Publié le 18 Jan 2022 - 23:07
ITW MAMADOU AMADOU LY, ANCIEN CONSEILLER D’ABDOU DIOUF

‘’Un président de la République ne peut pas s’occuper de tout au quotidien ; il lui faut des relais’’

 

Politique de logement, gouvernance des sociétés nationales, retour du poste de Premier ministre, corruption au Sénégal ; l’ancien conseiller d’Abdou Diouf, Mamadou Amadou Ly, crache ses vérités dans ‘’Mémoires et convictions’’ qu’il vient de faire publier aux Editions L’Harmattan. Après un brillant parcours au sommet de l’Administration, l’administrateur civil, économiste, ancien gouverneur adjoint de Dakar et PDG de la Sicap, revient sur son parcours riche en enseignements, des Daaras jusqu’au sommet de l’Etat et des organisations internationales.

 

Parlez-nous un peu de vous. Qui est Mamadou Amadou Ly ?

Tout d’abord, je suis un Sénégalais authentique, enfant du Bossea, une grande région au cœur du Fouta. Je suis né d’une famille maraboutique où la tradition était la piété, l’apprentissage du Coran et du droit musulman. Notre vie quotidienne tournait autour des mosquées, des champs dans le village. L’école était quelque chose dont personne ne voulait, au départ. Mon oncle, Mamadou Racine Ly que je cite dans le livre et qui m’a éduqué, a été le premier à faire l’école française. C’était la volonté des Français de mettre à l’école des enfants issus des grandes familles pour qu’ils puissent s’ouvrir à leur système administratif, à leur culture, en s’éloignant peut-être de l’islam. On l’a donc obligé non seulement à faire l’école, mais aussi le service militaire. Par la suite, certains dont mon oncle ont compris que le monde bouge ; qu’il fallait être dans le train de cette évolution, tout en préservant autant que possible nos traditions, nos valeurs culturelles et religieuses. Ils ont montré qu’il était bien possible de fréquenter l’école, en restant ancrés dans nos valeurs traditionnelles.

Je me suis donc engouffré dans la brèche, malgré les réticences au départ de mon père. Après mon parcours académique au Sénégal et en France, j’ai été orienté au ministère chargé du Plan, puis à la Primature. J’ai aussi eu à diriger pas mal de sociétés stratégiques dont la Sicap, comme j’ai servi dans l’Administration territoriale en tant que gouverneur adjoint dans les régions de Dakar et de Kaolack.

Vous avez donc été un ‘’doomu daara’’ (enfant d’école coranique) comme on dit, puis haut fonctionnaire, de surcroit gouverneur adjoint, notamment à Dakar. Quelle lecture faites-vous de la mendicité ?

Je dirais que les marabouts ont essayé de prolonger les pratiques en vogue au village dans les villes. Or, ces pratiques n’étaient pas compatibles avec la vie urbaine. Au village, les habitants connaissent bien les enfants talibés ; ils ont un droit de contrôle sur leurs comportements. Quand un enfant dévie, tout habitant a la possibilité de l’appeler, de lui prodiguer des conseils. S’il ne change pas, on avise son marabout. Ce dernier réagit immédiatement pour le redresser. Ce n’est pas ce qu’on voit à Dakar et dans les grandes villes. Dans ces localités, la mendicité est surtout une voie pour la déviance. On voit des enfants de moins de 7 ans laissés à eux-mêmes avec tout ce que cela comporte comme tentation. Il n’y a personne pour les encadrer. S’ils n’ont pas de chance, ils deviennent soit des voyous, soit menteurs ou mal éduqués. Ça n’a rien à voir avec la philosophie de la mendicité telle que nous l’avons connue au village.

Que préconisez-vous pour une prise en charge correcte de cette lancinante question ?

C’est une question assez délicate. Je vais vous dire ce que nous faisions quand j’étais à la gouvernance de Dakar. A l’époque, le président Senghor, qui était beaucoup attaché à la salubrité, à la modernité, au désencombrement de Dakar, insistait beaucoup sur cette question comme sur les autres questions liées au désordre d’ailleurs. Tout ce qui constituait un désagrément dans la vie quotidienne des citoyens était sévèrement combattu. C’était l’encombrement de la voie publique, la pollution sonore, les problèmes d’hygiène et de la vie…

Sur la question de la mendicité plus particulièrement, on avait constitué un groupe de fonctionnaires venus de plusieurs départements : Urbanisme, Gendarmerie, Police, Sapeurs-Pompiers, Service d’hygiène, Cadastre, tous pour prendre en charge ces maux dont souffre la capitale. Tous les 15 jours, le gouverneur réunissait le groupe pour leur communiquer le programme. On raflait ainsi les mendiants et on les mettait dans un train pour les acheminer vers les régions frontalières, à Tambacounda. Pour les marabouts récalcitrants, il faut tout bonnement les arrêter, parce que c’est un crime contre les enfants.

