Publié le 11 Feb 2020 - 23:01
DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE DE L’AFRIQUE, COOPERATION SUD-SUD

Les pensées de Samir Amin revisitées par les économistes 

 

Un symposium international en hommage à l’économiste franco-égyptien Samir Amin, décédé le 12 août 2018, se tient à Dakar depuis hier. Une occasion saisie par les économistes pour revisiter ses pensées sur les défis du développement de l’Afrique, la coopération Sud-Sud face à la crise multidimensionnelle du système mondial.

 

Le monde actuel ‘’va très mal’’. C’est le constat de l’économiste sénégalais Chérif Salif Sy, par ailleurs Président du Forum du Tiers-monde et du comité d’organisation du symposium en hommage au Pr. Samir Amin. Selon lui, ‘’il n’est pas besoin’’ de démonstrations qui ne seraient ‘’malheureusement’’ qu’une compilation longue et dramatique de situations ‘’d’insécurité et d’injustices’’ humaines. ‘’C’est dans ce contexte lourd d’incertitudes et d’interpellations que nous avons perdu notre ami le professeur Samir Amin, au décès duquel Monsieur le Président de la République du Sénégal a déclaré que notre pays avait perdu l’un de ses fils’’, témoigne M. Sy qui a été un ami proche de l’économiste franco-égyptien.

D’après Chérif Salif Sy, qui s’exprimait hier lors de la cérémonie d’ouverture de ce symposium, le Pr. Samir Amin avait, en effet, un très fort attachement sentimental pour le Sénégal, qui semblait être le lieu de confluence de ses réflexions et travaux qui couvrent toutes les problématiques au cœur de la situation des pays tiers et au cœur de l’œuvre monumentale qu’il leur a léguée.   

En fait, la présidente de l’Institut de développement économique et de la planification (Idep) a confié, à cette occasion, que lors de ses entretiens avec Samir Amin, ce dernier lui a fait part de son inquiétude pour que la relève ‘’ne soit suffisamment assurée’’. Que les jeunes d’aujourd’hui ne voient plus les défis de développement de la même façon que leurs aînés et qu’ils finissent par se détacher des cercles de réflexion.

‘’Aujourd’hui, ces jeunes sont les citoyens d’un monde fortement numérisé, sont de plus en plus connectés et, paradoxalement, restent bien isolés. Crise identitaire, tentations migratoires, chômage, pauvreté, populisme, inégalité des chances en conduisent certains à rechercher hors de chez eux un avenir plus heureux, les poussant vers des solutions extrêmes’’, soutient Karima Ben Sultan.

Or, la présidente de l’Idep précise que 2020 marque le début de la décennie de l’action pour la mise en œuvre des Objectifs de développement durable (ODD). ‘’Il est primordial, pour cette dernière ligne droite qui va nous mener à 2020, de nous assurer que les actions menées par et dans nos pays soient en conformité avec les véritables priorités, besoins et attentes de nos populations.

Ceci afin que personne ne soit laissé-pour-compte, que la zone de libre-échange qui se construit puisse gagner le pari de l’intégration qui bénéficie au plus grand nombre’’, dit-elle. Madame Ben Sultan pense que ceci doit se faire pour que les peuples africains ne payent pas un lourd tribut, du fait du changement climatique, notamment dans la relation ‘’si fragile’’ qu’ils entretiennent avec la terre. Et que la transformation numérique, la révolution industrielle 4.0, l’économie verte, celle bleue, ne conduisent pas à de nouvelles marginalisations. Mais deviennent autant d’opportunités à saisir.

Pour sa part, le Pr. Moustapha Kassé estime que la mondialisation, telle qu’elle se présente aujourd’hui, est à la fois une tourmente et pose beaucoup d’inquiétudes. ‘’Celle-ci, qui était censée apporter prospérité et bonheur, tourne presque au cauchemar pour des milliards d’individus. S’agit-il de théories impertinentes, d’erreurs de diagnostic, de solutions erronées, d’inadaptations des politiques de rigueur, d’hostilité qu’on nous impose ? S’agit-il simplement des politiques monétaires qui permettent à des milliardaires de s’enrichir en dormant ?’’, se questionne l’économiste.

