Publié le 5 Jan 2015 - 14:29
EN VERITE AVEC SIMON (RAPPEUR)

‘’On ne peut pas faire de la politique tout le temps’’ 

 

Directeur du label ‘’Jolof 4 life 99 records’’, Simon Kouka vient d’être sacré rappeur de l’année. Dans cet entretien accordé à EnQuête, l’artiste producteur revient sur sa consécration,  plaide pour  une meilleure considération des artistes rappeurs et moins de politique. Pour ensuite dénoncer les longues détentions préventives.

 

Vous venez d’être élu rappeur de l’année. C’est un sacre avec lequel on n’est pas trop familier. Quelle est sa portée ?

C’est une initiative d’un animateur qui s’appelle Lamaye Sène qui fait chaque année une sorte de ‘’Awards’’ où il nomine les artistes et les meilleurs singles. Cette année, il a ouvert la ligne à ses auditeurs pour un vote des meilleurs artistes de 2014. Ils ont décidé que le ‘’Simon show’’ au Grand théâtre doit être récompensé. Il s’est concerté avec d’autres animateurs comme Pape Guèye, Kalz, Pape Sy Fall, ils ont tous approuvé vu que c’était une première dans l’organisation et le déroulement. Le hip-hop fait énormément de choses et cela passe inaperçu la plupart du temps malheureusement. Canabasse a fait une tournée dans les 14 régions du Sénégal, personne n’en a parlé.

Quand Nitdoff fait le ‘’show of the year’’, il suffit qu’il y ait un petit incident pour que tout le monde en parle en oubliant qu’il a rempli un stade à lui tout seul. Je pense à ces jeunes qui se battent, qui créent des structures comme reptile music, deep dound guiss ; elzo diam. Quand on voit tout cela, on dit qu’on n’est pas assez mis en avant. Je ne parle pas de ce que nous avons fait dans 11 régions du Sénégal où nous avons créé des bureaux des cultures urbaines ; on a formé des jeunes, nous avons noué des partenariats avec l’ISM, IAM, SupIMAX, pour que les jeunes se forment dans le management des métiers de la musique. Nous en sommes à 38 spectacles par an en payant des taxes qui vont dans les caisses de l’État. Nous participons au développement de ce pays et malheureusement, il y a plein de choses qui ne sont pas mises en évidence

Vous pensez-donc que les rappeurs sont sous-estimés ?

C’est ce que j’allais dire. Quand il s’est agi de descendre dans la rue pour combattre un projet qui devait tripatouiller la Constitution, les rappeurs étaient là. Quand il faut dire non ou s’attaquer à des choses sensibles comme certains maîtres de daara qui abusent des talibés etc., les rappeurs sont là pour dénoncer les travers clairement. Mais malheureusement, quand il y a certains projets intéressants, on se tourne vers les chanteurs de mbalax.

Je n’ai rien contre eux, même si j’ai proclamé la fin du mbalax. Il faut qu’on nous considère à notre juste valeur. Tout ceci, c’est en partie à cause de l’absence de support médiatique. On n’a pas des gens accrocs au hip-hop dans la presse. Je ne connais que Bigué Bob, Sisko et Grand Alioune. Mais le hip-hop de manière générale n’est pas un marché qui suscite la spécialisation culture urbaine chez les journalistes. Sans cela, c’est très difficile de montrer ce que nous faisons. Je pense au succès de la structure Africulture Urban dont nous nous sommes inspirés pour la transposer dans les régions. Au début, c’était un petit local derrière une décharge publique, aujourd’hui c’est devenu l’exemple de la réussite en banlieue.

Vous dites que c’est le ‘’Simon show’’ qui est sacré et non l’album.  Est-ce à dire que 2014 était une année moyenne sur le plan de la production artistique de manière générale ?

Non au contraire. En plus du show, j’ai sorti un triple album qui s’est pas mal vendu. Pour l’instant 2000 tirages ont été épuisés totalement. Il y a une autre commande de 3000 coffrets qui arrive car on doit commencer une tournée dans les régions. Le coffret (de 3 cd) est à 5000 F CFA. J’ai aussi sorti le premier album sur support USB, ce qui n’existe pas encore en Afrique. Il est à 10 000 F. La vente se porte bien aussi car 1000 albums ont déjà été vendus et 1000 autres sont commandés...

