Publié le 25 Mar 2015 - 01:53
ANALYSE

Faut-il brûler la CREI ?

 

Les dés sont jetés. Karim Wade a été condamné, sans surprise, par la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite (CREI). L’épilogue d’un procès qui a tenu en haleine l’opinion, depuis 8 mois. Le Parquet spécial de la CREI avait demandé une sanction “exemplaire”. A la lecture des faits, elle est bien moins lourde que prévue. Le procureur spécial avait requis “7 ans d’emprisonnement, 250 milliards d’amende, plus la saisie de tous ses biens présents et l’interdiction totale des droits mentionnés à l’article 34 du Code pénal”. Karim écope de 6 ans d’emprisonnement et de 138 milliards d’amende. Relaxé du délit de corruption, il conserve ses droits mentionnés à l’article 34 du Code pénal. Notamment, le droit de vote, d’éligibilité, d’être appelé ou nommé aux fonctions de juré ou autres fonctions publiques, ou aux emplois de l’administration ou d’exercer des fonctions ou emplois, entre autres. Ce verdict offre également d’autres enseignements.

Dans la configuration actuelle, (Karim Wade est le candidat du Pds à la prochaine présidentielle), il s’agit là, d’une porte dérobée aménagée qui peut permettre de régler ce problème autrement. Si le régime en place et l’opposition trouvent un terrain d’entente, Karim Wade pourrait ne pas aller au bout de sa peine et participer à la prochaine joute électorale. La question étant éminemment politique, un règlement politique est envisageable, notamment, une remise de peine. D’autant que le dialogue que toute la classe politique appelle de ses vœux peut prendre corps et en charge cette question. Mais, si les acteurs optent pour une logique de confrontation, personne n’en sortira vainqueur. Surtout pas Karim Wade. Puisque le seul recours que lui offre la CREI (un pourvoi en cassation) n’est pas suspensif. Et qu’il est peu probable qu’il lui empêche la prison.

D’un autre côté, on peut regretter que le procès ait été d’une certaine manière galvaudé. Car, beaucoup de questions sont restées en suspens. Karim Wade est condamné, sans qu’il ait pu s’expliquer. De ce point de vue, le mystère reste entier sur bien des aspects de cette traque des biens mal acquis. Et ils ne seront jamais élucidés. Puisqu’il ne sera pas question de revenir sur les détails du procès devant la cour de Cassation.

Récrimination

Exit le procès Karim, place au procès de la CREI. La récrimination est unanime sur l’impérieuse nécessité de la dissoudre ou tout au moins de la réformer, pour qu’elle soit conforme au droit international qui prime sur le droit national. Cette Cour est dans la ligne de mire des organisations de défense des droits de l’Homme, de nombreux observateurs et d’une bonne frange de la classe politique. En ce sens que la CREI fait peser une présomption de culpabilité, et non d’innocence, sur les personnes mises en cause. Beaucoup de professionnels du droit l’assimilent au système inquisitoire, dans lequel, le mis en cause était coupable jusqu’à ce qu’il prouve qu’il ne l’est pas. En plus, elle n’offre aucune possibilité de faire appel. Même devant la Cour pénale internationale, les accusés ont cette possibilité.

De ce fait, la question de départ revient au devant de la scène : Pourquoi soumettre une affaire pénale à une juridiction spéciale, alors que les dispositifs juridiques et judiciaires qui existent permettent d’appréhender les faits criminels poursuivis ? Autre question : aujourd’hui, peut-on faire fi de ce grief qu’on fait à la CREI, de bafouer les droits des prévenus ? À l’évidence, non ! Et il faut faire quelque chose. Car, à bien des égards, le procès Karim Wade était un test majeur.

Mais, le peu de sérénité avec laquelle la Cour de répression a mené ce procès et les incidents qui l’ont émaillé sont le signe de certaines carences qui font le lit de la contestation et de la violence. Un temps, il a été question d’aller vers une Cour de Répression des Infractions Economiques et Financières (CRIEF). Elle pourrait être une alternative. Il appartiendra à tous les acteurs (judiciaires, société civile, et politiques) d’en définir les contours, car dans une République balbutiante comme la nôtre, la reddition des comptes est un principe dont on ne peut déroger.

Gaston Coly

 

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