Publié le 15 Sep 2014 - 12:40
LIBRE PAROLE

"Reformation " ou déformation ? Des délires  ethnicistes d’un ouvrage sur la république 

 

C’est un véritable paradoxe que de destiner un ouvrage à la conceptualisation de la conduite du changement et à la promotion d‘une nouvelle citoyenneté pour s’adonner en fait à un véritable délire ethniciste dont le thème de la « pulaarisation du pouvoir » offre un raccourci.

Par ethnicisme il faut entendre un travers idéologique à prétention scientifique et à effet politique et social pervers. Il consiste à donner au facteur ethnique, y compris là où sa réalité ou sa prépondérance ne sont pas ou plus avérées, un poids déterminant dans le fait politique ou social . L ethnicisme est la substitution illégitime d’une approche idéologique (souvent orientée) à une explication politique ou scientifique qui fait défaut.

Pour les chercheurs il n y a pas de tabou. : rien n’interdit à priori de parler des ethnies et de l’ethnicité. Quand la rigueur scientifique ou la probité intellectuelle l’exigent il faut appeler un chat un chat une fois prise les précautions épistémologiques nécessaires. Mais c’est la même exigence qui dicte d’éviter de prendre des vessies pour des lanternes, des perceptions périphériques pour des réalités vérifiées et des percepts pour des concepts.

Il faut rendre compte des dynamiques politiques dans leurs réalités intrinsèques. Cela exige de travailler sur des faits qui eux-mêmes ne peuvent jamais se réduire aux opinions ni à la seule idée que les acteurs se font eux-mêmes de leur rapport à la politique. Même si des membres d’un groupe socio-culturel se considéraient au pouvoir du seul fait de l’élection d’un des leurs, il va de soi que la perception des faits politiques au travers d’un prisme déterminé par la logique d’appartenance ethnique ne doit pas être confondue avec la réalité des choses, notamment dans le cadre républicain et démocratique qui est le nôtre.

Mais nos observations ne portent pas simplement sur cette éventualité. Il s’agit ici des analyses et discours d’un auteur qui émet des thèses ayant une prétention critique, scientifique et politique. L’ouvrage de Malick Ndiaye Sénégal où va la république ? (Paris, l’Harmattan ,2014) a surtout été perçu, dans les medias notamment, comme le cri de dissidence d’un membre de la mouvance présidentielle qui critique et charge politiquement le Pouvoir qu’il était censé devoir conseiller.

S’il est important en toute chose de prendre en compte les intentions déclarées, (et de reconnaître l’importance vitale de la critique intellectuelle),il n’en reste pas moins indispensable de se concentrer sur les actes réels, qu’ils soient d’ordre moral, politique, ou théorique. C’est à la pratique que l’on peut jauger les intentions (le projet) et juger ou évaluer.

L’ouvrage aborde beaucoup de problèmes importants, alerte sur des pratiques qui si elles sont avérées, constituent des défis à relever pour garder le cap d’un changement approfondi et concrétiser chaque jour d’avantage l’orientation de gouvernance vertueuse et démocratique.

Mais justement nous avons été très surpris de découvrir dans le discours critique de Ndiaye et à un niveau sérieux puisqu’il concerne son approche théorique et politique, le mal même qu’il prétend sur le tard dénoncer. En effet la rhétorique sur l’élaboration de la doctrine de conduite du changement initié par la deuxième alternance enchâsse, sans réussir à l’occulter, un ethnicisme inattendu. Cela s’est traduit par des incriminations non fondées et une lecture très paradoxale, peut-être révisée, et dans tous les cas très déformante, de l’accession au pouvoir du Président Macky Sall et de ses alliés en mars 2012.

Y a-t-il en effet des faits qui autorisent à affirmer, comme c’est le cas dans l’ouvrage, que lors des élections présidentielles de 2012 au Sénégal il y a eu « une modification de l’équilibre démographique électoral » (p : 137) par « des naturalisations massives » de membres d’un groupe ethnique ? Si cela avait été le cas n’y aurait-il pas alors eu complicité et faute de non dénonciation et à temps ? Par simple civisme, par devoir militant et/ou au nom de la nouvelle éthique politique proclamée,il eût vraiment fallu réagir à temps, si tant est que cette fable était avérée au-delà de simples accusations polémiques.

