Publié le 15 Apr 2020 - 22:52
IMPACTS DE LA COVID-19

Les misères des éleveurs de Rufisque

 

La Covid-19 n’épargne aucune activité, aucun secteur. Les éleveurs ne sont pas en reste, dans le lot des impactés. Ceux qui sont dans les foirails vivent des moments très difficiles, entre absence de clients et impossibilité de regagner leur patelin, à cause de l’état d’urgence. De plus, ils déplorent leur non prise en compte dans les aides prévues pour les secteurs économiques touchés et l’aphonie de leur ministère de tutelle.

 

Moins fiévreuse qu’à l’accoutumée, le foirail de Rufisque vit les contrecoups des mesures prises pour briser l’évolution de la Covid-19. Sur le site, une dizaine de barriques et des seaux d’eau sont disposés au bord d’une cuvette creusée. En pleine activité, des jeunes en sueur et mouillés par les eaux projetées par le lavage des moutons dans des mouvements presque synchrones.  L’eau issue de ces tâches effectuées, mélangée aux déjections, coule vers le réceptacle creusé pour la circonstance. Un peu plus loin, nous sommes cette fois en plein dans le foirail.

Des moutons sont rassemblés en plusieurs groupes sur une distance de plus de 100 m, entre lesquels des abris de fortunes sont aménagés. Il s’agit de parasols, d’espaces tenus par des piquets de bois aux toits en paille, aux toits bâchés, en zinc ou couverts par des nattes et occupés par des éleveurs-vendeurs. Dans les profondeurs du site, sous un temps clément, le ciel nuageux ne laisse presque percer aucun rayon solaire. On arrive à une aire où se remarquent des barrières en fer érigées circulairement et entrelacées avec des ficelles, à côté des piquets toujours disposés en rond, que des nasses viennent clôturées. C’est l’espace réservé aux bœufs et aux veaux. De beaux et imposants spécimens de différentes couleurs marron foncé, noire, d’un blanc terne ou d’autres au pigment métissé.

Dans l’un de ces enclos, plusieurs gaillards s’affairent sur une bête. Cordes autour de ses cornes, de ses jambes, sa queue tenue, ils essayent de maitriser la bête. Face à la force de l’animal, l’exercice dure plus d’un quart d’heure avant qu’ils n’arrivent à le maitriser, non sans mal et après qu’ils ont été ballottés dans toutes les directions. 

Toute cette manœuvre pour extraire de la bouche de l’animal une arête coincée entre ses dents. En effet, le bœuf n’avait cessé de baver depuis la veille et n’arrivait plus à manger, ce qui a alerté son propriétaire, un éleveur expérimenté. Il s’appelle Matar Ba. Trouvé au milieu de ses compagnons qui semblent épuisés, Matar porte un ensemble traditionnel en lin assorti à des mocassins noirs, une écharpe autour du cou. Le Walo-Walo de teint clair détaille les conséquences du coronavirus sur leur commerce de bêtes.

Il reconnait, d’emblée, que les lieux sont moins fréquentés que d’habitude. Il ajoute qu’ils ne peuvent plus aller chercher des animaux dans les zones où ils se fournissaient. Or, cela est une dimension essentielle de leur métier. Cette conjoncture est la conséquence de l’interdiction des voyages interurbains que les éleveurs acceptent. Mais, précise-t-il, une décision qui n’est pas sans leur créer d’énormes difficultés, même si la chaine d’approvisionnement n’est pas totalement rompue. Il leur est permis de convoyer des bêtes depuis les zones d’élevage et ce avec une seule personne autorisée avec le transporteur. Mais il faut le dire, sans possibilité de rebrousser chemin.  Une mesure qui a des conséquences : les éleveurs préfèrent ne pas venir dans ce cas. 

‘’Beaucoup d’entre nous sont venus, ont vendu leurs bêtes et sont bloqués ici’’

A quelques pâtés d’abris de là, d’autres éleveurs en ‘’sabador’’ de toutes les nuances, en harmonie pour certains avec des pantalons bouffants, le visage enturbanné à la Touareg pour quelques-uns ou tout simplement enroulé de la tête au cou pour d’autres, écoutant une musique apaisante d’Abou Djouba Deh distillée par une petite enceinte sono. Parmi eux, debout dans cette espace grouillant de moutons, de chèvres, au sol noirci par un mélange de bouse des bovins, ovins, caprins, se distingue Ibrahima Sall.

Originaire du Fouta, de Petel Dieguess, dans l’arrondissement de Gamadji Saré, dans le département de Podor, il parle des nombreux problèmes auxquels ils font face. Répétant les peines que le pasteur walo-walo a souligné, il confesse également : ‘’Beaucoup d’entre nous sont venus, ont vendu leurs bêtes et sont bloqués ici. D’autres ne peuvent tout simplement plus écouler leurs animaux, puisque les clients fuient les foules. Sur le plan économique, on ne gagne presque plus rien, à cause de l’arrêt des mouvements interurbains.’’

Notre interlocuteur, qui faisait plusieurs va-et-vient pour s’approvisionner entre Dakar et le Fouta, relève en plus qu’’’il n’y a plus de baptême, de mariage, ni de cérémonies funéraires…  Solennités pour lesquelles on achetait des bovidés, ovidés...’’ Il ne s’en arrête pas là. La réglementation des voyages à l’occasion desquels il s’approvisionnait en aliments de bétail pour ses brebis et vaches, a des répercussions sur ses troupeaux. Il s’en désole : ‘’En ce moment, ce sont les femmes et les enfants qui s’en occupent. En ces circonstances, nous sommes, plus que souvent, scotchés à nos téléphones pour discuter avec nos familles qui vivent des problèmes, des moments difficiles et qui sont dans la peur. Plus de 100 personnes sont dans cette situation, dans ce marché.’’

Des temps plus que difficiles, qui créent un stress autant pour Matar Ba que pour son hôte malien qui avait accompagné un convoyeur pour emmener des moutons avant la fermeture des frontières. Ce dernier soutient ne plus pouvoir retourner chez lui. ‘’On avait espéré qu’après la fin du premier état d’urgence déclaré, il pourrait repartir. Mais hélas, la durée a été étendue à un mois supplémentaire. Il ne mange pas beaucoup, on sent qu’il traine un spleen. On essaie de le mettre à l’aise, mais sans grand résultat’’.

Même si ces cas ne sont pas nombreux ici dans le marché de Rufisque, au foirail de Mbao et à la Seras, il y en a beaucoup, martèle-t-il.

L’Etat et ses services devraient contrôler les personnes dans ces cas et les autoriser à rentrer, si elles ne sont pas testées positives, disent en chœur les éleveurs qui regrettent que les autorisations de sortie soient suspendues.

Les impacts pour les transhumants

Ces éleveurs, actuellement, font face à des dépenses énormes, si on sait que le commerce est au ralenti. ‘’On doit nourrir notre cheptel pour ne pas que les bêtes meurent de faim ou de soif. Mais si on avait une autre alternative, on ne viendrait pas travailler, on resterait chez nous’’, s’attriste Matar Ba.

Dans beaucoup de zones pastorales, les pâturages sont épuisés. Beaucoup préparent la transhumance, au moment où d’autres l’ont déjà entamée. Comme Amadou Aliou Sall qui s’est établi à Ranérou Ferlo, en provenance du Fouta. Ce dernier, dans un discours entrecoupé de moments brefs de silence, le regard plein d’amertume, assis avec ses camarades d’infortune, dit avoir laissé sa famille et son bétail dans sa zone d’établissement temporaire, depuis un mois. Arguant son désir de rentrer pour se pencher sur son travail dont dépend sa famille et plusieurs de ses proches, il exprime son vœu le plus ardent actuellement : ‘’Je voudrais un livret pour rentrer. C’est mon problème ponctuel.’’

