Publié le 5 Dec 2019 - 02:09
BUDGET MINISTERE AGRICULTURE

Les élus locaux plaident pour une révision de la politique agricole 

 

Si la majorité parlementaire estime qu’en termes d’équipement, de production et de subvention agricoles, le président Macky Sall a fait des résultats jamais enregistrés auparavant, du côté de l’opposition, l’avenir du secteur apparait sombre. Cela, en dépit du budget de 152 044 525 199 F Cfa pour 519 milliards d’autorisations d’engagement.

 

Le vote du ministère de l’Agriculture et de l’Equipement rural a occasionné, hier, un débat, par moments passionné entre députés de l’opposition et de la majorité. Chaque camp y est allé de ses propres appréciations du secteur en pleine mutation, pour les uns, en déliquescence continue, pour les autres.

En cette ouverture de la campagne de commercialisation de l’arachide, le prix du kilogramme d’arachide, fixé à 210 F Cfa par l’Etat du Sénégal, a, en effet, été au cœur du débat. Salué par la majorité, il est largement contesté par l’opposition. Celle-ci estime que la fixation du prix du kilogramme a été décidée par le président de la République, sans discussion préalable avec toutes les parties concernées. Elle soutient ainsi que ce prix est en deçà des attentes des producteurs. Ce qui, selon les députés de l’opposition, facilitent les manœuvres des Chinois au détriment de la Sonacos.

‘’En tant que producteur, je vends mes récoltes au plus offrant. Si l’Etat me propose 210 F Cfa et que les Chinois m’en proposent 285 ou plus, évidemment, je me tourne vers eux pour avoir du profit. C’est aussi simple que cela. Voici ce qui se passe en réalité. Donc, c’est à l’Etat de valoriser l’arachide en proposant des prix qui satisfont les agriculteurs’’, lance le député Cheikh Abdoul Mbacké. Selon le président du groupe parlementaire Liberté et démocratie (opposition), ‘’l’invasion chinoise’’ est de plus en plus croissante dans la commercialisation de l’arachide. Pis, relève-t-il, les ressortissants vont jusqu’à acheter des terres dans le bassin arachidier, les exploitent avec une main-d’œuvre chinoise et exportent l’arachide dans leur pays d’origine. Un scandale qui, selon les députés, doit être contrebalancé par le renforcement des moyens financiers de la Sonacos. Qui pourra être en mesure d’acheter les récoltes d’arachide, les transformer et les écouler au profit de l’économie sénégalaise.

Du côté de la majorité parlementaire, l’on ne voit pas la situation sous cet angle. Selon le député Demba Ndoye, membre du groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar, tout est une question de patriotisme. ‘’Je suis dans le secteur depuis 1969. Et je peux dire, en toute franchise, qu’aucun président n’a fait les efforts du président Macky Sall aujourd’hui. L’Etat fait de son mieux. C’est à nous producteurs de jouer notre partition en allant vendre nos produits à la Sonacos et non aux Chinois. J’invite tous les producteurs à le faire, parce que c’est le Sénégal qui en tire profit’’, déclare-t-il tout en plaidant pour une subvention de semences à court cycle, en raison des délais de remboursement des crédits pris par plusieurs opérateurs auprès des banques.

En ce qui concerne cette subvention, du côté de l’opposition, on estime que l’enjeu, aujourd’hui, réside dans l’entretien des sols fertiles qui tendent à s’appauvrir ou à se dégrader. L’amendement apparait alors plus que nécessaire à la place d’un apport excessif d’engrais, pour maintenir ces sols viables et augmenter le rendement. En outre, d’aucuns pensent que la subvention d’engrais devrait être rationnalisée, voire réduite, pour être transférée sur le pouvoir d’achat des structures nationales telles que la Sonacos.

Par ailleurs, la politique agricole a également été remise en cause parce que priorisant uniquement la filière arachide au détriment des autres cultures. De ce fait, à l’hémicycle, on est pessimiste quant à l’autosuffisance en riz qui ne serait qu’un slogan.

La gestion des sols et de l’eau

Selon les statistiques, la production d’arachide avoisinerait 1 500 000 tonnes cette année. Au même moment, la subvention d’intrants est passée de 6 000 tonnes en 2012 à 70 000 tonnes (pour 20 milliards). Il n’empêche que beaucoup d’aspects restent sans réponse dans le secteur agricole. Il s’agit, entre autres, de l’aménagement des sols cultivables jugé encore trop faible par les élus locaux des régions de Saint-Louis, Kolda et Matam. Selon ces derniers, l’eau et les terres fertiles ne manquent pas, encore moins la main-d’œuvre. Par contre, ils relèvent que les moyens d’aménagement de ces sols posent problème. Pourtant, regrettent-ils, ces localités portent à ce jour le projet d’autosuffisance en riz. Dans la région de Kédougou, on se plaint d’une migration des populations vers l’exploitation minière qui n’est que temporaire. ‘’Au Sénégal, nous avons suffisamment de fer pour fabriquer des machines en faveur de la mécanisation de l’agriculture. Aussi, tant que nous n’arrivons pas à maitriser l’eau en nous basant seulement sur la pluie, notre agriculture n’ira pas loin. Cette année, la Fao a affirmé que 900 000 Sénégalais sont touchés par l’insécurité alimentaire. Beaucoup plus que ceux de l’année dernière. Ce qui veut dire qu’il y a des problèmes à résoudre. Il faut penser à une diversification des cultures et changer les orientations’’, a déclaré le député Mamadou Diop, membre du groupe de l’opposition.

Du côté de la diaspora, le ministre a été interpellé sur la mise en œuvre d’un programme spécial visant à soutenir les Sénégalais de l’extérieur qui veulent investir dans le secteur. Aussi, le budget prévu pour le ministère de l’Agriculture et de l’Equipement rural est jugé faible, en raison de la place de l’agriculture dans l’économie sénégalaise et en tant que moteur du Pse. Car les élus estiment que le Sénégal ne peut pas se développer sans une agriculture viable et durable.

Selon le ministre de l’Agriculture, la restructuration de la Sonacos est un élément phare de son programme. Cette année, le gouvernement prévoit un soutien financier qui lui permettrait d’acheter environ 150 000 tonnes d’arachide pour leur transformation en huile. En réponse à l’implication de la Chine dans la commercialisation, il explique : ‘’C’est grâce au président Macky Sall qu’on a pu exporter notre arachide en Chine depuis 2014. Auparavant, on accumulait les invendus sans savoir comment les écouler. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Cet agrément avec la Chine continue jusqu’en 2024. Donc, on ne peut pas exclure la Chine de la commercialisation. Mais j’ai signé avec la ministre du Commerce une convention pour réglementer tout cela.’’

Il ajoute, en outre, que le prix plancher du kilogramme d’arachide a été fixé par le Comité national interprofessionnel de l’arachide qui comprend tous les acteurs (opérateurs, semenciers, producteurs...). Ce qui annule, de facto, toute vente en deçà de 210 F Cfa. Quant à l’autosuffisance en riz, il soutient qu’‘’on est parti de 300 000 tonnes de riz en 2014, à 1 200 000 tonnes en 2019. Avec ce bond, on peut espérer atteindre et maintenir l’autosuffisance en riz. C’est un travail qui se fait de façon durable avec des objectifs clairs. On ne va pas se fixer des chiffres qu’on veut atteindre juste pour des raisons politiques’’.

En outre, Moussa Baldé entend engager son ministère dans la maitrise de l’eau et pour un soutien financier à la recherche agricole au Sénégal.

EMMANUELLA MARAME FAYE

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