Publié le 11 Apr 2020 - 02:31
CONSÉQUENCES DE LA COVID-19 SUR L’ÉCONOMIE DE L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE

La Banque mondiale annonce la première récession depuis 25 ans

 

Région la plus dynamique du monde, il y a encore quelques mois, l’Afrique subsaharienne n’échappera pas à la récession qui menace l’économie mondiale, depuis la propagation de la pandémie du coronavirus.

 

En moins d’un trimestre, l’Afrique subsaharienne voit ses prévisions de croissance les plus optimistes virer au rouge. Le rapport Africa’s Pulse d’avril 2020, produit par le bureau de l’économiste en chef de la région Afrique de la Banque mondiale, portant sur une ‘’évaluation de l’impact économique de la Covid-19 et des réponses politiques en Afrique subsaharienne’’, publié hier, prévoit une croissance économique en Afrique subsaharienne allant ‘’de 2,4 % en 2019 à une fourchette entre -2,1 % et -5,1 % en 2020. Ce qui constituera la première récession dans la région depuis 25 ans’’. Et la chute de la croissance pourrait atteindre jusqu’à 7 points de pourcentage dans les pays exportateurs de pétrole et jusqu’à 8 points de pourcentage dans les pays exportateurs de métaux, ceci par rapport à un scénario de base sans Covid-19, précise le document.

Malgré une arrivée tardive, le virus s’est rapidement propagé, ces dernières semaines, touchant au moins 45 des 48 pays d’Afrique subsaharienne. Et pour les économistes que la Banque mondiale, la crise qu’il a engendrée affectera plus durement les pays dépendants des exportations minières et pétrolières. Ce constat fait, les trois plus grandes économies de la région (le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Angola), dans le contexte d’une faiblesse persistante de la croissance et des investissements, et d’un déclin des prix des matières premières, sont les plus menacés.

Certains pays, dont le Sénégal, espèrent une croissance encore dans le vert

Les prévisions du rapport Africa’s Pulse n°21 limitent la casse pour les pays ne disposant pas de grandes ressources naturelles, à l’image du Sénégal. Cependant, leur croissance devrait ralentir, tout en restant positive. A l’image de ce qu’a annoncé le président de la République Macky Sall dans son discours à la nation du 3 avril dernier, avec une croissance attendue de moins de 3 %, alors que les prévisions s’étalaient sur plus de 6 % au début de l’année. Mais cela ne sera pas spécifique au Sénégal car, comme l’expliquent ces calculs économiques, ‘’elle va s’affaiblir de façon substantielle dans les deux zones de croissance rapide, l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (UEMOA) où l’épidémie se propage rapidement, et la Communauté d’Afrique de l’Est (CEMAC), à cause de la faiblesse de la demande extérieure et des perturbations des chaînes de valeur et des productions nationales’’. 

Le document soutient également que la Covid-19 est susceptible de créer une grave crise, en termes de sécurité alimentaire en Afrique subsaharienne. En effet, les chaînes d’approvisionnement agroalimentaire locales enregistrent déjà des perturbations, y compris un accès réduit aux intrants et aux services, des mouvements de main-d’œuvre, des blocages au niveau des transports et des routes, ainsi que des difficultés d’accès au crédit ou aux liquidités. Ces perturbations s’ajoutent aux perturbations des chaînes d’approvisionnement au niveau mondial, telles que les interdictions d’exporter qui affectent la sécurité alimentaire de pays africains importateurs de denrées alimentaires.

60 000 milliards de F CFA pour relancer la région subsaharienne

Si les déficits budgétaires devraient se creuser dans le contexte d’une baisse des recettes publiques, un allégement provisoire de la dette sera nécessaire pour lutter contre le Covid-19 et maintenir la stabilité économique dans la région. Les scénarii étudiés par les experts de la Banque mondiale montrent que ‘’dans une région qui pourrait avoir besoin de mesures de relance d’urgence d’un montant de l’ordre de 60 000 milliards de F CFA (100 milliards d’USD), un moratoire sur la dette pourrait immédiatement injecter des liquidités et agrandir l’espace budgétaire des gouvernements africains’’. 

