Publié le 30 Jan 2015 - 16:03
L’EMBOUCHURE DU FLEUVE CASAMANCE

Une catastrophe en dormance !

 

Le taux macabre de mortalité végétale, la salinisation et l’engloutissement des rizières de même que la délocalisation du grand fétiche du village de Nikine ne sont que la face visible de l’intrusion marine très avancée au niveau de l’embouchure du fleuve Casamance, qui depuis, attend non seulement  une riposte antiérosive pour stabiliser le cordon  Djimbéring, Nikine et Carabane, mais également la mise en œuvre annoncée du plan « Orio », afin de freiner  l’ensablement du chenal qui mène au port et à la gare maritime de  Ziguinchor.

 

Le mercredi 2 mai 2012, Aline Sitoé Diatta s’est enlisé sur un banc de sable, à hauteur de l’embouchure du fleuve Casamance. Il a fallu plus de trois heures de manœuvres entre l’équipage du navire et le commandement de la base marine d’Elinkine pour que le bateau se remette à flot en direction de Ziguinchor.

Une semaine auparavant, un autre bateau s’était « embourbé » au même endroit. Au-delà de ces ensablements,  c’est toute la problématique de la forte érosion côtière au niveau du littoral, entre Cap-skirring, Djimbéring, Diogué et Nikine, long de près de 30 kilomètres, qui empêche les populations de dormir. « La vitesse de décapage de notre côte est tout à fait inquiétante. Par endroit, il atteint une vitesse de 3m par an », se désole Tombon Guèye, président de la commune de Djimbéring. Si au niveau de la rive Cap-Skirring-Djimbéring, des dispositions ont déjà été prises pour retarder ce phénomène, c’est surtout sur le cordon entre Djimbéring et Carabane que le phénomène prend de l’ampleur.

Très vulnérable du fait notamment de l’existence dans cette zone d’une « roche meuble », le littoral  ne résiste plus aux assauts répétés des eaux de l’embouchure du fleuve Casamance et de l’océan atlantique. Entre 2004 et 2012, ce sont en tout près de 15 kilomètres de terre qui ont été avalés par la mer, a indiqué Lat Grand Dione, chef de la Brigade des Eaux et Forêts de Cabrousse. Les conséquences sont de plusieurs ordres. Sur le plan écologique, l’on assiste, depuis, à un taux très élevé de mortalité végétale, de déstructuration macabre de l’écosystème occasionnant une intrusion marine très avancée au niveau des rizières de Nikine, jadis chantées par tous.

Ce qui, au demeurant, les rend impropres à l’agriculture. « Les conséquences sont aussi d’ordre socioculturel. Le grand fétiche du village de Nikine a été délocalisé », relève le maire de Djimbéring. L’environnementaliste Tombon Guèye prédit que si une riposte efficace n’est pas entreprise pour stabiliser le cordon entre Djimbéring et Carabane, des villages comme Nikine, à l’embouchure du fleuve Casamance, risquent d’être effacés de la carte nationale, d’ici moins de 5O ans.

Le dragage du fleuve Casamance en question !

Loin de constituer une fatalité, l’érosion côtière au niveau du cordon Cap-skirring-Djimbéring-Nikine-Carabane qui, demain, aura raison de la navigabilité sur le fleuve, peut trouver une réponse définitive. Encore faudrait-il que les pouvoirs publics, les partenaires ainsi que les populations se mettent à l’œuvre. C’est tout le sens  qu’il faut accorder aux multiples journées de reboisement de filaos, une espèce qui résiste au sel, à la brise, au bétail et à l’insuffisance de la pluviométrie, organisées par la défunte Communauté rurale de Djimbéring pour, dit-on, « retarder une catastrophe en dormance , mais également freiner net l’ensablement inquiétante de l’embouchure du fleuve Casamance. 

Selon Mactar Fall, il faut draguer le fleuve Casamance. S’exprimant, le 2 mai 2012, jour de l’enlisement de Aline Sitoé Diatta, le commandant dudit bateau avait plaidé pour le dragage du fleuve, afin, dit-il, d’éviter tout risque d’échouage des navires sur les bancs de sable. « Il faudrait que le fleuve soit dragué. Tant que le fleuve ne sera pas dragué, des incidents pareils risqueront à tout moment de se produire, que ce soit pour  le bateau Aline Sitoé Diatta ou tout autre navire qui emprunte ce chenal’’, avait-il  demandé. « Cela arrivait aux autres. Aujourd’hui, c’est à nous », avait ajouté le commandant non sans toutefois souligné avoir attiré à plusieurs reprises l’attention du gouvernement sur l’ensablement du chenal.                   

Le plan « Orio » rangé aux oubliettes

A travers ces propos du commandant Fall, c’est toute la problématique du dragage de fleuve Casamance qui est ainsi posée. Pourtant, l’Etat avait projeté la mise en œuvre du plan « Orio ».  Un projet de près de 21 milliards de francs CFA, fruit de la coopération entre l’Etat du Sénégal et les Pays Bas. Outre  le désenclavement de la région méridionale du pays, le projet avait pour objet de faire du port de Ziguinchor, un pôle de développement économique et social pour Ziguinchor, Sédhiou et Kolda. Il visait aussi le renforcement de l’intégration sous régional.

Les travaux prévus dans le cadre dudit projet consistaient, par ailleurs, à draguer le fleuve Casamance à une profondeur de sept mètres avec une largeur de chenal de quatre cents (400) mètres, de mettre en place des outils modernes d’aide à la navigation sur le chenal, de réaliser une zone hydrocarbures d’une capacité de stockage pouvant satisfaire les besoins de la région naturelle de Casamance et des pays limitrophes.

Le plan « Orio » devait, autrement, permettre la création d’un entrepôt de conditionnement et de stockage des fruits et légumes au port de Ziguinchor, ainsi que la construction d’un port de pêche à Boudody (Ziguinchor). Il était également prévu de réhabiliter les infrastructures du port de Ziguinchor pour qu’il puisse recevoir des navires de grande taille. Celui-ci devait être doté de bâtiments administratifs et de complexes frigorifiques pour améliorer sa gestion. Par ailleurs, des infrastructures d’accostage devaient être réalisées au quai de débarquement de poissons de Boudody pour que ce dernier reçoive des pirogues de grande taille, de même que des équipements pour le traitement du poisson, dans des conditions d’hygiène et de sécurité requises par les normes de l’Union européenne.

Une « zone hydrocarbures » avait  aussi été annoncée dans la ville pour stocker de l’essence, du gasoil, du kérosène et du fuel lourd pour les bateaux et sociétés. Cette amélioration nette de la navigabilité sur le fleuve Casamance devait  permettre au port de s’ouvrir au reste du pays. A l’évidence,  les produits non ligneux, ceux de l’agroforesterie, de la pêche et des autres secteurs devaient également être évacués plus facilement, en grande quantité et sans risques de pourrissement partout dans le monde. Malheureusement, ce projet, comme tant d’autres annoncés en Casamance, semble rangé dans les tiroirs de l’oubli au moment ou l’Etat prône la territorialisation des politiques publiques pour un Sénégal Emergent.   

HUBERT SAGNA (ZIGUINCHOR)

 

 

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