Par ailleurs, je suis pour la mise en place d’écoles où l’on va permettre aux parents de donner à leurs enfants l’enseignement religieux qu’ils veulent, tout en apprenant des métiers.

Quid des autres maux liés au désordre que vous avez listés à Dakar ? Que faire pour les éradiquer définitivement ?

On les combattait avec la même détermination. On organisait, par exemple, beaucoup de rafles chez les marchands ambulants pour qu’ils quittent la voie publique. Aujourd’hui, il y a un laisser-aller total. Je pense qu’il est temps de prendre en charge très au sérieux ces questions-là. Pour en revenir à la question de la mendicité, je dois préciser que ce n’est pas seulement l’œuvre des enfants talibés issus des écoles coraniques. Il y a aussi le cas des personnes vivant avec un handicap, qu’elles soient des non-voyants ou autres. Pour moi, il faut d’abord les sensibiliser, inciter ceux qui les accompagnent à aller travailler et prendre en charge le membre de la famille vivant avec un handicap. S’ils insistent, on arrête les accompagnants. S’ils n’ont plus quelqu’un pour les accompagner, ils ne seront pas dans les rues. Pour les personnes dont les handicaps n’empêchent pas de travailler, il faut les former dans des métiers adaptés. On pourrait également envisager un fonds de solidarité pour assister ceux qui seront dans la nécessité. Cela demande certes des moyens, mais je pense qu’il le faut pour lutter contre ce visage hideux de la capitale.

Vous parlez beaucoup de la qualité de l’enseignement dans vos mémoires. Qu’est-ce qui, selon vous, a changé, pour que le système éducatif en arrive à son niveau de déliquescence d’aujourd’hui ?

Fondamentalement, je pense qu’il y a une crise de la vocation, aujourd’hui. A l’époque, l’instituteur était considéré comme un intellectuel de haut niveau, respecté non seulement pour son statut, mais aussi pour ce qu’il incarne en tant que quelqu’un qui dispense le savoir. A l’image du maitre coranique, l’enseignant incarnait la notabilité. Aussi bien les enfants que leurs parents le respectaient. Il y avait des liens très particuliers entre les uns et les autres. Autant de choses qui motivaient l’enseignant à travailler par amour, avec le souci de former les enfants et les jeunes, avenir de ce pays, qui passaient par ses mains. Sa fierté, c’était de voir un de ses élèves réussir. Ce n’est malheureusement plus le cas. L’enseignant a perdu sa valeur. Il ne jouit plus de la même respectabilité. Et cela se traduit sur la qualité du système éducatif.

La faute à qui ?

La faute incombe à la fois à la puissance publique et à la société. La puissance publique, parce qu’à un moment donné, on a cessé d’accorder de l’importance à l’enseignement. On dégage certes des budgets ; on construit des écoles, mais on le fait mécaniquement sans se soucier de la qualité, des conditions de travail. Aussi, nous sommes dans des sociétés où ne compte plus que l’argent. Toutes les énergies sont orientées vers la quête du matériel. Du coup, les instituteurs qui en ont le moins, comptent moins aux yeux de la société. Le métier n’a plus cette noblesse d’antan. Cela dit, il faut également augmenter les moyens en fonction de la croissance démographique.

Dans le livre, vous faites beaucoup de plaidoyers pour un retour des internats. Pourquoi ?

Effectivement. Je suis de ceux qui pensent qu’il faut ramener et revaloriser les internats. Pour moi, cela a été une erreur de les fermer pour des motifs d’ordre financier. Je pense que la qualité qui y ressortait en valait bien le coût. Le problème, c’était moins une question de budget que de mal gouvernance due aux détournements de deniers publics, aux surfacturations. Malheureusement, on a prétendu que les internats coûtent cher pour justifier leur fermeture. C’était un raccourci, à mon avis. Moi, je dis qu’il faut les ramener et il faut y mettre les meilleurs élèves qui seront recrutés à travers des concours rigoureux. C’est essentiel, car le progrès d’un pays dépend de la qualité de ses citoyens, particulièrement de l’élite. Un pays a besoin de locomotive, d’une élite qui pense, qui innove, qui cherche et qui trouve des solutions au développement. C’est comme ça qu’on peut développer nos pays. Et pour ce faire, il faut sélectionner les meilleurs parmi nos enfants et les accompagner durant tout leur cursus. Pour y parvenir, il faut que cela échappe aux politiciens. Seul le mérite devrait ouvrir les portes de ces internats.

Vous avez été au cœur de l’élaboration du Plan de développement économique et social dans les années 1970. Pensez-vous que la planification a encore toute sa place dans la mise en œuvre des politiques publiques ?

D’abord, il faut savoir que la planification, c’est un processus avec plusieurs étapes. La première, c’est de définir ce que l’on veut pour le pays. Diriger, c’est savoir ce que l’on veut et faire des choix. Après l’identification des besoins, il faudrait procéder à leur classement selon les priorités. Ensuite, il faut étudier ce dont on dispose comme ressources. Cela nous permet de savoir ce qu’on peut faire et ce qu’on ne peut pas faire. C’est donc une bonne chose de planifier. Elle doit être de rigueur, même à l’échelle des entreprises. Maintenant, il se trouve qu’on peut avoir des plans merveilleux, mais dont l’application pose problème. Pour une bonne mise en œuvre des plans, en effet, il faut de la discipline, des moyens financiers, des personnels qualifiés… Ce n’est pas non plus parce qu’on a quelques difficultés qu’il faut renoncer à l’exécution du plan. Malheureusement, parfois, on est obligé d’abandonner, parce que nous n’avons pas les possibilités de financer les politiques sur ressources propres. Il faut donc aller chercher les moyens ailleurs. Et si on ne parvient pas à les trouver, le plan tombe à l’eau. Ce sont des obstacles qui peuvent gangréner la mise en œuvre de la planification.

Quand on entend les gouvernants parler, on a l’impression que c’est avec le Plan Sénégal émergent que le Sénégal a commencé la planification sur des périodes plus ou moins longues, horizon 2035 par exemple…

J’avoue que depuis que je suis à la retraite, je ne me suis pas trop intéressé à ce qui se passe dans l’action gouvernementale. Maintenant, il faut savoir que toutes les structures appelées à durer ont des plans d’action à plus ou moins long terme. Un plan d’action qui leur permet de s’orienter, de savoir où elles vont. Qu’on l’appelle plan national, plan sectoriel, Plan Sénégal émergent ou qu’on les mette dans les cartons, il y a toujours un plan d’action. Même si la mise en œuvre a souvent posé problème, il faut le reconnaitre.

Vous avez été président-directeur général de la Sicap, directeur général de Hamo… De quoi êtes-vous le plus fier à travers vos passages dans ces sociétés nationales spécialisées dans le logement ?

Je dois dire que quand Hamo a été créée, j’étais très enthousiaste. L’idée d’avoir un outil qui permet de construire jusqu’à 15 maisons par jour, c’était exaltant, merveilleux…

Ce n’était pas une ambition démesurée ?

Dans certains cas, ce n’est pas impossible. D’autres pays en ont fait l’expérience. Malheureusement, il y a eu des blocages, dans notre cas. Il faut, en effet savoir que le bâtiment est un métier difficile et complexe. Cela demande principalement beaucoup d’argent, mais aussi de disposer d’une importante réserve foncière. On ne peut pas faire de grandes réalisations dans le domaine immobilier, sans financements importants, sans foncier. Vous voyez que le budget initial est souvent en deçà du coût final de l’ouvrage. L’autre problème avec ces sociétés, c’est que quand on construit, c’est pour vendre à crédit. Les clients paient sur le long terme.

Et dans nos pays, les gens ne paient pas toujours, pour une raison ou une autre. C’est donc une question très délicate. Enfin, il y a la question de la disponibilité du foncier. Quand la Sicap venait d’être créée, il y avait beaucoup de terrains à Dakar et environ. Mais l’Etat a tellement négligé les lotissements… Aujourd’hui, ces terrains sont occupés sauvagement. Faut-il détruire tous ces bidonvilles, ces quartiers non viabilisés pour refaire des logements dits modernes ? Ce n’est pas très simple. L’Etat devrait plutôt agir, avant ces occupations sauvages. Malheureusement, on a laissé les gens construire des logements n’importe comment et cela a donné ce que ça a donné, avec leurs lots de désagréments. Aujourd’hui, il est difficile d’y remédier. Peut-être quand l’Etat aura des moyens, et qu’il y ait des citoyens conscients qu’ils ne peuvent vivre comme ça, on pourra peut-être envisager de construire ailleurs, déloger des familles pour refaire ces bidonvilles. Mais c’est impensable dans le court-moyen terme.

