Publié le 15 Sep 2014 - 23:13
DAME BABOU JOURNALISTE

‘’Les écoles de journalisme n’enseignent pas l’honnêteté’’

 

Journaliste et observateur des médias, Dame Babou, qui a  passé une grande partie de sa vie aux Etats-Unis d’Amérique, revient dans cet entretien sur les maux qui gangrènent la presse sénégalaise. L’ancien conseiller en communication de l’ex Premier ministre Aminata Touré est d’avis que la presse, surtout celle en ligne, doit être régulée au Sénégal afin de mettre fin aux dérives dans les forums et la théâtralisation dans certaines revues de presse.

 

Vous êtes un des précurseurs de la presse en ligne en Afrique avec le site africantime depuis le début des années 90. En tant que tel, comment appréciez-vous l’état de cette forme de presse au Sénégal qui, du reste,  s’est très rapidement développée ?

Notre presse en ligne a simplement suivi la tendance prise presque par tous les autres domaines de la vie. Nos pays se sont mis au rythme de la frange la plus dynamique de la société constituée par la jeunesse. Il était normal donc que cette presse connaisse cette vie vibrante qui caractérise tout domaine d’activité dominé par les jeunes.

Ce qui est le propre des produits dont la vie est basée sur Internet est que l’accès est démocratisé. Par conséquent, la vitesse avec laquelle la presse en ligne se développe ne pouvait être que rapide et de vitesse  croissante et non constante.

L’autre aspect à considérer est que ceux qui sont encore aux commandes dans nos pays sont de la génération de la veille ou du début de nos indépendances ; habitués que nous sommes aux phénomènes qui sont contrôlables, ne serait-ce que sur le papier, même si c’est avec des lois que personne ne peut faire appliquer. Il faut donc se préparer à être constamment obligé de mener une course de rattrapage pour tout ce qui est basé sur cette plate-forme qui est Internet.

Mais il y a quand même un problème sérieux qu’il faut revoir : c’est celui des forums en ligne ou certaines attaques personnelles semblent souvent y aller dans tous les sens. On mélange vie privée et vie publique. Il faut tout de même prendre des mesures non ?

Je pense que cette question doit être abordée sous plusieurs angles. Premièrement, les administrateurs des sites Internet ont un intérêt à faire l’effort supplémentaire pour juguler l’utilisation pernicieuse et irresponsable qu’une minorité de leurs visiteurs fait de ces plate-formes démocratiques.

On me dira que c’est facile à dire qu’à faire ; car le modèle économique est tel que les revenus tirés de la publicité reposent sur le nombre de visites et que les commentaires attirent, parfois, plus que les informations contenues dans les articles publiés. Mais cela n’est pas une raison suffisante pour laisser faire. Il ne faut quand même pas oublier que les personnes attaquées dans ces forums ne vivent pas dans un vacuum. Elles ont des enfants, des époux, des parents et tant d’autres relations dans la société.

Du fait d’un soi-disant principe de défense de la liberté, il ne faudrait pas laisser des gens profiter, de par ce moyen technologique, de positions de lâche anonymat et proférer des attaques qu’ils n’auraient pas le courage de dire publiquement.

Toujours dans le cadre de la responsabilité des administrateurs des sites, ils devraient voir avec les informaticiens et les développeurs la possibilité d’étendre à nos langues nationales le champ des mots qui font rejeter automatiquement par le système une contribution injurieuse. Ce n’est pas tout. Les administrateurs des sites qui sont devenus des businessmen, il leur incombe de trouver le personnel nécessaire pour extirper les attaques injurieuses et diffamatoires. Cela est possible. Tous les sites des grands médias, avec des nombres visiteurs qui se chiffrent à des millions, arrivent à le faire.

S’ils ne le font pas, les politiques finiront par s’en mêler et mobiliser les législateurs pour faire adopter des lois qui vont freiner le développement de cet instrument fabuleux qui est le débat public par le Net. Car il ne faut surtout pas envisager de supprimer les forums.

D’une façon générale, la presse sénégalaise est très critiquée au niveau de l’opinion. On lui reproche beaucoup de choses, dont un déficit d’éthique, de déontologie, de professionnalisme etc., pensez-vous que ces critiques sont fondées ? 

Ce n’est certainement pas moi qui vais nier que notre profession a de sérieux problèmes dans ces domaines que vous venez d’évoquer. Il y en a effectivement. La question est de savoir si on va chercher des raccourcis ou si nous devrions lui consacrer toute la réflexion et sérier les problèmes en vue de leur trouver des solutions qui tiennent compte de toute la complexité du sujet.

Prenons par exemple le problème de manque de professionnalisme. C’est un problème sérieux si quelqu’un ne sait pas faire la différence entre une revue de presse qui se limite strictement à faire la synthèse de ce que disent les journaux et une lecture commentée de cette presse ou on se permet d’insérer ses propres opinions et parfois son agenda politique.  

Mais il faut admettre que cette insertion d’agenda politique en elle-même pose le problème d’une responsabilité partagée entre les médias et les décideurs politiques et d’affaires dans ce pays. Si des hommes politiques ont ‘’leurs ‘’ journalistes et leurs ‘’ revieweurs ‘’ de presse, leurs adversaires eux aussi s’en procurent à leur tour. Et bonjour la surenchère. Les rédactions savent pertinemment qu’elles sont visitées tous les jours par des décideurs qui, dès que l’article est publié, appellent immédiatement les revieweurs pour s’assurer que le sujet sera mis en relief par ces « spécialistes » de la théâtralisation.