Certains Etats n’ont pas hésité à apporter une réponse politique rapide, afin de limiter les effets néfastes de la crise sur leur économie. Cependant, l’institution financière n’encourage pas une reproduction systématique des mesures prises dans les pays occidentaux. Car, explique-t-elle, ‘’la taille importante du secteur informel (89 % de l’emploi total), la précarité de la plupart des emplois, la couverture limitée des régimes de pension et d’assurance-chômage, et la prédominance des micro, petites et moyennes entreprises dans les activités d’affaires (90 %) devront toutes être prises en compte, car elles risquent d’affecter l’efficacité des mesures agressives de confinement’’. En plus de la protection des groupes vulnérables, de l’intensification des tests et du port de masques, elle recommande, à court terme, une combinaison de mesures palliatives et de mesures de stimulation pour garder l’économie en état de marche.

‘’Ces mesures devraient viser à renforcer les systèmes de santé, à fournir aux travailleurs (formels et informels) une aide en espèces et en nature, à fournir un soutien de trésorerie aux entreprises viables (formelles ou informelles) et à garantir la prestation des services publics’’, précise le document.

Mais bien au-delà de ces mesures à court terme, les responsables politiques du continent et les partenaires au développement devront réfléchir aux moyens de préparer l’avenir et envisager des politiques qui renforcent la résilience et donnent aux économies africaines les moyens de se redresser plus vite et de s’épanouir après la Covid-19.

ALBERT ZEUFACK, ECONOMISTE EN CHEF DE LA BM

‘’Cette pandémie aura un impact sur le bien-être social’’

Au-delà des conséquences économiques, la Covid-19 aura un impact sur le bien-être social des populations sur le continent, notamment en Afrique subsaharienne. C’est ce qu’a relevé, hier, l’économiste en chef de la Banque mondiale, Albert Zeufack, lors de la publication du rapport Africa Pulse de son institution sur l’impact de la pandémie.

La pandémie de Covid-19 a déjà coûté ‘’extrêmement cher’’ en termes de vies humaines. Mais elle est aussi en train de perturber l’activité économique dans le monde et en Afrique. Et d’après l’économiste en chef de la Banque mondiale, cette pandémie aura un ‘’impact aussi sur le bien-être social’’. ‘’Notre rapport montre que le bien-être des individus en Afrique subsaharienne pourra baisser de 7 %.

Et quand nous parlons de bien-être, il s’agit de baisse de consommation et de revenus que les individus confinés vont subir. Nous pensons que si l’hypothèse ‘catastrophe’ de Covid-19 continue jusqu’en 2021, les pertes en bien-être pourraient être chiffrées à plus de 10 %’’, affirme Albert Zeufack. Pire encore, l’économiste de la BM soutient que ‘’s’il n’y a pas de coopération’’ entre les pays africains, s’ils ne permettent pas au commerce intra-africain de continuer, même en bloquant les individus, aux biens alimentaires de circuler, aux chaines de valeur intra-africains de fonctionner, les pertes en bien-être social pourraient ‘’être même supérieures à 14 %’’.  

‘’Les grandes économies africaines que sont le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Angola vont être gravement touchées par cette pandémie. Et la croissance dans ces trois pays risque d’être négative et être autour de -7 ou -8 %. Alors que la moyenne au niveau continental pour 2020 que nous avons annoncée, c’est -2 %. Si ce choc est violent dans ces 3 pays, c’est pour deux raisons. D’abord, même avant la crise, ces économies ne fonctionnaient pas très bien. Ensuite, la deuxième raison est que ces pays, malheureusement, dépendent beaucoup du pétrole, des minerais. Ils ne sont pas tellement diversifiés’’, dit-il.

Une action collective nécessaire

Sur ce, M. Zeufack souligne que l’assistance de la Banque mondiale est certainement ‘’différenciée’’ et doit adresser les pays de façon individuelle. Mais l’économiste pense qu’il y a aussi ‘’la nécessité d’une action collective’’. ‘’Concrètement, la BM conseille aux pays africains de faire deux choses en parallèle. La première, c’est de sauver les vies, en mettant l’accent sur tous les programmes de santé qui vont bloquer la pandémie et mieux la contenir sur le plan médical. Et la deuxième, protéger le train de vie des individus, des ménages et des entreprises aussi. Ceci en s’assurant qu’on puisse éviter un arrêt brutal de l’activité, un chômage massif, éviter que les économies s’effondrent. La BM travaille déjà avec certains pays africains sur ces pistes’’, suggère-t-il. Car l’économiste précise que la crise ‘’n’épargnera personne’’, qu’on croisse vite ou moins vite.