Ce que je ne peux comprendre, par contre, c’est que l’on continue à reproduire les mêmes erreurs.

Vous avez travaillé à la Sicap et à Hamo…. Aujourd’hui, on a bien envie de demander à quoi servent ces sociétés publiques ?

Il faut reconnaitre que nous avons des sociétés qui fonctionnent au ralenti, d’après ce que je constate de loin. D’abord, elles n’ont plus les moyens financiers. Ensuite, comme je l’ai dit, il n’y a plus de réserves foncières. Elles essaient de bricoler, mais ce n’est plus comme avant. A l’époque, la Sicap avait des terrains, des financements, des clients enthousiastes. Tout cela n’existe plus ou presque. Peut-être seule la demande existe encore. Sinon, tous les terrains qui auraient dû être libres sont occupés de façon irrégulière. C’est le cas, par exemple, dans les villes de Pikine, Grand-Yoff, etc. Il n’y a donc plus de terrains libres…

Pouvez-vous revenir sur les raisons de votre départ de la Sicap à l’époque, alors que vous essayiez de la redresser ?

C’est une histoire burlesque, comme je dis. Moi, je suis tombé sur un cas de mal gouvernance et j’ai cherché à le clarifier. Mais vous savez, les hommes politiques n’aiment pas les scandales. Ils ont toujours peur d’être éclaboussés. Ce qui est choquant pour moi, ce n’est pas d’avoir été licencié, mais qu’on m’ait enlevé avec des prétextes qui ne sont pas justifiés. Jusqu’à présent, on ne m’a pas dit pourquoi j’ai été enlevé. Qu’est-ce qui s’est passé ? A la Sicap, des gens venaient payer tous les jours. Au lieu de verser l’argent à la banque, le caissier prenait une partie et bricolait à gauche et à droite. Quand j’ai découvert la supercherie, j’ai immédiatement appelé le ministre de l’Intérieur qui m’avait envoyé la Division des investigations criminelles.

Le caissier a alors été arrêté tout comme le directeur financier. Les enquêteurs ont fait leur travail et ont remis aux autorités administratives, dont Jean Colin, les dossiers. A mon grand étonnement, ce dernier m’avait envoyé des inspecteurs généraux d’Etat pour fouiller ma gestion, alors que je venais d’arriver. Ils ont fouillé de fond en comble et n’ont rien trouvé. Quand je prenais la Sicap, il n’y avait plus d’argent. Beaucoup d’argent a été investi au niveau du projet Fenêtre Mermoz qui n’a pas été achevé. C’est pourquoi j’ai essayé de comprendre. Malheureusement, ce n’était pas au goût de certains.

Cela ne pose-t-il pas le problème de gouvernance de nos sociétés nationales en général, avec aujourd’hui le problème qui éclabousse La Poste ?

Comme je l’ai dit, je ne m’intéresse plus beaucoup à la gestion de l’Administration. Je ne sais donc pas ce qui se passe dans de telles sociétés aujourd’hui. Ce que je peux dire, c’est que dans nos pays, l’Administration n’a jamais été un bon gestionnaire. Le fonctionnaire, quelle que soit sa compétence, quand il est à la tête d’une société d’Etat, il se sent un peu redevable envers celui qui l’a mis à son poste. Il n’est donc pas libre de faire ce qu’il veut. Parfois, l’Etat lui demande de faire quelque chose qui va à l’encontre des intérêts de l’entreprise et de la population. Certains peuvent prendre leur courage entre leurs mains et défendre les intérêts de l’entreprise. Mais la plupart préfèrent se taire pour durer à leur poste. Souvent, l’Etat s’appuie sur ces sociétés pour régler des problèmes individuels des militants, de proches… Si vous refusez, vous partez. C’est aussi ça la réalité. 

Que pensez-vous de la politique de logement du Sénégal, si l’on sait qu’ils sont nombreux les Sénégalais qui peinent à trouver des lopins de terre, au moment où une minorité accapare une bonne partie des terrains à usage d’habitation ?