Comment des accusations aussi lourdes sont-elles conciliables (dans une conscience marquée par l’éthique citoyenne) avec les dithyrambes qui ont célébré chez l’auteur le « plébiscite » du peuple sénégalais qui a donné une victoire sans tâche au Président Macky Sall avec un score incontesté de 65%. ?

Y aurait-il donc eu des tâches cachées par le théoricien de la Réformation politique, et en l’occurrence une sorte de manipulation ethnique masquée d’un peuple dont le niveau de conscience et d’unité est pourtant connu ou reconnu de tous ?

Y a-t-il scoop ou délire. ? Est-on face à un procès de « réformation » ou ne s’agit-il pas plutôt d’une déformation idéologique avérée et mettant rétroactivement en cause la légitimité incontestable d’une accession au pouvoir ? Nous avons ici affaire à un phénomène proche de ce que le philosophe Marcien Towa désignait par le terme de rétrojection : Cela consiste à attribuer au passé des idées actuelles que l’on y injecte après coup mais avec une volonté idéologique mystificatrice de leur assigner la dignité de faits réels .

Il y a contradiction et schizophrénie idéologique dans l’ouvrage de M Ndiaye. Celui-ci , tout en ayant célébré une nouvelle République émergente, nous livre aussi des développements parmi lesquels figure l’«hypothèse d’une prise du pouvoir d’Etat sinon par le Fuuta du moins par les émigrés et la diaspora du Fuuta, singulièrement les Tukuloor du Fuuta ». A ceux-ci s’ajouteraient d’ailleurs, toujours selon lui, « l’Internationale halpulaar » où l’on retrouverait tout le Pulagu de Mauritanie, Guinée, Cameroun, Mali, Gabon :(p.137-138) :

Cette hypothèse, selon l’auteur est étayée et validée par « des frasques, des écarts de langages, des provocations de proches du Président » ou par des « réactions de tout ou partie de l’opinion à l’égard du profil marqué de certaines nominations » (p. 138).

Il y a ici un sérieux problème de raisonnement : l’argumentation pose problème. Des attitudes qui, si elles étaient avérées devraient à la limite être considérées comme des conséquences ou effets sont au contraire posées comme des causes explicatives !

L’analyse ethniciste persiste même quand l’auteur de Sénégal Où va la République ? envisage l’hypothèse basse où les nominations pourraient s’inscrire dans le cadre d’une sorte de redressement de torts par la promotion notamment des élites d’un groupe ethnique qui aurait subi auparavant des formes d’ostracisme. Non ici encore Ndiaye a tout faux car le Sénégal ne connait pas ce type de problème, et la nouvelle alternance n´’est pas en train de mettre en oeuvre une sorte d’accords d’Arusha à l’instar du Burundi en redressant, par torsion inverse, les exclusions de l’Etat qui y avaient frappé un certain groupe ethnique.

Dans le texte les inversions d’hypothèse comme les quelques précautions oratoires (vite tombées du reste) laissent entière une logique d’analyse profondément ethniciste. Celle-ci présuppose puis postule explicitement qu’avec la nouvelle alternance il s’est produit une prise ethnique de pouvoir avec une alliance de « groupes minoritaires enrôlés au nom d’une certaine stigmatisation de la wolofisation du Sénégal ». (p .138).

Il est très surprenant qu’en 2014 quelqu’un puisse raisonner au Sénégal e n termes d’une alliance des Futanke avec des « ethnies minoritaires » dans un processus d’accession au pouvoir d’Etat ; c’est du délire incompréhensible .La surprise est encore plus grande quand cela vient d’un intellectuel qui annonce l’ambition de nous instruire de nos réalités sociopolitiques et de construire une doctrine du changement pour conduire vers une nouvelle société.

Ses thèses sont évidemment inexactes et graves. L’ouvrage contient beaucoup de considérations qui le démentent. L’auteur y rend compte de sa participation aux évènements et luttes ayant débouché sur les élections de 2012 dont les résultats finaux ont été incontestés dans leur régularité. Et même en scrutant à la loupe la nature et la composition des partis et mouvements alliés au Parti du candidat victorieux, il est impossible de retrouver les présumées minorités ethniques qui se seraient alliées avec le parti de Macky sall pour prendre le pouvoir !