D’après lui, des pays comme le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Rwanda, l’Ethiopie vont avoir un ‘’choc négatif’’ sur leur croissance. Mais, en moyenne, leur croissance restera ‘’positive’’.

Par rapport à la hausse du taux de chômage que la crise va engendrer, l’économiste a signalé que les économies d’Afrique subsaharienne ‘’ne créent pas suffisamment’’ d’emplois pour la jeunesse. Même avant la crise, il fait savoir que l’Afrique devrait créer environ 12 millions d’emplois par an. ‘’Et elle ne pouvait pas le faire. Avec la crise, cette pression va augmenter. Plus grave encore, la Covid-19 va favoriser, avec les restrictions des mouvements des personnes, le sous-emploi. Qui sera aussi important que le manque d’emploi. Sur le marché du travail, 90 % de nos populations, de notre force de travail sont dans le secteur informel’’, poursuit Albert Zeufack.

Toutefois, il notifie que ce sont des gens qui ‘’travaillent dur’’. Mais la seule différente est qu’ils ‘’ne travaillent pas’’ dans des activités productives qui les amènent à avoir un revenu qui leur permette de vivre décemment. ‘’Le fait que la structure de nos économies est dominée par les activités informels posera des problèmes par rapport aux politiques que les gouvernements vont mettre en œuvre pour lutter contre cette crise. Parce que c’est difficile de demander aux gens qui vivent du contact avec la population, ceux qui conduisent des motos-taxis ou des taxis de rester à la maison, s’ils n’ont pas de compensation salariale, s’ils n’ont rien pour survivre. Ce sont des problèmes auxquels les gouvernements africains doivent faire face’’, avertit-il.

L’économiste de l’institution de Breton Woods a noté que leur rapport montre qu’en raison du confinement dû à cette crise, la production agricole pourra baisser ‘’d’à peu près 2,6 % en 2020’’. ‘’Concomitamment, on aura une baisse des importations. Or, beaucoup de pays africains dépendent de ces importations de produits alimentaires pour leur survie. La facture des importations alimentaires est extrêmement élevée. Elle peut aller entre 30 et 40 milliards de dollars par an, selon les années. Donc, une baisse de la production agricole, combinée à celle des importations de produits alimentaires avec la réduction de l’offre au niveau global, pourrait mettre l’Afrique subsaharienne sur une piste de crise alimentaire’’, soutient-il.  

La dette, une question sensible

Face aux besoins de financement que va entrainer la pandémie, M. Zeufack a indiqué que la dette est une ‘’question sensible’’. Pour mieux la comprendre, il estime qu’il est important de discuter des canaux de transmission de cette crise, pourquoi elle est ‘’si violente, si difficile à gérer’’ pour les pays africains. Au fait, l’économiste prévient que les pays ont été déjà affectés par cette crise budgétaire due à la baisse des matières premières. ‘’Si on y ajoute le paiement du service de la dette, alors, il ne reste pratiquement rien pour faire face à la crise Covid-19. Dans certains pays, même avant la Covid-19, ils dépensaient près de 70 % de leurs revenus pour payer seulement les salaires et le service de la dette. Nous avons calculé, dans notre rapport, que le service de la dette, en 2020, pourrait représenter près de 44 milliards de dollars pour toute l’Afrique subsaharienne’’, renchérit-il.

Donc, il trouve que si la communauté internationale doit décider d’accorder un moratoire sur le paiement du service de la dette, cela ferait 44 milliards de dollars au service des pays africains pour lutter contre cette pandémie. ‘’C’est ce que la BM et le FMI sont en train de proposer et beaucoup de pays africains également. Espérons que la communauté internationale s’y joigne pour qu’on puisse créer cet espace fiscal et donner un tout petit peu d’air aux gouvernements africains, pour qu’ils puissent combattre cette pandémie’’, conclut M. Zeufack.

MARIAMA DIEME

Lamine Diouf

 

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