Publié le 23 Oct 2014 - 16:16
ENTRETIEN AVEC ….. BALLA GAYE 1, ENTRAINEUR DE LUTTE

‘’Ce qui me fait mal dans l’arène…’’

 

Dans cet entretien, Balla Gaye 1, entraîneur de l’ex-roi des arènes, Balla Gaye 2, fait le bilan de la saison passée, évoque l’avenir de la lutte au Sénégal, revient sur la défaite de son poulain face à Bombardier et les péripéties dudit combat. Pour l’ancienne gloire et patron de l’école de lutte Balla Gaye, le fils de Double Less a repris sa forme.

 

Balla, quel bilan faites-vous de la saison de lutte écoulée ?

La saison s’est bien passée du côté de notre écurie car nous avons effectué 36 combats, soldés par 30 victoires, 5 défaites et un sans verdict. Et ces 5 défaites peuvent être expliquées par le fait qu’il n’y a plus de ‘’mbàpàt’’ (NDLR : séance de lutte traditionnelle souvent faite les nuits), ce qui veut dire qu’il n’y a plus un autre secteur où les jeunes loups pourraient apprendre des techniques de lutte simple. La seule alternative qui s’offre à eux,  c’est de s’entraîner pour, par la suite, aller directement au stade se frotter à leurs adversaires. Donc vous imaginez comment cela doit être compliqué pour quelqu’un qui va au stade pour un combat sans au préalable faire de ‘’mbàpàt’’. Nous sommes l’écurie qui a la plus de victoires au sein de l’arène.

Et quel regard avez-vous sur la lutte d’une manière générale ?

Ce qui me fait mal au niveau de l’arène, ce sont les lutteurs qui sont disqualifiés à cause de leur gros nombril. Ils disent qu’on ne peut lutter quand on a ce genre de handicap, alors que moi, j’ai vu quelques-uns qui en ont et qui ont des combats. Allez dans les écuries, vous allez en voir et en nombre pléthorique et qui, portant, s’entraînent. Pourquoi faire cette politique de deux poids deux mesures ? C’est une chose qu’on  doit revoir.

Autre chose qui me tient à cœur, c’est que le ministre des Sports (Matar Ba) doit nous édifier sur l’état des lieux en ce qui concerne la construction de l’arène nationale. Je pense qu’il est temps. On peut tout tolérer sauf rendre la vie difficile à quelqu’un sur son gagne-pain. C’est avec la lutte qu’on assure nos dépenses quotidiennes, elle est notre source de revenue, notre gagne-pain. Et il n’y a plus autres endroits pour y tenir un combat de Balla Gaye 2, Modou Lo, Bombardier, etc. Je pense que, à l’ouverture de la saison, les jeunes loups vont se frotter les mains, contrairement aux ténors. Ces derniers n’auront plus où lutter.

Comment voyez-vous le retrait en cascade des promoteurs et de certains sponsors ?

Le retrait des promoteurs a toujours existé au Sénégal. La preuve : il y a des promoteurs que vous, la jeune génération, n’avez pas connus. A titre d’exemples, je vous cite Bassirou Diagne, Vieux Djiby Diop. A leur époque, personne n’a jamais pensé que ceux qui organisent des combats présentement allaient attraper le virus de la lutte. Les promoteurs auxquels vous faites allusion sont venus, ils ont fait leur temps, ils ont dit avoir rempli leur mission, c’est normal qu’ils quittent et cèdent la place à d’autres.

Si vous organisez des combats pendant plus de 10 ans et qu’à un moment vous sentez que vous ne pouvez plus continuer, mais vous arrêtez, vous partez pour laisser la place à quelqu’un d’autre. Tant qu’il y aura la lutte, on verra toujours des promoteurs. Le promoteur cherche toujours ses intérêts. S’ils trouvent que donner 100 millions de cachet à un lutteur pour un combat, c’est trop, les jeunes  sont là, prêts à se frotter avec moins de 5 millions. Les Lac Rose, Sa Thiès, Boy Niang 2, tous n’ont pas empoché plus de 20 millions lors de leurs combats. Donc retenez que ce plafonnement de cachet va favoriser certains.

Donc cela ne vous fait pas peur ?

Pas du tout. Je n’en fais pas un problème. J’ai l’habitude de le voir. Ce n’est pas le retrait des promoteurs de la lutte qui m’inquiète, mais le manque d’infrastructures pour abriter les combats de titans. Surtout cette arène nationale que l’on nous a longtemps promise en vain. Si les autorités parviennent à la régler, on n’aura plus de souci à se faire au sein de la lutte.

Selon vous, la construction de l’arène mettra fin aux difficultés constatées au sein de la lutte ?

Si l’arène est construite, la lutte va continuer son bonhomme de chemin, peut-être que cela pourrait être difficile pour quelques-uns, mais on aura de belles affiches.

Vous ne partagez donc pas l’avis selon lequel la lutte est en train de disparaître…

Non, pas du tout. On peut être confronté à des problèmes, mais retenez que ce qui est sûr et certain, c’est que la lutte est entre les mains du Bon Dieu. Le recul ne fait pas partie du vocable de la lutte, au contraire elle va avancer. Elle a fait son bonhomme de chemin car elle a quitté des miettes pour arriver à des centaines de millions. Donc ce n’est pas demain la fin de cette discipline au Sénégal.