Un triple CD et un support USB, c’est risqué et onéreux sur le plan de la production. Pourquoi ce pari ?

C’est essayer de faire quelque chose qui ne s’est jamais fait. C’est mon cinquième produit mais il fallait innover. Donc j’ai pensé à un triple CD où il y aurait un album slam, un album rap, et un album vibes qui seraient chantonnés. Quand j’ai fait des recherches, il s’est trouvé que personne ne l’avait fait dans le monde. Je me suis dit que bien qu’on soit un pays sous-développé, il fallait donner l’espoir. Raison pour laquelle on a appelé cet album ‘’leader’’ pour signifier qu’on peut être d’un pays en développement et faire quelque chose que les occidentaux n’ont pas fait. Il y a des gens ici qui créent des programmes et des applications qui n’ont rien à envier à ceux des pays riches. C’est ce message qu’on voulait lancer pour dire qu’il fallait venir avec quelque chose d’original

La bataille de positionnement fait déjà rage à deux ans des échéances électorales. On vous entend moins sur ce terrain. Votre engagement citoyen s’est-il estompé avec Y’en a Marre ?

On ne peut pas faire de la politique tout le temps. Raison pour laquelle on ne nous a pas entendus car il fallait également montrer notre étiquette culturelle, artistique qui a fait de nous ce que nous sommes. Le message qu’il faut lancer aux politiques, c’est stop quoi ! Stop ! On ne peut pas être dans un pays et vouloir faire de la politique tout le temps. Il faut du concret à un certain moment. Aucun homme politique ne peut dire : ‘’Voici ma société, j’ai 400 employés’’, à l’image de Youssou Ndour. Il faut qu’ils arrêtent de vivre de l’amertume du peuple.

Ils ne peuvent pas être tout le temps dans des guéguerres de positionnement pour le pouvoir. C’est le peuple qui est souverain et non leurs partisans. Et le peuple leur en veut car 365 jours dans l’année, c’est politique, politique ! Comment nouer des coalitions, des partenariats justes pour des postes de sinécure. Le message que je donne aux jeunes et aux populations, c’est d’aller chercher leurs cartes et voter. ‘’Daas Fanaanal’’. Gardez les cartes et attendez le moment venu pour couper des têtes. Des gens sont morts pour que certains soient au pouvoir, aujourd’hui ils sont oubliés. Des jeunes sont en prison jusqu’à présent, je pense à ceux de Colobane. On a reçu des promesses fermes du ministre de la Justice qui affirme qu’ils seront au rôle pour les prochaines assises etc., mais jusqu’à présent nous suivons ce dossier et rien de concret n’a été fait. Les Sénégalais enregistrent out cela et attendent le bon moment pour sanctionner.

Quelle appréciation faites-vous du discours à la nation du président Macky Sall ?

Il a parlé de beaucoup de choses, mais il y a certains oublis comme les longues détentions préventives. J’ai parlé des jeunes de Colobane, mais d’autres sont en prison depuis belle lurette. Personne n’en parle et c’est un problème au Sénégal. Les prisons sont exiguës et les gens y sont entassés comme des sardines. Ce n’est pas normal, ce sont des êtres humains. Certains ont fait des choses, d’autres sont innocents. Ça fait mal d’être relâché au bout de 10 ans alors qu’on n’a rien fait. On perd toute une vie et on sera vu d’une certaine manière par la société.

C’est de ces choses concrètes dont il faut parler. Il y a d’excellentes choses qui se font comme la baisse du loyer ; certaines réformes du ministère de l’Éducation par rapport aux tricheries du concours des élèves-maîtres sont à saluer. Awa Marie Coll Seck, je lui tire mon chapeau pour avoir su préserver le pays d’Ebola grâce à Dieu... Je ne suis pas du genre à dire que tout est noir, non ! Il y a certaines bonnes choses qui se font. Mais le peuple attend sur autre chose. Il y eu des baisses, mais c’est minime, le gouvernement peut mieux faire ! Le peuple attend beaucoup de ce régime-là. Certains sont déjà déçus parce qu’il n’y a pas du concret, du palpable, ça ne pèse pas encore dans la bourse.

Ousmane Laye Diop (stagiaire)

 

 

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