Publié le 7 May 2024 - 12:09
IMPACT DE LA GRÈVE DES AGENTS LOCAUX AU SÉNÉGAL

Services communaux en crise

 

Depuis plusieurs mois, les agents des collectivités locales au Sénégal sont en grève pour protester contre leurs conditions salariales jugées insatisfaisantes. Cette mobilisation a paralysé de nombreuses activités dans les administrations locales et a suscité des inquiétudes quant à l'impact sur la prestation des services publics au niveau communal.

 

Dans la commune de Keur Massar Sud, une atmosphère de frustration et de mécontentement règne. Les conséquences des grèves des agents des collectivités locales et de santé commencent à se faire sentir de manière tangible chez la population très remontée contre ces premiers. ‘’Cela fait plus d’un mois que je fais des va-et-vient à l’état civil de la mairie de Keur Massar Sud pour un extrait de naissance pour mon petit-fils, mais à chaque fois, les locaux sont vides. Il est affiché devant le portail ‘On est en grève’’’, lâche Assane Diop. Une situation qui dure depuis des mois, mais qui a pris une tournure exponentielle depuis l’arrivée du nouveau gouvernement en avril dernier.

Pour Arame Guèye, habitante à la cité Ainoumady, l’État doit rapidement trouver une issue aux problèmes des agents. ‘’Il faut d’urgence apporter une solution palliative ou structurelle. C’est à cause de cette grève que je ne me suis pas présentée à un concours, car je n’avais pas de certificat de résidence’’, regrette-t-elle.

Ces perturbations à l’échelle nationale ne concernent pas uniquement les services de l’état civil, mais aussi ceux de certains districts sanitaires. Une bonne partie des agents de santé sont recrutés par des municipalités.

Cette situation a un impact direct sur la qualité des soins de santé disponibles

À cet effet, certains districts sanitaires ou hôpitaux  sont parfois perturbés, laissant les résidents dans l'incertitude et l'inquiétude quant à l'accès aux services de soins.

Pour cet agent sous l’anonymat, ‘’les populations sont des victimes collatérales, c’est pourquoi elles s‘efforcent parfois de venir au bureau et de ne pas suivre le mot d’ordre décrété par l’Intersyndicale’’.

D’après cette assistante-infirmière, le district sanitaire de Keur Massar Nord fait face à une pénurie de personnel, exacerbée par le fait que de nombreux agents municipaux sont payés par les deux communes de Keur Massar Nord et Sud. Cette situation a un impact direct sur la qualité des soins de santé disponibles pour les résidents qui se retrouvent confrontés à des délais d'attente plus longs et à une diminution de l'accessibilité aux services médicaux.

Au cœur des revendications des agents municipaux se trouve le refus de délivrer certains documents administratifs tels que les certificats de résidence, les certificats de mariage et les extraits de naissance.

Face à cette impasse, les agents municipaux et de santé réitèrent leur demande simple : le respect de l'augmentation des salaires prévue par la loi. Ils appellent les autorités compétentes à prendre des mesures immédiates pour résoudre ce conflit et à garantir que les droits des travailleurs soient respectés.

Depuis deux ans, ces agents courent derrière la mise en œuvre de leur statut de fonctionnaires locaux et l’augmentation généralisée des salaires. Ils dénoncent le fait qu'ils n'aient pas bénéficié dans la grande majorité des indemnités octroyées par le président de la République sortant à tous les fonctionnaires de l’État.

Bamba Diop : ‘’Les gouvernements qui se sont succédé n’ont pas encore respecté leur engagement.’’

Ce lundi 6 mai, ils ont encore décrété 120 heures de grève, espérant ainsi se faire entendre par le nouveau gouvernement. Selon le président de l’Intersyndicale qui regroupe quatre syndicats, Bamba Diop, ‘’les syndicats des collectivités territoriales ont réclamé que leur soit appliquée la mesure de revalorisation se fondant sur l'article 29 de la loi 2011-08 portant statut de la Fonction publique locale qui dit que toute revalorisation applicable aux fonctionnaires de l'État s'applique d'office aux fonctionnaires des collectivités locales. Ainsi, le 9 août 2022, le premier préavis de grève a été déposé par l'Intersyndicale des travailleurs des collectivités territoriales pour ouvrir des pourparlers sans suite. Des marches et grèves d'avertissement ont suivi depuis le 23 septembre 2022’’.

Pourtant, le nouveau gouvernement, par le biais du ministre de tutelle, Moussa Balla Fofana, juge ‘’légitime’’ la revendication des grévistes et avait promis de se pencher sur la ‘’revalorisation des salaires des travailleurs des collectivités territoriales’’.

Pour autant, cette sortie ne rassure pas trop les syndicalistes qui attendent des actes concrets, comme le recommande Bamba Diop. ‘’Le nouveau gouvernement a montré sa disponibilité à aller vers une issue, mais les travailleurs attendent du concret’’.

‘’Les travailleurs sont très conscients, mais c'est jusqu'à présent, les gouvernements qui se sont succédé n’ont pas encore respecté leur engagement’’, regrette-t-il.

Pourtant, pour Abdoukhadre Ndiaye, directeur du Centre national de la Fonction publique locale et de la formation (CNFPLF) dédouane tant bien que mal Bassirou Diomaye Faye et son nouveau cabinet. Ces derniers cherchent à désamorcer cette bombe, d’après lui. ‘’Sous le nouveau mandat présidentiel, l'État affiche une détermination sans faille à résoudre définitivement la question des revendications des travailleurs des collectivités territoriales. Malgré les défis financiers persistants, le nouveau ministre de l'Urbanisme, des Collectivités territoriales et de l'Aménagement des territoires, dans un récent communiqué, a réitéré son engagement à répondre de manière satisfaisante et durable aux légitimes aspirations des agents.

Les agents municipaux ont également menacé de fermer les cimetières communaux

Malgré la volonté de nouvelles autorités, cet expert, sous l’anonymat, doute fort que l’État respecte ses engagements, car la masse salariale est colossale. ‘’Les augmentations varient entre 80 000 et 300 000 F CFA pour presque 16.000 agents’’.

En effet, poursuit-il, ‘’il faut que l’État fasse un contrôle, car il y a beaucoup d’agents recrutés en raison des considérations politiques. Certains d’entre eux sont absentéistes ou occupent d’autres emplois. L’audit doit permettre d’aller sur de nouvelles bases’’.

À ce stade, Abdoukhadre Ndiaye relève que les détails spécifiques, notamment le nombre exact d'agents, sont les suivants : le nombre d’agents recensé est de 16 536 ; ceux qui sont certifiés 6 325 agents. Ceux qui sont dans le classeur bleu (en instance de régularisation) sont 7 435 et ceux qui sont classés rouge (hors du périmètre) sont 2 776.

Si rien n’est fait au cours des prochains jours,  les agents municipaux ont également menacé de fermer les cimetières communaux et de refuser de délivrer des certificats d'inhumation, mettant ainsi en péril les services funéraires dans la région.

Cette escalade des tensions souligne l'ampleur de la crise et l'urgence de trouver une solution équitable pour toutes les parties concernées.

Amadou Camara Gueye

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