L’accession au pouvoir est un processus politique socialement enraciné et légalement déterminé par une constitution qui est fort claire. Elle ne saurait être recevable si elle devait revêtir un caractère racial, régional, ethnique, confessionnel ou simplement violent et illégal. Il n n’y a pas que la Constitution qui s’y oppose car le peuple sénégalais lui-même a un ancrage républicain et démocratique. La diversité des identités et des origines se subsume dans une unité politique historiquement construite.

L’idée d’une prise du pouvoir d’Etat par un groupe et/ou une alliance ethnique est clairement démentie par la réalité des résultats incontestés des élections présidentielles de 2012. Les scores enregistrés par les deux candidats les mieux placés aux deux tours contredisent avec force le délire ethniciste. Ils montrent le caractère national et politique des choix électoraux qui ne sont pas une adjonction de votes ethniques.

Puisque Ndiaye a parlé de prise de pouvoir fuutanké interrogeons les résultats électoraux de zones représentatives du Fuuta, en l’occurrence les régions de Matam et de Saint-Louis. Au 1er tour dans la région de Matam WADE a eu un score de 38,8% et Macky Sall 49%. Cela ne dénote aucun basculement ou différentiel important pouvant signifier une préférence fortement marquée par l’origine ethnique des candidats. Dans la région de Saint-Louis WADE a eu au 1er tour 40,53% face à Sall qui obtint 28,66% .Isolons-y comme exemple le Département de Podor pour rester cohérent dans la vérification de l’impact de l’ethnicité des candidats sur les choix électoraux : Au premier tour Wade y avait obtenu 40,46% contre 26% pour Macky Sall. Au 2ème tour des présidentielles les scores les plus élevés pour le candidat Macky Sall sont venus des régions suivantes : Fatick (74.27%), Dakar (73.59%), et kaolack (73.32%), Thiès (72.86%).

Il va de soi ainsi que l’idée de Futaankes qui montent à l’assaut du pouvoir d’Etat est plus proche d’un imaginaire à la Don Quichotte que de notre réalité sociopolitique nationale. Celle-ci met en évidence un jeu politique marqué par une conscience populaire mure et l’impact des enjeux républicains sur le comportement des électeurs. Quand elle existe, la mobilisation s’appuyant sur les réseaux ethniques n’a pas la capacité de dénaturer le cadre et les dynamiques démocratiques et républicains. Il faut préserver cet acquis et nous prémunir de l’intoxication ethniciste au plan intellectuel, idéologique et la manipulation politique du facteur ethnique.

Le leadership du Président Macky Sall a été et demeure national et politique . Sa légitimité n’est ni ethnique, ni réduite à une territorialité limitée. Il est d’ailleurs fort intéressant de rappeler que son leadership local comme maire s’exerça non pas chez les « Fuutanke » mais plutôt chez les sereer au coeur du Sine. Il est important aussi de rappeler que son ascension a été servie par une forte adhésion citoyenne directe. Son leadership qui a marqué un renouvellement générationnel s’est nanti d’une très forte adhésion citoyenne qui est allée largement au-delà des partis.

Quant à la diaspora, pratiquement perçue dans le texte comme le cheval de Troie de la pénétration politique fuutanke, il faudrait plutôt saluer le nouveau tournant de 2012 qui peut prendre les allures d’une irruption. Le leader Macky Sall a réussi à drainer très majoritairement dans son sillage cette force qui a voté pour lui à 73% au 2ème tour. Avant cette implication politique où s’est fédérée une diversité par l’origine et l’affiliation politique, la Diaspora s’est distinguée par son dynamisme et son engagement économique pour le Sénégal. Par exemple en 2012 les transferts d’argent opérés par les émigrés ont été en volume plus importants que l’Aide publique internationale au développement et aussi plus que l’Investissement Direct Etranger dont notre continent a bénéficié. Et notre pays vient en 4ème position (en quasi égalité avec le Nigeria) pour ce qui est du volume de transferts opérés par les émigrés. En effet au Sénégal les transferts issus de la diaspora ont fait 10,4% du PIB entre 2005 et 2012. La mobilisation politique amplifiée pendant l’ascension de Macky Sall exprime une tendance forte de la composante expatriée de la communauté nationale à prendre part à la vie du pays et à la construction d’un avenir meilleur.

Il serait très dommage et inexact d’en avoir une lecture ethniciste n’y voyant qu’une prise de pouvoir des fuutankés au travers de leurs ressortissants émigrés. Il faudrait plutôt saluer la concrétisation de la volonté politique exprimée déjà en 2004 lors de la Conférence des Intellectuels d’Afrique et de la Diaspora et qui voulait donner à cette dernière un statut identique à celui des Communautés Economiques régionales de l’Union Africaine. Les actes posés par le Président Sall s’inscrivent non pas dans une récompense clanique mais plutôt dans la concrétisation d’une gouvernance inclusive qui doit valoriser et promouvoir politiquement et économiquement la diaspora au travers de ses compétences et initiatives. La vérification n’est pas difficile au niveau des politiques en cours.

Au plan global notre peuple n’a pas une perception ou des penchants ethnistes. Très vieux par son histoire qui a forgé son unité dans des cadres étatiques multiséculaires avant même la colonisation, il est aussi très jeune. C’est un atout mais aussi un risque. Une rupture ou une perturbation dans la transmission ou la reproduction du lien social ainsi que des valeurs républicaines, civiques et démocratiques peut tout à fait menacer nos acquis. Sur les plans politique, social et institutionnel leur solidité ne les met pas en effet à l’abri d’une réversibilité

Les élites, au pouvoir ou non, ont ainsi des responsabilités sur le devenir d’une société et d’une nation dont près de 50% de la population constitutive a moins de 18 ans, et environ 43% a moins de 15 ans. Il faut mettre notre peuple à l’abri de toutes les menaces. Elles sont sécuritaires (en matière de santé, d’extrémisme violent, de narco trafic et autres criminalités) ; elles sont aussi économiques (trafics, blanchiment et autres délinquances financières qui interpellent les capacités de l’Etat de droit à faire face). Ces menaces sont aussi politiques et idéologiques, notamment celles qui ont des intentions ou des effets régressifs sur l’unité national, la solidité républicaine et la cohésion sociale formées dans la durée.

Tout en évitant l’alarmisme et dans le respect de la fonction et la liberté de critique des intellectuels et de tout citoyen il ne faut pas attendre que ce qui rampe atteigne la clôture ; l’ethnicisme n’est ni scientifique , ni républicain ;il a vocation à ramener en arrière , à diaboliser et diviser. Il peut favoriser des antagonismes au sein du peuple et agresser une légitimité politique en la rabaissant à des logiques claniques présentées comme l’irréductible réalité sociale africaine dans l’idéologie coloniale et ses survivances.

Deux ouvrages importants permettent entre autres de situer et pondérer la place de l’ethnicité dans la dynamique de construction nationale du Sénégal inscrit dans un cadre géopolitique plus large : Sénégal les Ethnies et la nation de Makhtar Diouf ( Paris , L’harmattan ,1994.205 p.) et le texte collectif Les Convergences culturelles au sein de la Nation Sénégalaise( Dakar , Ministère de la Culture et Coopération Française, 1996.366 p.).Ces textes montrent comment des dynamiques sociales et culturelles ont historiquement précédé et pratiquement fortifié les politiques et stratégies (postindépendance ) de construction nationale . Il existe une identité et une conscience nationales nonobstant la persistance d’une ethnicité ne constituant pas un facteur surdéterminant des réalités sociopolitiques

Comme le souligne Makhtar Diouf, si en Afrique il arrive souvent que le facteur ethnique intervienne « de façon décisive dans la configuration du paysage politique de bon nombre de pays » (p : 44) au Sénégal, à l’époque où il écrit « sur plus d’une quinzaine de partis politiques que compte le pays aucun n’a été constitué sur une base ethnique ou confessionnelle. ». Aujourd’hui, en ayant dépassé la centaine de partis la réalité n’a pas du tout changé. Quand un pays est touché au niveau de l’Etat par de l’ethnicisme il y a des marqueurs incontestables dans la composition des institutions qui dénoteront la discrimination ou la préférence et le déséquilibre quant à l’origine. Or ni notre armée, ni notre parlement ni l’administration, ni l’exécutif ou le judiciaire ou encore l’Ecole ne connaissent cette maladie qui induit ou exprime une fragilité étatique et une république chancelante. Mais aucun pays au monde n’est à l’abri d’une régression dont on a vu les dégâts en Belgique , au Rwanda et au Burundi.

Le peuple sénégalais ne s’est pas simplement construit sur des convergences de communautés différentes. Au cours de son histoire s’est progressivement formé un socle structuré par des invariants sociaux, culturels et politiques constitués dans le temps long de l’évolution des sociétés de notre aire géopolitique. Entre autres les travaux de Pathé Diagne (Pouvoirs Politiques traditionnels en Afrique occidentale ; Paris, Présence Africaine, 1967.294 p.) rendent compte des marques et tendances institutionnelles qui témoignent de la permanence dans notre histoire du souci d’équilibre et d’inclusion aux antipodes des types de pouvoirs sectaires.

Dans l’ouvrage sur les Convergences culturelles l’historien feu le Pr Oumar Kâne montre dans son texte intitulé Les racines d’une nation comment l’analyse du peuplement de la Sénégambie établit « l’ancienneté et la profondeur des brassages ethniques et culturels qui sous-tendent la formation du peuple sénégalais dans son ensemble ». Cela a constitué un socle dans la dynamique de constitution /construction nationale.

C’est donc vraiment se méprendre que d’imaginer que d’un groupe ethnoculturel ou d’un terroir à un autre les valeurs et conceptions puissent être très différentes ou se contredire : Quand le Nit Nit ay garabam ( l’homme est le remède de l’homme) est connu en wolof , il ne faut pas imaginer qu’un autre groupe comme les Hal pulaaren soit dans une distance culturelle telle qu’ils développeraient une conception non pas altruiste mais plutôt étroitement clanique de l’Homme. Parmi les critiques adressées au régime actuel l’auteur Ndiaye évoque le précepte Neddo ko Bandum au travers de la dénonciation du « Neddobanduisme » posé comme expression de clanisme. Ici aussi Ndiaye fait fausse route comme l’a récemment souligné un universitaire puularophone par ailleurs professionnel de la traduction. Il précise dans sa contribution adressée au SAES que Neddo ko Bandum n’est pas à entendre au sens littéral de « l’Homme, sa famille » mais plutôt comme l’équivalent humaniste de Nit Nit ay Garabam.

Sans donc diluer artificiellement les identités ethniques du Sénégal dans une «(meta-) culture nationale » il faut savoir qu’il y a effectivement une communauté psychique qui relie les sénégalais dans leur diversité . Aux antipodes de cette réalité l’ethnicisme met en avant leurs différences en fragmentant la nation et le peuple sénégalais.

Le livre de Malick Ndiaye aborde par ailleurs beaucoup de problèmes importants mais la crédibilité politique et la pertinence théorique y sont hypothéquées ou à tout le moins contrariées par divers facteurs dont nous retenons trois à titre d’exemple :

1º) La temporalité et la tonalité politiques du discours sont marquées par une discontinuité contradictoire (voir entre autres le chapitre VI). L’auteur célèbre ou défend puis pourfend et voue aux gémonies des régimes successifs, différents et opposés. Les retournements répétés finissent par poser un problème de crédibilité des positions et propositions.

2º) Le livre voit ses ambitions politiques et doctrinales affectées par un lyrisme (lié au vécu intense de l’auteur. Il a en effet pris part aux divers évènements liés au 23 mars 2011).Mais cela finit par le plonger dans un onirisme politique qui voit se profiler « une constituante » dans les AG de la place de l’Obélisque.