La question de l’éthique et de la déontologie n’est pas toujours liée au manque de formation. L’école de journalisme ne peut vous enseigner l’honnêteté. Ces valeurs ne sont enseignées que par nos parents et notre société.  Peut-être que la part que la formation peut y ajouter positivement est que le journaliste sorti d’une école sérieuse penserait toujours à ce que ses confrères diraient de son travail. 

D’ailleurs, j’aurais bien voulu avoir des statistiques sur les cas de violations des règles d’éthique et de déontologie commises par des professionnels formés à l’école de journalisme, comparés aux violations dont les auteurs sont venus dans la profession par des voies autres que l’école. On ne nous a pas encore prouvé que les ‘’ invités’’ sont moins vertueux que les ‘’professionnels’’.

Ne pensez-vous pas qu’on ne met pas assez en valeur l’autre rôle positif de la presse, mission de veille et de surveillance de l’action publique ?

Il faut quand même reconnaître que les Sénégalais ont pris très au sérieux le travail de la presse dans son rôle de donner aux citoyens les moyens d’apprécier comment leur pays, qui est propriété commune, est géré. Les citoyens n’ont jamais voulu jeter le bébé avec l’eau du bain.

Cependant à coté de cette reconnaissance qui a permis la préservation d’un débat public vigoureux depuis le milieu des années 70, il y a la nouvelle dynamique de début de rejet populaire à cause de nos propres manquements.

Si certains responsables et journalistes ou d’autres qui ont accès à ce secteur, par des voies multiples, continuent d’utiliser ces plates-formes comme moyens de chantage et d’intimidation, nous allons directement  vers des relations intenables entre nous et le public.

Le Cored (appelé tribunal des pairs) vient d’être installé pour connaître certains délits de presse. Quel devrait être le rôle de celui-ci ?

Pour le peu que je sais du fonctionnement des grandes démocraties en matière d’autorégulation du métier de journalisme, je considère que le Cored peut jouer un rôle important dans l’assainissement du métier, qui a besoin d’un sérieux coup de balai. Ce « tribunal » peut aider à faire respecter aux journalistes les règles du métier qu’ils violent ou égratignent A ceux qui, en toute connaissance de cause, viennent dans cette profession pour commettre des violations ou même des délits, le Cored devra se donner les moyens de les démasquer dans une première étape. La deuxième serait probablement de les renvoyer devant les tribunaux ordinaires.

Les médecins, les avocats, les architectes, les notaires (et que sais-je encore ?) n’ont-ils pas leurs ordres ou chambres dirigés par les pairs ? Après tout, on dit que l’écritoire est plus puissante que le sabre. Si c’est le cas, les spécialistes de l’écritoire pourraient plus discipliner leurs confrères qui manient les mêmes armes.

Vous avez passé une grande partie de votre vie aux Etats-Unis d’Amérique, un pays connu surtout pour avoir une presse très dynamique. Lorsque vous comparez avec un pays comme le Sénégal, qu’est-ce que vous voyez exactement ?

Les Etats-Unis ont une particularité significative : De toutes les démocraties occidentales, elle est peut-être la plus jeune. Elle est issue d’une révolution violente contre le colonisateur anglais. Un colonisateur qui s’était dressé contre la liberté d’expression des colonisés. Les Pères fondateurs avaient mené concomitamment la guerre d’indépendance et les vigoureux débats sur le système qui devaient servir de base pour la nouvelle gouvernance. C’est cela qui explique qu’à la place d’un article sur l’Unité nationale dans le Premier amendement de la constitution américaine, on y consacre le fait que l’Etat n’aura jamais le droit d’édicter des lois qui enfreignent la liberté d’expression.

En plus, de par la loi, le gouvernement américain est interdit de posséder des moyens de propagande sur son territoire. Pas de radio, pas de télévision, pas de journal ou aucune autre masse média. Les médias électroniques tels que la Voix de l’Amérique ne peuvent être diffusés à l'intérieur du pays.

Par contre nous, nous sommes héritiers de système centralisé ou « l’intérêt » de l’Etat prime sur celui du citoyen. C’est pourquoi, il est difficile de faire la comparaison de prime à bord. Il est d’autant plus difficile de le faire entre une presse vieille de plus de deux siècles et une presse qui est jeune de moins 30 ans.

Après tout, cette fameuse presse américaine tant considérée comme étant très sérieuse et crédible, a vécu elle aussi ses pages sombres. Georges Pulitzer, qui donne son nom au prix le prestigieux pour un journaliste dans le monde, a eu à diriger des journaux qui ont déclenché des guerres dans les Amériques simplement à cause de la concurrence féroce de l’époque. Ce n’est que plus tard dans sa vie que Pulitzer a décidé que l’intérêt national devait primer sur la concurrence.

Donc il faut que nous acceptions que la presse sénégalaise soit la presse de son âge, de son contexte historique, de son environnement économique fragile etc.

Vous avez assuré la fonction de conseiller en communication de l’ancien Premier ministre Aminata Touré. Si la séparation avec le Président a été rude, comment appréciez-vous aujourd’hui les retrouvailles annoncées entre les deux ?

C’est vrai que j’ai eu le privilège de travailler avec la très compétente équipe de communication de l’ancien Premier ministre Aminata Touré, comme je le fais aujourd’hui avec les services du Président Macky Sall et d’autres structures de l’Etat. Mais j’avoue que je ne suis pas au courant d’une séparation politique entre Macky Sall et Aminata Touré.

De la même manière, je n’ai pas de raisons de douter que si votre journal EnQuête dit qu’il y avait une absence de contacts directs entre les deux responsable et que les ponts sont rétablis, ce soit le cas. 

 

 

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