Publié le 15 Apr 2020 - 20:56
ANNULATION DE LA DETTE AFRICAINE

Le veto des ministres des Finances du G7

 

Le G7 s’est dit favorable, mardi, à la suspension du service de la dette des pays pauvres, au moment où le FMI et la Banque mondiale cherchent à limiter les dégâts de la probable pire récession de l’économie mondiale depuis les années 1930.  Mais selon Bruno Le Maire, une annulation multilatérale de la dette africaine est à exclure.

 

Lundi, le président Emmanuel Macron appelait, dans une allocution télévisée, à ‘’aider’’ l’Afrique aux prises avec les conséquences économiques de la pandémie de la Covid-19, en ‘’annulant massivement sa dette’’. Seulement, les pays du G7 ne l’entendent pas forcément de cette oreille. Les ministres des Finances des grandes économies les plus riches de la planète ont annoncé, hier, lors d’une conférence de presse téléphonique, souhaiter, eux aussi, ‘’aider ces pays à faire face aux impacts sanitaires et économiques’’ de la pandémie. Mais n’envisagent qu’un moratoire sur le service de leur dette.

Une position qui vient contrarier les plans du président de la République Macky Sall qui vient de se lancer dans un plaidoyer pour l’annulation de la dette des pays africains. Si, pour cela, il avait reçu, en plus de l’appui du président de la République française, celui du pape François, les deux grandes institutions financières internationales (FMI et Banque mondiale) ne sont pas encore prêtes à se lancer dans cette voie. Et manifestement, il en est de même pour les grands partenaires bilatéraux.

Comme l’a expliqué le ministre français de l’Économie Bruno Le Maire, ‘’il faut bien voir que ce moratoire est déjà une étape majeure et un succès important pour la France et pour ses partenaires, dans le cadre du Club de Paris et dans le cadre du G20’’. Avant d’ajouter : ‘’Si, dans certains États des plus pauvres de la planète, il apparaît que la dette n’est pas soutenable (...) cela pourra nous conduire, comme l’a indiqué le président de la République (Emmanuel Macron, NDLR), à une annulation de dette qui se fera donc au cas par cas et nécessairement dans un cadre multilatéral. Dans l’immédiat, il y a une urgence absolue à apporter une réponse forte aux pays en développement les plus vulnérables.’’

Cependant, cet accord obtenu par la France, lors de cette rencontre du G7, permet de différer auprès des créanciers bilatéraux et privés un paiement total de 12 000 milliards de F CFA. Cette année 2020, les 76 pays les plus pauvres de la planète, dont quarante pays africains, devaient rembourser une dette estimée à près de 20 000 milliards de F CFA.

Malgré l’enthousiasme du président de la République qui a fait suite à la sortie du président Macron, il apparait clairement que certains créanciers publics et privés ne sont pas encore favorables à une annulation pure et simple de la dette. Même si cette question est importante pour le continent noir. Comme le soulignait récemment un rapport de l’Union africaine, beaucoup de pays dépensent davantage en remboursement de dette que pour leur système de santé.

La position du FMI avait déjà montré une tendance sur la proposition du président Macky Sall, puisque dès mardi soir, la directrice générale Kristalina Georgieva annonçait que le FMI allait payer lui-même le service de la dette de 25 pays à faibles revenus dont 19 pays africains, pour une période de six mois. Ce qui revient à annuler une partie de la dette de ces pays envers le Fonds monétaire international. Malheureusement, le Sénégal n’en a pas bénéficié. Mais au même moment, le pays a reçu de l’institution de Bretton Woods 266 milliards de F CFA versés via deux mécanismes : la facilité de crédit rapide (FCR) et l’instrument financier d’urgence (IFR). Ce sont essentiellement des prêts à taux zéro avec un délai de remboursement très avantageux.

Mais il convient de préciser que ce ne sont pas des dons et que cet argent, au final, viendra s’ajouter au stock de la dette du Sénégal. Comme quoi, l’aide n’est pas encore gratuite.

Dans ses ‘’Perspectives de l’économie mondiale’’ publiées hier, le FMI annonce que les effets de la pandémie de Covid-19, qu’il a désormais dénommé le ‘’Grand confinement’’, devraient entraîner une forte décroissance, car ‘’il est très probable que l'économie mondiale connaisse, cette année, sa pire récession depuis la Grande dépression, soit une récession plus grave que celle observée lors de la crise financière mondiale, il y a une dizaine d'années’’. Quant à l’Afrique, elle devrait connaitre sa première récession depuis 25 ans.  

TROIS QUESTIONS A MOUBARACK LO SUR L’ANNULATION DE LA DETTE AFRICAINE 

‘’L’important est que chacun prenne position’’

La volonté du président de la République Macky Sall de voir la dette des pays africains annulée, a trouvé différents échos au niveau international. Mais elle aura convaincu l’économiste Moubarak Lo pour qui il est nécessaire d’affirmer sa voix, en cette période de crise internationale décrite par le FMI comme la pire depuis la Grande récession des années 30.

Comment comprenez-vous la position du président de la République Macky Sall, de militer pour la suppression de la dette africaine ?

Actuellement, tous les pays du monde, riches ou pauvres, sont confrontés à la même difficulté : la mobilisation des ressources. Il y a des dépenses qui n’étaient pas budgétisées et qui sont devenues pressentes. Comme nos économies dépendent beaucoup des exportations de matières premières et des droits de douane, le ralentissement des échanges mondiaux impacte sur la mobilisation des ressources. Les rentrées de devises deviennent alors tributaires des dons ou la mobilisation de prêts auprès des partenaires au développement. En même temps, beaucoup de pays sont déjà surendettés.

Donc, la meilleure solution pour avoir de l’argent, pour un pays pauvre, est de recevoir des dons ou de bénéficier d’une annulation de dette. Ainsi, cet argent sera utilisé pour faire face à des dépenses devenues prioritaires. C’est dans cet ordre d’idées que le président de la République a entrepris cette campagne pour l’annulation de la dette africaine.

Mais au niveau des bailleurs bilatéraux de même que des créanciers publics internationaux, l’on parle plus de moratoire que d’autre chose. Il semble que les partenaires au développement ne soient pas très emballés par l’annulation de la dette des pays pauvres, même si le Fonds monétaire international (FMI) a déjà fait un effort en ce sens, en décidant de payer pour certains pays.

La seule expérience d’annulation de dette que l’on connait, c’est celle du début des années 2000. Cette décision a été prise dans le cadre des programmes de lutte contre la pauvreté. Et elle avait été préparée pendant longtemps. Face à une crise sanitaire qui est venue de manière soudaine, l’on se demande si la communauté internationale va considérer cette crise avec le même regard. On verra ce que tous les mouvements en cours vont donner. Mais l’important est que chacun prenne position. Les pays pauvres sont libres de demander des annulations et les bailleurs vont étudier.  De toute façon, la tendance est déjà bonne, puisque le FMI a déjà fait un pas. Apparemment, la Chine a accepté de faire un moratoire aussi. C’est déjà quelque chose que de bénéficier d’un moratoire. Cela permet de différer les paiements. Si des annulations, même ciblées, pouvaient suivre, ce serait un bel acquis.

Maintenant, il faut savoir qui est vraiment pauvre et qui ne l’est pas. Dans la qualification de la Banque mondiale, il y a les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire. Il faut espérer, pour le Sénégal, que les arrangements qui seront faits intègrent cette seconde catégorie à laquelle il appartient. 

Comment comprendre que le Sénégal ne soit pas parmi les pays auxquels le FMI a accordé une annulation ? Cela peut-il être lié à la position affichée par le président de la République ?

Pas du tout ! Les institutions de cette nature prennent des décisions en se basant sur des critères bien définis. D’abord, le Sénégal n’a pris de dette substantielle par rapport au FMI ces dernières années. Le pays fait des programmes sans décaissement. II y a même eu une année pendant laquelle il n’y a eu ni programme ni décaissement avec le FMI. Cependant, il est important, pour un pays, de travailler avec le FMI, car cela rassure les investisseurs. Mais concernant cette institution, il n’y a pas grand-chose à annuler pour le Sénégal. Nous faisons partie des pays à revenu intermédiaire inférieur. Donc, ce n’est pas impossible que dans sa décision, le FMI ait ciblé les pays à faible revenu.  Ensuite, le fonds peut aussi estimer que le Sénégal est en mesure de faire face au ‘’grand confinement’’ et payer sa dette.

Dans tous les cas de figure, cela constitue un chalenge pour le Sénégal qui fait toujours parti des pays dits moins avancés. Mais plus l’on avance, plus le pays s’approche des positions supérieures.

Lamine Diouf

 

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