Le labyrinthe d’un montage financier
Les enquêteurs de la SR ont essayé de savoir à qui appartient la société Black Pearl Finance (PBF) et pourquoi tant de faveurs lui sont accordées indûment. Leur dernière conviction a été que c’est Karim Wade qui est derrière toutes ces opérations.
Dans le dossier Karim Wade, le chapitre finance est tellement enchevêtré qu’il faut un bon fil d’Ariane pour se retrouver dans le labyrinthe des montages financiers. D’après l’arrêt de renvoi, la question pour les enquêteurs était de savoir à qui appartient la société Black Pearl Finance. C’est en février 2003 qu’a eu lieu la création de BMCE Capital, une filiale de BMC Maroc, spécialisée dans la recherche de financements. Le 1er juillet 2003, une autre société du nom de 3AIG fut créée avec comme actionnaires Serge Yannick Nana (60%), Mamadou Pouye (20%) et Tavashnee Moodley (20%). A noter que ‘’pour la création de cette dernière société, Mamadou Pouye a été présenté à la notaire Patricia Lake Diop par Karim Meïssa Wade’’.
Ainsi, dès le 15 septembre 2003, un protocole entre BMCE Capital et 3AIG permet à la dernière de démarcher des mandats au profit de la première. Les instructeurs relèvent ceci : ‘’elle a pu démarcher 4 mandats : la privatisation de l’hôtel Méridien président, l’émission obligataire du port autonome de Dakar, la privatisation de la SONACOS et l’émission d’emprunt obligataire de la mairie de Dakar’’. Bref, que de gros morceaux. Toujours dans le cadre ce même partenariat, un second protocole du 29 avril 2004 évalue la quote-part devant revenir à la société 3AIG à 250 millions F Cfa.
Le 22 décembre 2004, BMCE Capital ouvre son actionnariat exclusivement à la société Metinvest Equity Sa représentant la société 3AIG. Par cette opération, elle fait sortir Tavashnee Moodley du capital et y fait entrer de nouveaux actionnaires qui se trouvent être les frères Aboukhalil détenant 80% du capital social.
Les enquêteurs se demandent alors ‘’quelle influence les actionnaires de 3AIG et de Metinvest Equity Sa ont sur les décideurs publics qui ordonnent les missions de privatisation d’entreprises publiques ou de conseils sur les sociétés nationales. Car, ils n’arrivent pas à comprendre comment des intermédiaires privés peuvent s’engager, dès septembre 2003, à donner des affaires à BMCE Capital Sénégal avec la certitude d’avoir une commission de courtage de 250 millions.
Surtout que tout ceci a eu lieu à un moment où le code des marchés publics de 2002 exige la mise en compétition de prétendants, même pour les services de conseil. Les hommes de Cheikh Aliou Ndaw croient avoir une réponse à ces interrogations. ‘’Ces questionnements pourraient trouver une réponse dans le fait que les actionnaires avaient l’assurance de l’appui d’une autorité qui pouvait influencer, de façon décisive, sur l’octroi des mandats de recherche de financement des sociétés publiques’’.
Une mutation à la voie serpentée
Toujours dans le but de démêler ce qui ressemble à un monstre à plusieurs têtes, les enquêteurs ont interrogé le Directeur général de BMCE Capital Adnan Chmanti Houarin. Ce dernier a fait savoir que la reprise de la participation de la société qu’il dirige s’explique par le besoin d’apaiser les mauvaises relations entre BMCE Capital Sénégal et les autorités du pays. Une ‘’reprise (faite) par la société Finance Com à travers une autre société Decrow Sa constituée au Luxembourg le 15 décembre 2008.
Toujours, selon l’instruction, le 20 juin 2009, est arrivée la mutation de BMCE Capital Sénégal en Black Pearl Finance. Depuis, la société se verra confier des mandats dont le plus important est la recherche de financements pour la construction de l’Aéroport international Blaise Diagne (AIBD). D’autres missions qui ne sont pas du domaine de compétence d’une banque d’affaires lui seront aussi confiées. C’est le cas du choix d’un cabinet d’avocats ou de la société devant déguerpir les riverains de l’AIBD.
Compte tenu de toutes ces recherches de financements pour des sociétés nationales d’envergure attribuées à BMCE devenue BPF sans appel d’offres, et des étroites relations qui existent entre les actionnaires et Karim, les enquêteurs en concluent que c’est bien le fils de Wade qui est de connivence avec eux.
BABACAR WILLANE