Ainsi, le Pr. Kassé affirme que ce nouvel ordre impose, comme le demande d’ailleurs Samir Amin, une certaine ‘’reconceptualisation’’ autour de 3 idées maitresses. Il s’agit, d’abord, de la notion de multipolarité, ensuite, d’intérêts nationaux, c’est-à-dire redécouvrir les intérêts nationaux et la souveraineté nationale. Et la troisième idée est la notion d’alternatives. ‘’Si le monde dans lequel nous vivons est aussi injuste, il le deviendra un peu plus. S’il est difficile de léguer un monde meilleur, il me semble important et déterminant pour les élites intellectuelles, de contribuer à baliser les luttes populaires qui améliorent les conditions de vie et de travail des peuples’’, prône le Pr. Kassé. 

Le renforcement de la coopération Sud-Sud, un impératif

L’une des idées chères au Pr. Amin, rappelle le ministre de l’Economie, du Plan et de la Coopération, c’était l’amélioration des termes de l’échange pour l’Afrique. ‘’Le renforcement de la coopération Sud-Sud est un impératif pour le développement et une plus grande résilience de nos économies face aux chocs économiques mondiaux. Les partenariats Sud-Sud constituent un levier de partage de connaissances, de compétences et d’expériences réussies. Ils peuvent ainsi contribuer à créer davantage d’emplois, construire des infrastructures et promouvoir des échanges commerciaux Sud-Sud sur la base d’une solidarité et d’une commune volonté de se renforcer mutuellement’’, fait savoir Amadou Hott.

Sur ce, il pense que les récentes initiatives, notamment l’Agenda 20-63 et l’opérationnalisation de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) constituent des illustrations d’une ‘’volonté de changement et de renforcement’’ des partenariats Sud-Sud. ‘’Cette volonté de changement en Afrique intègre, désormais, la dimension de la durabilité dans le processus de développement et conforte le Pr. Samir Amin dans sa pensée’’, poursuit le ministre.

En effet, la Zlecaf favorise, d’après lui, la création de chaines de valeur pour la transformation locale des produits, une étape cruciale pour l’industrialisation de l’Afrique et l’amélioration des termes de l’échange. Pour la transformation structurelle de leur économie, Amadou Hott souligne la nécessité, pour les pays africains, de s’y appuyer pour relever les défis de l’émergence.

L’idéologie panafricaniste ‘’instrumentalisée’’

Au-delà de ces maux qui empêchent le continent de décoller, les amis de Samir Amin ont également déploré la dépréciation de l’idéologie panafricaniste. ‘’Nous regrettons l’instrumentalisation faite de l’idéologie panafricaniste telle que nos ancêtres Du Bois et les autres l’avaient comprise. On est loin de cela, puisque c’est quand même une vision économique de comment sont signés les accords afin de profiter encore plus des ressources naturelles de l’Afrique. Ou des accords commerciaux uniques pour bénéficier de tout cela et en signant aussi des accords de sécurité’’, fustige la militante française Mireille Fanon Mendès-France, Présidente de la fondation Frantz Fanon internationale.

Dès lors, elle souligne qu’il serait important, dans la déclaration finale de cette rencontre, de montrer qu’au regard de tous les apports sur les analyses économiques faites par Samir Amin, qu’ils ne sont pas ‘’dupes’’. ‘’Des sommets s’organisent en France (France-Afrique) ou aux Etats-Unis, mais nous devons comprendre que le développement de l’Afrique ne viendra pas d’accords particuliers avec la France. Il viendra plutôt des Africains et de l’Afrique elle-même’’, défend la militante française. En 2003, elle rappelle que l’Union africaine avait décidé que la diaspora africaine serait la 6e région de l’Afrique. ‘’Donc, devant les difficultés pour l’UA d’organiser cette 6e région, des personnes commettent des actes coloniaux. Il serait important, dans la déclaration finale, de dénoncer de telles instrumentalisations qui sont très loin de ce qu’est le panafricanisme, de ce pourquoi nous nous battons et de ce qui nous réunit aujourd’hui. C’est-à-dire une Afrique debout. C’est bien de travailler sur l’unité africaine, indépendamment des gens qui ont des envies de continuer à opérer de manière coloniale en Afrique’’, conclut-elle.

MARIAMA DIEME

 

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