Pour moi, la solution qui existe, c’est de trouver des propriétaires qui ne peuvent pas, par exemple, valoriser leurs terrains, de leur proposer des projets. Par exemple, le propriétaire met à la disposition de l’Etat ou du promoteur immobilier son terrain. Ce dernier va construire des immeubles et leur céder quelques appartements. Pour régler les problèmes de logement à Dakar, il faut nécessairement aller vers les constructions en hauteur. Les pavillons rez-de-chaussée, ce n’est plus possible. Ou du moins, ce n’est plus la solution.

Vous vous demandez dans votre livre pourquoi, malgré toutes les initiatives, de l’indépendance à nos jours, nos pays ont du mal à se développer. Avez-vous une réponse à cette grande question ?

J’ai essayé de faire le diagnostic dans le livre. En résumé, je dirais que le problème fondamental, c’est d’abord et avant tout une question de bons dirigeants, des dirigeants consciencieux, patriotes qui ont le sens de l’intérêt général et qui aspirent à faire de nos pays des Etats puissants et respectés. Cela nous manque terriblement. Et c’est la base de tous les autres problèmes que je liste à travers mes convictions.

Pourquoi vous n’avez jamais cherché à faire de la politique, malgré votre proximité avec les décideurs ?  

D’abord, cela n’a jamais été dans mon tempérament. Dans nos pays, la politique a beaucoup de contraintes. D’abord, des contraintes de temps, ensuite des contraintes de moyens, d’environnement familial... Quand on est dans la politique, on ne maitrise plus son temps. Notre emploi du temps est dicté par l’agenda politique imposé par le parti et les militants. Il s’y ajoute que ces militants constituent un boulet sur le plan social. Vous êtes obligés, par exemple, de répondre aux évènements : familial, religieux… Sur le plan financier, rien ne se fait en politique sans débourser de l’argent. Soit pour financer des réunions, soit pour répondre aux sollicitations des militants. Dans ces circonstances, soit vous êtes un homme riche et pouvez répondre à toutes les sollicitations ou alors si vous avez un poste, vous gérez un budget, vous avez tendance à mettre la main dans le pot de confiture. C’est-à-dire vous mettez la main dans le sac. Vous volez pour financer vos activités.

En outre, il faut mentir, tenir des promesses qu’on ne peut respecter. Cela ne me correspondait pas.

La tendance, aujourd’hui, pour les hauts fonctionnaires, est de se ruer vers la politique. Qu’est-ce qui les fait courir, à votre avis ?

Comme je l’ai dit plus haut, nous sommes dans un monde où la première valeur, c’est l’argent. Si tu n’as pas une belle voiture, une belle maison… tu n’es pas encore quelqu’un. Et certains pensent que la politique est le moyen le plus facile pour avoir tout ça. C’est l’argent qui compte dans le monde d’aujourd’hui. De plus, ça permet d’avoir le prestige du pouvoir. Dans certains cas, un fonctionnaire qui ne s’engage pas politiquement aura même du mal à bénéficier d’une promotion. Comme si c’est la politique qui confère la compétence, l’intégrité, la probité… C’est dommage qu’on en soit là.

Vous avez été à la Primature sous Abdou Diouf. Le poste avait été supprimé avant d’être restauré. De par votre expérience, pensez-vous qu’on peut se passer du poste de Premier ministre ?

Vous savez, le président de la République ne peut pas s’occuper de tout au quotidien. Même un Premier ministre ne peut pas le faire, même un ministre, a fortiori le président de la République. Les problèmes sont nombreux et complexes, au point qu’à chaque échelon, il faut un certain nombre de techniciens, technocrates pour analyser les problèmes et faire des suggestions au responsable qui prend la décision. Pour les questions qui ne méritent pas d’aller à un niveau supérieur, il faut les gérer à l’échelle inférieure et laisser aux décideurs le soin de prendre en charge les grandes décisions. Une seule personne ne peut pas tout régler. Il faut un relais à tous les niveaux.

Vous semblez avoir beaucoup de respect pour le président Abdou Diouf. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué chez l’homme ?

C’est quelqu’un de sympathique, compétent, mais surtout très respectueux envers ses collaborateurs. C’est quelqu’un qui écoute son entourage et essaie de tirer des conclusions les plus consensuelles possibles. Quand on est comme ça, on est toujours considéré comme mou, léger, alors qu’il n’en est rien. Quand on est chef, il ne faut pas être émotionnel, radical. Sinon, les conséquences des décisions peuvent être fâcheuses. Quelqu’un disait que la vérité est au centre, pas à la périphérie. Abdou Diouf l’avait bien compris. Et j’ai, à ce titre, beaucoup d’estime et de considération pour lui.

MOR AMAR

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