Publié le 1 Mar 2020 - 22:55
DR MAMADOU DIANG DIALLO – ENSEIGNANT

‘’La tendance du retour en Afrique est plus forte maintenant’’

 

Dans le cadre de la célébration du Mois de l’histoire des peuples noirs (Black History Month), le journaliste Alioune Diop a organisé une conférence, jeudi dernier, au Goethe Institut. ‘’Panafricanisme, reggae et nationalisme africain’’ est le thème choisi. Une conférence qui se tient 40 ans après le premier concert de Bob Marley en Afrique. Alioune Diop a voulu fêter également cela. En marge de cette dernière, Dr Mamadou Diang Diallo, spécialiste en civilisation américaine, enseignant à l’Ucad au Département d’anglais, et professeur d’histoire d’esthétique africaine à l’Ecole nationale des arts, partage avec ‘’EnQuête’’ quelques réflexions sur le reggae et sa philosophie.

 

Quel lien existe-t-il entre le nationalisme africain et la musique reggae ?

Quand nous parlons de l’histoire de l’identité noire, il faut remonter jusqu’à la fin du XIXe allant au début du XXe siècle. Des intellectuels afro-américains, qui étaient, pour la plupart, des membres du Harlem Renaissance, ont créé des mouvements pour développer des idéologies et reconstruire l’identité afro-américaine qui était dénigrée. Le nationalisme noir apparait ainsi comme le point culminant de l’ensemble des réactions provoquées par l’impact de l’esclavage, mais aussi de la civilisation de la domination occidentale sur les afro-descendants d’une part, et, d’autre part, comme l’ensemble des facteurs socio-psychologiques qui ont affecté l’expérience collective marquée par l’oppression des Occidentaux.

Ces intellectuels se sont chargés de trouver une manière de promouvoir l’histoire et l’étude des Afro-Américains à travers des curricula qui leur sont propres. C’était par leurs écrits, par l’art, le théâtre et la poésie. Parmi ces intellectuels, il y en a qui ne sont pas de Harlem Renaissance, comme Marcus Garvey. Lui, il fait partie de la même génération que Dubois. Ce dernier a aidé les nationalistes africains comme Nkrumah à préparer la construction des nations indépendantes. Mais Garvey a été plus radical dans ce sens-là. Il a pu créer sa propre organisation : l'Universal Negro Improvement Association and African Communities League (UNIA) qui cherchait à promouvoir les valeurs noires et surtout le retour en Afrique.  Marcus Garvey est un leader roi qui a fait le voyage des Antilles jusqu’aux Etats-Unis, pour construire la plus grande et la plus importante organisation nationaliste noire de l’histoire des personnes de descendance africaine dans la diaspora issue du continent américain. Nous pouvons dire que son mouvement a une très grande influence sur le reggae.

Dans leur musique, beaucoup de reggeamen disent qu’ils sont des partisans, des disciples de cet homme. Donc, par son idéologie, par sa pensée, il les a influencés. Et le retour en Afrique n’est que le renouvellement du cycle de l’idéologie que Marcus Garvey a prôné entre 1900 jusqu’à 1920. C’est 50 ans après que le même mouvement est revenu par le biais des chanteurs reggae, une musique identitaire, mais aussi nationaliste.

Aujourd’hui, on parle du Mémorial de Gorée. Est-ce une matérialisation de ce retour en Afrique ?

Le retour en Afrique, ça se matérialise par une nouvelle tendance des Afro-Américains à vouloir visiter l’Afrique, d’abord. Ils sont nombreux à vouloir le faire et ce n’est pas seulement à Gorée. Ils vont aussi au Ghana, au Nigeria et au Gabon. Et certains vont même jusqu’à prendre des nationalités africaines. Cela n’a jamais eu lieu auparavant. Ou du moins, ce n’était qu’en Ethiopie qu’ils allaient. Il y a beaucoup de Jamaïcains qui sont allés dans ce pays. La tendance du retour est plus forte, maintenant. Au Bénin, il y a beaucoup d’Afro-Antillais qui y sont allés pour célébrer le Black Story Month là-bas. Ils souhaitent même prendre la nationalité béninoise. Nous, nous avons organisé le Black Story Month, cette année. On n’a pas eu ce cas au Sénégal. Au Ghana, nous avons vu qu’il y a 126 Afro-Américains et Afro-Caribéens qui ont eu la nationalité ghanéenne. Ils ont même prêté serment et sont devenus des citoyens ghanéens. C’est parce qu’il y a aussi un retour symbolique qui a été chanté dans les clips et joué dans les pièces de théâtre.

