‘’ En politique, on peut montrer son désaccord sans être incorrect ou violent …’’
Né à Rufisque, Ndiouga Dieng a grandi à Bargny. Électricien de formation, il a également travaillé à la police qu’il a intégrée au milieu des années 1960. C’est après une brève carrière dans l’armée qu’il s’est tourné vers la musique en devenant membre de l’Orchestra Baobab. Aujourd’hui, Ndiouga Dieng pense à la retraite et veut laisser sa place à ses enfants qui chantent. Mais en attendant, il continue sa carrière musicale avec ses amis de Baobab et mène en même temps une carrière politique. Conseiller municipal à Bargny, Ndiouga Dieng a son avis sur le référendum de ce dimanche mais aussi sur comment l’Etat traite les artistes. Il nous parle dans cet entretien de feu Ndèye Ngom Bambilor sa mère et de feu Laye Mboup avec qui il a cheminé dans l’Orchestra Baobab. Ndiouga Dieng à cœur ouvert.
Comment avez-vous intégré ‘’l’orchestra Baobab’’ ?
Moi, j’avais un métier. Je suis électricien de formation. J’ai appris ce métier auprès d’un monsieur qui s’appelle Mamadou Sané à Bargny. Après cela, j’ai intégré l’armée. J’étais à la Police nationale dans les années 1960. Quelques jours après que j’ai quitté la Police, Adrien Senghor a envoyé Jules Sagna chez moi. Il voulait que j’intègre l’orchestra Baobab. Parce qu’aussi quand j’étais à la Police, je chantais en même temps. J’avais un groupe qui s’appelait ‘’xarit mbaa merewoo ma’’. A l’époque, j’avais aussi eu à participer à beaucoup d’évènements comme la semaine de la jeunesse, la semaine économique, etc. J’ai rejoint ‘’Baobab’’ au début des années 1970. J’y ai trouvé de très grands chanteurs comme Ablaye Mboup, Balla Sidibé, Médoune Diallo, etc. C’est l’orchestra ‘’Baobab’’ qui représentait le Sénégal tel que le ferait un orchestre national. Quand Senghor devait se rendre à l’étranger, on amenait ‘’Baobab’’. C’est ainsi qu’en 1978, nous sommes allés à l’étranger et y avons passé beaucoup de temps.
Comment avez-vous vécu le décès d’Ablaye Mboup ?
Vous savez, la veille du décès d’Ablaye Mboup, on était tous ensemble au studio. Il devait aller en tournée. On lui a demandé d’enregistrer ses chansons avant d’y aller. C’est au cours de ce voyage qu’il est décédé. Ablaye Mboup était mon grand frère. Quand il est décédé, c’est Thione Seck qui chantait ses chansons et il le faisait correctement. Je n’ai pas voulu reprendre les chansons de Laye Mboup parce que je suis auteur compositeur moi aussi. Si vous écoutez mes chansons, vous y sentirez une certaine originalité. Laye était célèbre pour ses chansons et moi pour les miennes. Il était plus âgé que moi et a intégré en premier l’orchestra Baobab. Il était un excellent chanteur. Tout ce qu’on regrette, c’est qu’il soit parti trop tôt. Mais ainsi va la vie. On n’y peut rien.
Comment s’est passée la reformation du groupe après 17 ans d’interruption ?
On avait cessé de jouer au milieu des années 1980 parce qu’il y avait un vent nouveau qui soufflait dans le monde de la musique. Le ‘’mbalax’’ commençait à gagner du terrain au Sénégal. Nous croyions en ce que nous faisions et ne souhaitions pas être embarqués dans le ‘’mbalax’’. Nous avions décidé alors de nous arrêter. On ne s’était pas pour autant dispersés. Moi, je suis allé jouer à l’orchestre national. Nos enregistrements continuaient, malgré tout, à faire le tour du monde. Alors, un jour, Nick Gold a rencontré Youssou Ndour et lui a demandé si les chanteurs de ‘’Baobab’’ étaient encore en vie. Il lui a répondu par l’affirmatif, et précisant que seul Laye Mboup était décédé. Moi, à l’époque, je faisais de l’entrepreneuriat et j’étais en même temps à l’orchestre national. Quand il nous a contactés, on a demandé aux uns et aux autres s’il voulait réintégrer le groupe. On a tous voulu revenir parce que ‘’Baobab’’, c’est avant tout une famille. C’est ainsi qu’est né à nouveau ‘’Baobab’’. On nous a tous invités à Londres pour une très grande soirée. Sur place, on s’est rendu compte que les autorités anglaises attendaient avec impatience notre prestation.
Est-ce qu’il était facile pour vous tous de reprendre le rythme de la vie de musicien après un si long arrêt ?