Et pourquoi donc ces bruits incessants au sein de l’arène ?

C’est du bruit. Les tapages et provocations animent la lutte, de l’ouverture de saison à la fin. La lutte a cette particularité. Cela n’enlève en rien son charme, au contraire cela la rend plus belle. Tant que le CNG (NDLR : Comité national de gestion de la lutte) sera là, il veillera à ce que les règles de l’art soient respectées. Et il n’hésitera pas à sévir ou à sanctionner en cas de dérapages de langage ou autres choses de ce genre. Et les exemples de lutteurs qui ont été sanctionnés ne manquent pas.

Quels sont les combats qui vous ont le plus marqué, côté technique et tactique ?

C’est le duel entre Modou Lô et Eumeu Sène. Tous les deux sont mes ‘’fils’’. Mais ce combat m’a plu surtout par la manière dont il s’est terminé. Il y avait de vraies techniques de lutte. C’était beau. Je ne parle pas du tombeur ou du vaincu mais c’est l’aspect de lutte qu’ils avaient ressorti ce jour-là qui m’a séduit. J’étais très content de la manière dont ils ont lutté. En tant que technicien, on avait été bien servi.

Yékini Jr et Modou Anta aussi m’a plu, car ils ont respecté les étapes de la lutte. Ils ont débuté par une bagarre pour terminer le combat en lutte pure. A chaque fois qu’un combat s’est fait dans les normes, nous, qui avons des écuries, sommes aux anges car ils montrent des exemples que nous, en tant qu’entraîneurs, pouvons utiliser pour les inculquer à nos poulains. Entre Ama Baldé et Malick Niang également, il y avait de la lutte, de la technique et du courage.

‘’Ama Baldé fait partie des meilleurs lutteurs de sa génération’’

A votre avis, quels sont, parmi les jeunes loups, ceux qui pourront prendre le relais dans un futur proche ?

Quelqu’un comme Diène Kaïré, Youssou Ndour. Ils enchaînent les victoires, donc je ne vois pas la raison pour laquelle ils ne pourront pas atterrir dans le cercle des ténors. Leurs aînés doivent leur tendre la main car ils ont fait leur preuve. Et c’est cela qui est logique. Ainsi, la lutte aura plus de grands lutteurs au grand bonheur de tout le monde. Il y a aussi les Sa Thiès, Ama Baldé… Ce dernier fait partie des meilleurs de sa génération.

Parlons de votre poulain Balla Gaye 2, comment il se porte actuellement ?

Pour moi, Balla Gaye 2 est toujours le roi des arènes.  A chaque fois qu’il noue son ‘’ngemb’’, c’est pour nous faire plaisir. On ne peut dire le nombre de fois qu’il nous a fait plaisir, depuis qu’il a commencé à lutter. On ne peut non plus quantifier ce plaisir. Hors de question pour nous dans cette vie de l’oublier. Il nous a pris des bas-fond pour nous amener au summum. Nous y sommes confortablement assis.

Et tant qu’il continuera à travailler, nous conserverons cette place. Pour moi, il est et reste le roi tant qu’il continuera sur cette lancée. Il a repris ses forces comme à ses débuts. Il est en forme. Son ventre a repris sa forme initiale, les avant-bras sont au top. Il s’entraîne aussi comme il le faut et sur tous les côtés. J’ai confiance en lui et je suis sûr que, s’il a un combat, il en sortira victorieux. Actuellement, il s’entraîne avec des gens plus expérimentés et doués que moi. Il est en train de d’expérimenter des techniques dont je n’ai pas le potentiel. J’ai totalement confiance.

‘’Avant son combat contre Bombardier, j’ai trouvé Balla Gaye 2 en train de vomir’’

Son combat contre Bombardier avait suscité un tollé, on disait qu’il était malade. Vous pensiez qu’il n’était pas apte à combattre ce jour-là ?

Le combat est derrière nous. Bombardier est le vainqueur, même si les commentaires vont bon train. Mais pour nous, c’est le passé. Une défaite n’est jamais facile à digérer du côté des supporters mais Balla Gaye 2 a été atteint de telle sorte qu’il ne pouvait faire autre chose que mordre la poussière. Il a été atteint mystiquement. Il n’y a pas de problème. Mais malgré cela, il n’a pas fui ou reculé d’un iota. Il a lutté dans les normes et sans tricher.

Qu’est-ce qui le prouve ?

Je suis allé le voir à deux reprises avant le combat et je l’ai trouvé en train de vomir. C’était une première. Il ne pouvait pas se lever alors qu’il devrait aller aux entraînements. Mais je n’ai toujours pas eu d’arrière-pensée. Pour moi, B52 devrait le battre et il l’a fait. Il n’y a pas de problème.

Aujourd’hui qu’il a recouvré la santé, avez-vous des contacts avec des promoteurs pour un combat ?

Peut-être qu’il a des contacts, car c’est son père (Double Less) qui est son manager. Je n’ai pas de nouvelles à ce propos.

PAR CHIEKH THIAM

 

 

Section: