Publié le 11 Aug 2014 - 12:01
LE COLONEL ABDOULAYE AZIZ NDAW AUTEUR DE L’OUVRAGE ‘’POUR L’HONNEUR DE LA GENDARMERIE’’

‘’J’ai pris toutes mes responsabilités, je suis prêt à faire face’’

 

C’est difficilement que le Colonel Abdoulaye Aziz Ndaw a accepté de glisser ces mots, quelques heures avant de se présenter devant sa hiérarchie, après avoir été rappelé à Dakar, depuis deux semaines. Dans les colonnes d’EnQuête qui avait publié en exclusivité les bonnes feuilles de l’ouvrage, ‘’Pour l’honneur de la Gendarmerie’’, en deux tomes, le colonel Ndaw revient sur… les sillons du livre. Il explique, avec plus de détails personnels, les raisons qui l’ont poussé à écrire, réaffirme sa volonté de prouver les faits soulevés dans l’ouvrage, si sa hiérarchie le lui demande, écarte avec fermeté l’argument du règlement de comptes avec le Général, refuse d’être assimilé à un officier qui a révélé des secrets d’Etat, réfute la thèse de la frustration et prend date. Les points abordés sont nombreux, même si notre interlocuteur, peu loquace, évite de les traiter en profondeur. Le Colonel, Ndaw qui déclare désormais s’en référer à sa hiérarchie, veut casser le débat sur sa loyauté par rapport à un  corps qu’il a servi plus de 40 ans en déclarant que ce n’est pas l’Armée qu’il vise, mais un groupe de ‘’cinq à six personnes’’.

 

Colonel, vous êtes finalement revenu à Dakar ce week-end, après avoir été rappelé par votre hiérarchie, finalement vous avez tenu parole ?

Comme je vous l’avais dit, je suis revenu dans mon pays pour me mettre à la disposition des autorités. Je n’ai pas fui. Beaucoup avaient estimé que je ne viendrais plus. Certains m’ont même conseillé dans ce sens. Mais moi je suis un homme d’honneur. J’ai écrit un livre pour dénoncer des pratiques qui ne cadrent pas avec le code d’honneur des officiers. C’est tout. Demain (Ndlr, aujourd’hui),  je vais me rendre au Haut-Commandement de la Gendarmerie nationale pour me mettre à la disposition des autorités militaires. J’ai pris des avocats (…). Je n’ai plus rien à dire.

Oui, mais accordez-nous au moins la possibilité de vous demander si vous vous attendez à être sanctionné par votre hiérarchie ?

Je ne m’attends à rien du tout. Je vous ai dit que je me mets à la disposition de ma hiérarchie qui va apprécier. Il y a une procédure qui est prévue dans mon cas. Il y a le Règlement et je suis un militaire.

Le président de la République a eu à déclarer, à la Voix de l’Amérique, que la réglementation militaire va s’appliquer contre vous, car vous avez violé le Règlement en publiant votre ouvrage…

La sortie du Président est normale. Je ne cherche pas à défier l’autorité. En vérité, ce n’est pas cela ma motivation. J’ai pris toutes mes responsabilités et je suis prêt à faire face. J’en parle d’ailleurs dans mon livre, dès le début. Je suis bien conscient d’avoir franchi une frontière mais il faut que les gens comprennent ce qui s’est passé. J’ai été cité dans des faits et mon nom a été sali. On m’a traîné dans la boue alors que je n’avais rien à voir avec les magouilles dénoncées à l’époque, en 2007. J’ai subi toutes sortes d’injustices.

On vous reproche d’avoir diffusé des secrets d’Etat et de fragiliser ainsi la Gendarmerie.

Mon livre n’a pas été écrit pour affaiblir un corps. Je ne m’attaque pas à la Gendarmerie, mais à la pratique de cinq, six personnes.L’Armée est encore valable, c’est une Armée nationale. Ce ne sont pas les pratiques d’un groupe qui peuvent ternir l’image de l’Armée. Elle est encore crédible et les officiers en général ne sont pas corrompus.Je reste convaincu qu’un officier ne doit pas profiter de sa fonction pour s’enrichir. Je suis pleinement responsable de mon livre. J’en assume donc tout le contenu. Si on me demande de le faire, j’apporterais les preuves de ce que j’affirme. Je sais que les gens que je cite sont capables de comploter contre l’Etat si leurs intérêts sont menacés. 

J’ai essayé pendant toute ma carrière de me protéger contre certaines pratiques et de protéger en même temps l’Armée. Je me suis investi à l’interne pour combattre cela, comme je le démontre dans mon ouvrage. Il est quand même curieux qu’on veuille après un tel investissement sur moi-même et de privations pour ma famille, qu’on ait voulu me salir en alignant des contrevérités sur ma personne. Vous savez, après 2007, on m’a envoyé en Guinée Bissao pour m’éloigner de Dakar, après qu’on m’ait relevé de mon poste de Haut commandant en second. Ma fille venait juste d’obtenir le baccalauréat et je n’avais pas d’argent pour l’envoyer étudier, alors qu’on parlait de milliards de francs Cfa à l’époque de détournés. Vous vous rendez compte. Mais en m’affectant à Bissao, cela m’a en même temps donné quelques moyens d’envoyer mes enfants en France pour étudier parce qu’il y avait des indemnités. 

Avez-vous reçu le soutien de membres de votre corps après la publication de l’ouvrage et les attaques qui ont suivi ?

Je n’ai pas cherché à contacter mes collègues pour cela. Cela ne les regarde pas.  Au fond, ce n’est pas le problème de la Gendarmerie. Ce n’est pas non plus l’affaire de l’amicale des Anciens enfants de troupe. C’est un engagement personnel lié à mon éducation, les valeurs auxquelles je crois, mon code d’honneur. La seule chose que je regrette, c’est que l’ouvrage soit sorti en plein ramadan. C’est moins mon agenda que celui de l’éditeur. Certains peuvent penser que cela ne correspond pas à l’islam. Je demande donc pardon aux Sénégalais pour les avoir distraits du ramadan. La vérité, c’est  que je reste militaire. Je dis ce que je crois. Cela peut blesser les personnes qui n’ont rien à voir avec les faits. On peut me reprocher de n’avoir pas mis de gants. Peut-être aussi que c’est une vérité trop crue et qu’elle peut blesser certains.

Et le Général Abdoulaye Fall dans tout cela, comment appréciez-vous déjà sa démission de son poste d’ambassadeur ?

Je n’ai aucune appréciation à faire par rapport au Général Fall. Cela fait 7 ans qu’on ne se parle plus. Tout ce qu’il a pu dire sur moi ne correspond pas à la vérité.

Il y a des passages à son endroit dans votre livre qui semblent quand même relever de propos d’un homme frustré.

Pourquoi devrais-je être frustré ?

On vous pose justement la question. Vous n’êtes par exemple pas devenu Général.

Vous devez sans doute connaître le Médecin-Colonel Souleymane Mboup. C’est lui qui a découvert le virus VIH2. C’est un brillant scientifique qui est mondialement connu. Eh bien, il n’est pas Général. On peut citer d’autres exemples comme celui du Médecin-Colonel Gorgui Diaw que beaucoup de femmes connaissent qui n’est pas devenu Général. Certains peuvent essayer de me caricaturer à dessein pour me décrédibiliser, mais je ne suis pas de ce genre-là. J’en parle dans mon ouvrage pour évoquer de nombreux exemples dans l’Armée qui ne sont pas devenus généraux alors qu’ils avaient un profil simplement extraordinaire.

Si vous n’êtes pas un homme frustré, pourquoi donc révéler des histoires qui relèvent strictement de vos vies privées, comme l’épisode des virées à Paris, par exemple ?

Je ne peux pas être dans cette logique-là, d’autant plus que je suis moi-même dans l’histoire. Je ne peux pas me reprocher ce que moi-même j’ai fait. C’était juste pour rendre compte du niveau de proximité qu’on a eu dans le passé. Comment nous avons cheminé ensemble. Nous sommes de la même promotion. Pendant 30 ans que nous nous sommes fréquentés, il s’est passé beaucoup de choses entre nous.

Quel effet attendez-vous que votre livre produise ?

Je ne sais pas. Je ne suis pas le Président. Je ne suis pas le procureur de la République. Je ne suis pas le juge. J’ai écrit un livre où je parle de détournement de deniers publics, de corruption, etc. C’est pour qu’on soit au courant de certaines pratiques. Hormis la motivation qui est de me libérer par rapport à moi-même, le livre n’a que ce but-là. Je n’ai révélé aucun secret d’Etat. 

Aujourd’hui est-ce que le Colonel Abdoulaye Aziz Ndaw a des regrets ? N’aurait-il pas finalement été plus commode pour le Colonel Ndaw d’attendre la retraite

Non, ç’aurait été banal si j’avais attendu ma retraite (…).

Mais que des regrets alors ?

Je n’ai aucun regret. Vous savez, quand cela se passait, personne n’avait pensé à ma famille. Ces épisodes ont été très durs pour moi et ma famille. Il y a une histoire que je ne voudrais pas raconter. Mais lorsque le complot sur les deux milliards a été monté contre moi, ma femme n’a pas pu supporter cela et elle est partie. Elle enseignait au lycée Blaise Diagne de Dakar, mais la pression sociale était trop forte pour elle. On l’interpellait au bout de la rue. Elle a craqué et on a préféré divorcer. Où est-ce qu’ils étaient tous ces gens qui parlent pendant que je vivais ces épreuves-là ? Et mes enfants alors ?

Cela peut crédibiliser par exemple le fait que ce vous racontez est le produit de simples frustrations ?

Non, les faits que j’évoque sont réels. Ils existent. Je vous l’ai dit, je peux les prouver.

Votre livre est très prisé. Il est introuvable. Les ventes doivent bien se comporter.

Ce n’est pas l’argent qui m’intéresse. Pour vous parler de façon crue, je m’en fous que cela rapporte ou pas. Je ne suis pas allé à la maison d’édition. Je ne sais pas combien ils ont vendu d’ouvrages. Ce qui m’intéresse, c’est ce que mes enfants pensent de moi et au fond si cela est bon pour mon pays. C’est vrai qu’il y a le règlement militaire, mais mon honneur est important. Il était question de me libérer par rapport à moi-même. 

 

 

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