Cela n’était pas difficile. A ‘’Baobab’’, on n’improvisait pas nos chansons. On travaillait très dur. Donc, une fois assimilée, on ne l’oublie pas facilement. Quand on a voulu reformer le groupe, on a répété pendant une semaine et chacun avait retrouvé son rythme. A l’époque, Atisso était avocat et avait ouvert son cabinet. Et on a bien réussi notre retour. Avec l’album produit par Nick Gold en 2003, on a pu avoir deux prix BBC, ceux du meilleur album et du meilleur orchestre africain de cette année. On a été nominé aux grammy awards aux USA.
Pensez-vous que les hommes de culture sont traités comme il le faut dans ce pays ?
Non, ici on ne nous traite pas comme il le faut. Je suis allé à Abidjan en 1990. Aïcha Koné m’avait invité chez elle. Elle m’a reçu dans une cité appelée ‘’village des arts’’. Elle m’a montré dans cette cité la maison d’Alpha Blondy et de bien d’autres hommes de culture ivoiriens. Elle m’a dit que c’est Houphouët Boigny qui avait construit cette cité pour regrouper les artistes.
Baobab a-t-il la reconnaissance qu’il mériterait de la part de l’Etat ainsi que les hommes de culture qui sont au même niveau ?
Mais, c’est au musicien ou à l’artiste lui-même de se donner de la valeur. Ça commence par soi-même. Aujourd’hui, on peut citer l’exemple de Youssou Ndour. Ses débuts n’étaient pas du tout faciles, mais grâce à son abnégation, son courage et sa personnalité il a su réussir. Parce que l’artiste n’est qu’un être humain et c’est l’être humain qui, par son courage, devient un agrégé, un ingénieur, un menuisier un mécanicien. C’est pour dire que l’homme a la capacité de réussir et de s’organiser quel que soit son métier. Ce n’est pas parce qu’on est artiste que l’on doit montrer une certaine apparence qui nous différencie des autres. Mais il faut aussi reconnaître que l’État ne nous a pas aidés. On a certes vu qu’on nous prête une certaine attention en prenant Youssou Ndour comme conseiller, pour qu’il transmette nos doléances.
C’est déjà bien. Mais il reste des choses à faire. En tout cas, pour l’instant, il n’y a pas encore une aide solide pour les artistes. Un orchestre comme Baobab est un patrimoine national. Tout le monde reconnaît sa valeur. Mais il peut y avoir de grandes cérémonies au Sénégal sans qu’on y intègre Baobab. La preuve, lors du festival mondial des arts nègres, ce sont les musiciens qui à l’extérieur assurent nos premières parties, qui nous donnaient des informations là-dessus. On a failli ne pas jouer. C’est au dernier moment qu’on a pu prester. C’est parce qu’au Sénégal, il y a beaucoup de partis pris. Pourtant chacun fait des efforts dans son domaine. Baobab n’a pas d’égal au niveau continental, mais on dirait qu’on ne le reconnaît pas chez nous.
L’on sait que votre mère Ndèye Ngom Bambilor était une grande chanteuse. Aujourd’hui elle n’est plus de ce monde, que pouvez-vous nous dire d’elle ?
C’est elle qui m’a incité à faire de la musique. Si aujourd’hui je suis chanteur, c’est grâce à elle. Parce que mon père était un ouvrier. Donc la musique, je l’ai hérité de ma mère Ndèye Ngom Bambilor qui l’a hérité de ses parents. Je peux dire que j’ai, par tous les moyens, essayé de fuir la musique. J’ai suivi une formation en électricité et intégré l’armée pour ne pas devenir chanteur. Seulement, la musique est dans mes veines. Aujourd’hui, même si mes enfants ont pour la plupart fait des études supérieures, ils sont sur les traces de leur père et s’inspirent de ce que je fais. C’est dire qu’ils se sont rendu compte que quel que soit le travail, l’homme peut toujours avoir une vie normale, gagner dignement sa vie et éduquer ses enfants avec à la base des valeurs solides. Et je rends grâce à Dieu, j’ai pu avec la musique entretenir ma famille. Alhamdoulilah, j’ai fait une très belle carrière.
Certains de vos enfants sont aussi dans la musique. Est-ce que vous veillez sur leur carrière ?
Oui bien sûr parce que je veux qu’ils terminent ma mission. Ils savent pertinemment que j’ai fait tout ce que j’avais à faire dans l’art. C’est avec la musique que j’ai pu leur donner une bonne éducation. Je me suis toujours battu pour les entretenir selon mes moyens. Ce n’est pas à moi de faire certains témoignages mais je peux parler de la façon dont je les ai éduqués. A les voir, on sait qu’ils sont corrects et c’est parce qu’ils sont bien éduqués. Je leur dis très souvent que c’est à eux de voir s’ils veulent être comme moi ou pas. Je les encourage, mais je les encadre aussi parce que je ne veux pas qu’ils dérapent. Et je fais tout pour qu’ils se fréquentent entre eux et ceux que j’ai choisis pour qu’ils soient leurs amis.
Sorano a célébré son cinquantenaire il n’y a pas longtemps. Comment voyez-vous l’évolution de l’Ensemble lyrique traditionnel ?
Je me dis qu’ils peuvent dépasser leur stade actuel. Ils sont d’éminents artistes. Le problème est qu’on ne leur reconnaît pas leur véritable valeur. Aujourd’hui, on devait dire que l’Ensemble lyrique a tant d’albums parce que chacun de ses membres, à lui seul, peut faire un album avec ses propres chansons. Ils ont tous du talent. Cependant, ils n’ont pas pu éclore. C’est occasionnellement qu’on les voit, même si actuellement on leur prête une certaine attention avec le régime actuel, avec l’animation de certaines manifestations, etc.
Vous faites aussi de la politique, qu’est-ce qui explique votre engagement ?
Moi, j’ai commencé à faire de la politique sous le magistère de Léopold Sédar Senghor. En 1978, c’est moi qui ai animé le meeting de clôture de la campagne de Senghor. Après, j’ai soutenu aussi Abdou Diouf à qui j’ai d’ailleurs dédié une de mes chansons. Ainsi, j’alliais le chant à la politique. Après le départ d’Abdou Diouf, ‘’Baobab’’ a repris du service. Et on était rarement au Sénégal. Ce fut ainsi pendant presque dix ans. Quand on présentait le groupe à l’extérieur, mes collègues s’amusaient en me désignant comme le «musicien politicien ». Actuellement, je suis un des conseillers municipaux de la commune de Bargny et je suis en même temps le président de la commission culture, tourisme et loisirs.
En tant que conseiller municipal, quel est votre point de vue sur le référendum?
Moi, je suis un socialiste. Je suis dans ce parti depuis l’époque de Senghor jusqu’à ce jour. (…) Mais dans chaque démocratie on trouvera une opposition. Maintenant, c’est au peuple de faire la différence et de trancher. Je sais que le Président Macky Sall est attentif aux problèmes des populations qui n’ont pas de moyens. Le Plan Sénégal émergent (PSE) et beaucoup d’autres initiatives le prouvent même s’il reste des choses à faire. En ce qui me concerne, je soutiens le Président. Ce n’est pas parce que je suis dans Benno Bokk Yaakaar ou que je suis du Ps que je ne dois pas avoir ma propre pensée. Je suis un homme libre et c’est mon esprit et mon savoir-faire qui me font vivre.
Donc, j’ai le droit de décerner des satisfécits à qui je veux et quand je le sens. Tout comme aussi, je me sens libre de dénoncer des choses quand je ne suis pas d’accord. Et on prie pour un climat apaisé lors du vote de dimanche. En politique, on peut montrer son désaccord sans être incorrect ou violent. Les choses ne durent jamais longtemps. L’on doit comprendre que c’est Dieu qui choisit les hommes qui sont au pouvoir. On peut être dans un camp, militer pour tel ou tel autre parti, mais Seul Dieu se chargera de choisir celui qui sera à la tête du pays. Macky Sall et moi ne sommes pas dans le même parti, mais pour l’instant, je suis pour ses ambitions et sa vision. Je veux aussi lui demander de ne pas prendre l’opposition pour des ennemis mais pour des adversaires.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans votre carrière ?
Parmi les moments qui m’ont le plus marqué, je peux citer lorsqu’on nous a nommés dans l’une des plus grandes télévisions du monde qu’est la Bbc comme « meilleur orchestre africain » et « meilleur album de l’année 2003 ». Une fois, aux États-Unis aussi, il y a une télévision qui ne recevait pas tous les artistes qui nous a reçus. Ce jour-là c’est mon morceau ‘’Bul ma miin’’ qui a été d’ailleurs choisi pour être joué et c’était une grande fierté pour moi.
Aussi, on devait jouer la soirée du prix Nobel de la paix et c’est un de mes morceaux qui a été choisi. L’autre chose, c’est lorsque Serigne Kosso Mbacké avait appelé pour un ‘’salsara’’ et il y avait toutes les personnalités. On y était un samedi et le Président Abdou Diouf devait y être le mardi pour une campagne électorale. Mais après ma prestation, Serigne Kosso Mbacké m’a donné un cheval qu’il avait prévu d’offrir au Président Diouf. Il m’a fait savoir que je méritais ce cadeau. C’était un grand honneur pour moi. Et pour ces distinctions, je remercie le Bon Dieu.
Vous pensez à la retraite ?
Oui, s’il plaît à Dieu je le veux. Je suis à la retraité de l’Orchestre national depuis dix ans. D’ailleurs, j’attire l’attention du président de la République sur le fait qu’il n’y a aucun retraité de l’Orchestre national qui bénéficie d’une pension. Et pourtant, ce qu’on doit cotiser pour nous ne dépasse pas 100 millions. L’Orchestre national a été formé sous Abdou Diouf, le Président Abdoulaye Wade est venu et a fait son devoir et nous avons espoir que Macky Sall fera de même parce qu’il accorde quand même une oreille attentive aux doléances des hommes de culture. La première dame ne cesse de faire montre de cette attention à l’orchestra Baobab. Nous prions pour que la paix ne cesse de régner au Sénégal.
BIGUE BOB ET AMINATA FAYE