses esprits». S’il n’a pas réussi à captiver l’audience, Me Bathily aura permis aux uns et aux autres de prendre la pause déjeuner avant l’heure, ce qui est certainement un «bon point» pour lui, comme dirait le substitut du procureur !

À 15h, l’audience reprend dans une ambiance beaucoup plus détendue : après quelques échanges de balle anodins entre l’avocat et les juges, Me Bathily est autorisé à poursuivre (pour plus d’une heure encore) sa plaidoirie.

« Attention, gnakouma fayda nak ! »

Quittant (enfin) le ring, il croise sur son passage un Me El Hadj Amadou Sall remonté à bloc. Prenant place à la barre, ce dernier entame son propos en disant, de but en blanc, qu’il n’était pas là pour «assurer le spectacle» mais plutôt s’acquitter d’une «œuvre de grande dignité».

Si on ne revient pas sur les minutes de ce qu’il va plaider, il serait pour autant dommage de se priver des quelques pépites lâchées par l’avocat de la défense… Une défense «exclusive de Karim Meïssa Wade», tient-il d’ailleurs à préciser !

Ainsi, pour Me Sall, Me Yérim Thiam serait «au bord du gouffre» d’où sa propension à abuser son client de «quolibets et autres petites attaques». Mieux encore, il exhorte le Procureur Spécial à «avouer que ce qu’il a fait ne correspond pas à la loi»… A ses yeux, le commandant Sall (chargé de l’enquête) aurait des «méthodes américaines ou d’Irak», les mêmes que celles vues «à Guantanamo» et, tout chose considérée, se résumant à du «Tapalé*».

Même s’il reconnaît lui-même que s’il «se fâche (NDLR : contre les juges), il ne peut rien faire d’autre que protester». Il va toutefois avertir les avocats de l’État (après que ces derniers l’auraient raillé) que s’il «a décidé de faire la paix, (il) sait aussi faire la guerre» : «Niakouma Faïda, nak!» (Ndlr : je ne me laisse pas faire), tonnera Me Amadou Sall.

À bon entendeur…

SOPHIANE  BENGELOUN

 

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