Par rapport à la transhumance présentement en cours, Ibrahima Sall, entre quelques mugissements et bêlements réguliers, exprime sa peur consécutive à l’écoute d’une émission sur une station radio. ‘’J’ai entendu dire qu’on réfléchissait sur son arrêt’’. Le cas échéant, on serait plus fatigués, nous les éleveurs du Djolof, du Fouta, du Ferlo qui prévoyons de migrer vers Tamba, Missirah, Koungueul, parce que ce sont les zones qui enregistrent le plus de pluies durant l’hivernage’’. Et de conclure : ‘’Actuellement, les ruraux et les éleveurs sont les plus impactés par cette pandémie.’’

L’élevage et les activités connexes oublies dans les mesures d’accompagnement

À propos des mesures d’accompagnement annoncées dont la distribution de vivres et de produits de première nécessité, l’éleveur originaire du Walo se sent exclu et continue de vivre avec ses propres moyens. Interrogé sur des rencontres ou des mesures prévues par leur ministère de tutelle, il indique : ‘’Le ministre de l’Elevage connait bien notre condition actuelle, les lieux où nous nous trouvons. Les autorités, on ne les voit que lorsque leurs intérêts sont en jeu. Après, elles disparaissent. On n’a encore reçu aucune aide. On n’a pas entendu de mesures prises en notre faveur. On n’a pas eu écho de réunion nous concernant. On écoute la radio et on suit la télé, mais rien.’’ 

Pourtant, les éleveurs établis à Rufisque ont participé, comme tous les Sénégalais, à l’effort national contre ce fléau, en mobilisant une forte somme qu’il ne reste plus qu’à aller verser, s’acquittant ainsi de leur devoir, observe-t-il.   Par contre, eux n’ont reçu de fournitures que des détergents et des barils d’eau du préfet. ‘’Si l’Etat veut nous aider, ses services savent où nous trouver, connaissent nos dirigeants. Peut-être que ce n’est juste pas encore dans leur priorité’’, fait remarquer un éleveur.

Ces pasteurs qui suivent de très près toutes les informations données, s’inquiètent pour le confinement total dont on a parlé le président Sall.  ‘’Quelqu’un à qui on ne donne pas de nourriture, ose-t-on lui demander de rester chez lui sans gage ?’’, s’interroge-t-il dans la foulée. Ibrahima Sall, le foutanké, très affecté par la situation et surtout par la séparation d’avec sa famille, se sent exclu de la tranche sociale sélectionnée à travers les factures d’eau et d’électricité. Pour cause, ce sont des forages qui les approvisionnent dans leurs villages et hameaux… Et la bonne formule était encore recherchée, selon les dires de Serigne Mbaye Thiam (7 avril 2020) sur les mesures d’accompagnement relatives à cette tranche.

Les vendeurs de foin aussi touchés

Sous des amoncellements de sacs de foin qui atteignent de grandes hauteurs et qui continuent d’être organisés par des jeunes qui travaillent à la chaine, un trio de commerçants d’aliments de bétail contrôle tout.  Si un des leurs ne cherche pas plus loin que les explications divines pour tout ce qui arrive, Modou Ndao, bonnet sur la tête, sert la même rengaine que les éleveurs-commerçants : ‘’Nos affaires ne marchent plus. On ne vit que de nos économies. Depuis 20 jours, je ne peux plus aller au Saloum où je m’approvisionnais. Par ailleurs, mes dépenses actuelles sont rationnalisées. Elles sont réduites à hauteur de 30 %’’, reconnait-il.

Le commerçant originaire de Louga constate un manque d’égard vis-à-vis de leur corporation qui n’est pas associée, pour le moment, au programme d’aide. Les ‘’bana-bana’’ ne sont pas reconnus, fulmine-t-il.

Poursuivant son coup de gueule, il déplore la posture des journalistes : ‘’Les journalistes doivent descendre sur le terrain pour s’enquérir des problèmes des gens. Ce que vous ne faites pas tous. Il faudra l’écrire’’, nous a-t-il enjoint. 

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