Quelle a été la vision de Bob Marley, par rapport au panafricanisme ?

Bob Marley était un panafricaniste pur et dur. Il a toujours prôné la justice et l’encrage des Africains dans leur réalité. Il a toujours demandé aux Noirs en général d’être fiers de leur couleur de peau et de combattre l’injustice de Babylone, qui est tout un système oppressif, discriminatoire, exploiteur. Bob Marley est l’incarnation même du panafricanisme, du nationalisme africain, par ses chansons et son attitude.     

Qu’est-ce que le Roi du reggae entend par ‘’système’’.  Ce mot qui est aujourd’hui utilisé à tout bout de champ ?  

C’est le système occidental dans son ensemble. Que ça soit américain, européen ou britannique… C’est un système qui est toujours oppressif. Il s’agit de l’exploitation de l’homme noir par les Occidentaux, d’une manière ou d’une autre. Ça peut être économique, politique, culturel ou autres. C’est ça qu’on appelle un système babylonien. Tout ce qui milite à l’encontre des Africains en tant que tels, qu’ils soient des Africains du continent ou des Afro-descendants.

Qu’est-ce qui fait que le reggae à une connotation religieuse ?

Le rastafari est considéré comme une religion par ses musiciens. Ils croient en Hailé Sélassié 1er, car ils se reconnaissent comme étant des enfants de l’Ethiopie. Quand ils parlent de l’Ethiopie, ils font allusion à l’Afrique autochtone, le continent des pharaons, des combattants… Cette religion est une culture identitaire, spirituelle et une attitude. Et les dreadlocks ne sont pas des choses qu’ils ont créées. Ils ont des origines africaines. Parce que les guerriers dans l’empire du Koush laissaient leurs cheveux pousser. Et donc, le rasta n’est pas une création jamaïcaine. Ils l’ont adopté. C’est un refus de la soumission.

Est-ce donc une manière de montrer que l’Africain a toujours vécu avec la religion ?

L’Afrique à ses réalités en termes de religion. Nous avons adopté des religions révélées, mais l’Africain a toujours été d’abord spirituel avant leur arrivée. Il croyait en Dieu. Si nous cherchons dans les langues africaines, il y a toujours un nom pour parler de l’Etre suprême, même s’il y avait des intermédiaires dans les sanctuaires. Aussi longtemps que l’on remonte dans l’Égypte antique, il y avait cette spiritualité qui existait déjà. Et comme l’a dit Cheikh Anta Diop, les civilisations égyptiennes sont des produits directs de la civilisation africaine. Au-delà de la religion, il y avait aussi un système économique, politique et environnemental. La charte de Kurukan-Fouga ou du Mandé avait un ensemble d’articles pour gérer l’environnement, le social, les relations humaines. Proclamée par Soundjata Keita (1190-1255), cette charte est l’un des premiers textes à vocation constitutionnelle connu dans le monde.

Comment appréciez-vous le reggae sénégalais ?

Le reggae avait une très grande popularité, dans le passé. On sentait sa présence dans les années 1970-1980, avec Alpha Blondy et d’autres. Mais depuis la disparition de Bob Marley, l’engouement a baissé. Il y a eu un certain relâchement des fans du reggae. On ne voit même pas les artistes reggae dans les médias. Ce n’est pas seulement au Sénégal. Mais cette musique existe toujours, quand même. En Jamaïque, ce n’est pas le cas. Le reggae est toujours populaire. Elle est la musique préférée des Jamaïcains, même si d’autres types de musique comme le dance-hall émergent.  

Que faudrait-il faire pour redonner du souffle à la musique reggae ?

Ce n’est pas seulement la musique ; c’est la culture même véhiculée par le reggae qui est une culture identitaire, une culture de patriotisme. Ce qu’il faut faire, c’est impliquer les jeunes dans ces types d’évènement. Il faut les obliger à venir participer, parce que la conscience, ça se forge. Ça ne sert à rien d’impliquer seulement les vieux, les gens de notre âge, pour tout simplement assister. Nous avons besoins d’une audience qui va perpétuer ce qu’on est en train de faire.

BABACAR SY SEYE (STAGIAIRE)

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