Il n’est pas interdit de rêver ; les utopies peuvent être des formes d’expression doctrinale ; mais quand il s’agit de décrire le réel pour le transformer ce n’est pas ou plus le bon moment. Justement là aussi la perspective de systématisation théorique ambitionnée par Ndiaye souffre largement d’un langage plutôt théoriciste avec notamment des tentatives conceptuelles et une forme discursive posant parfois des problèmes d’intelligibilité. Or Comme le soulignait le grand

philosophe Spinoza, il faut livrer nos pensées d’une manière qui puisse susciter « des oreilles bienveillantes pour entendre » les vérités éventuelles qu’elles proposeraient :

·3º) L’ethnicisme du livre de Ndiaye enchâssé dans un discours sur la transformation et la démocratie citoyenne fracasse ses ambitions scientifiques et réformatrices sur le terrain toxique d’une idéologie dont les effets dévastateurs sont largement connus en Afrique et ailleurs. C’est un très mauvais signal donné par celui-là même qui veut « renormer une conscience collective » dite « en divagation ». C’est un paradoxe pour un auteur affichant la volonté de se dégager des valeurs et paradigmes d’’origine occidentale, orientale et nord-africaine : L’ethnicisme dans son histoire a des racines coloniales et s’alimente dans les stratégies impériales visant à diviser pour régner, fragmenter des peuples réellement constitués au plan politique en une multitude d’ethnies et/ou de tribus. Avant la chute de l’Apartheid l’ethnicisme a fait partie de la quincaillerie idéologique et des outils tactiques pour tenter de prolonger ce système de domination et d’oppression. C’était avec l’assistance vaine d’idéologues de l’Extrême Droite européenne.Diverses théories et manoeuvres ont ainsi tenté de fragmenter la majorité noire unie par son histoire et sa conscience politiques par-delà même sa racialité. Il y avait volonté de disloquer le peuple d’Afrique du Sud déjà sur le chemin du triomphe politique, pour en faire de nombreuses minorités ethniques destinées à une sorte d’ « ethno-développement » sur le modèle des bantoustans. Le groupe Afrikaaner se poserait ainsi comme une minorité ethnique parmi d’autres , et susceptible ainsi prétendre à un cadre politique séparé . La manoeuvre échoua mais cette arme idéologique et politique pour désagréger des peuples constitués existe toujours.

L’histoire de l’ethnicisme est ainsi riche de nombreux autres exemples venant de toutes les régions de notre continent. Parmi les leçons à en tirer figure un devoir impérieux de démarcation, de critique et de démystification politique, scientifique et civique. Ce qui pourrait ressembler à la simple expression d’une pensée polémique nourrie par des frustrations n’a rien d’un outil politique tactique pour diaboliser ponctuellement l’adversaire et/ou attirer vers soi des masses de personnes au nom de la communauté ethnique. Non l’ethnicisme par de-là ses possibles fonctionnalités tactiques , elles-mêmes perverses, est stratégiquement non seulement diviseur mais aussi et surtout destructeur pour la construction nationale , démocratique et citoyenne .Il faut donc prendre clairement conscience qu’il contient , nolens volens, des germes de menace pour la République.

Ainsi à la question de savoir « Qui gouverne au Sénégal », seule une approche polémique non pertinente peut y répondre en envisageant de pouvoir identifier une « parentèle », un groupe ou une alliance de groupes ethniques. C’est pour cela que nous avons considéré que la théorie de la « Réformation » appelée de ses voeux par Malick Ndiaye est investie par une idéologie de la déformation. Et ce n’est pas un simple jeu de mots .

Et pourtant la politique ethnocentrée (ou ethnocentriste) n’est pas une fatalité africaine. Le Sénégal, comme d’autres pays de la région y échappe. Faisons en sorte que cela s’inscrive dans la longue durée. Cela impose de se départir des prismes déformants déterminés par l’idéologie (coloniale et postcoloniale) et/ou enracinés dans le sens commun. Il faut sortir de ces carcans pour être à la hauteur de toute ambition scientifique ou politique saine .Et comme Réforme ordonnée commence par soi-même, l’autocritique énoncée dans le titre de l’ouvrage devrait (devra) commencer par une réforme de l’entendement au niveau de son auteur : Elle est au coeur de toute éthique nouvelle mais aussi de tout projet réel de connaissance .

Massaër DIALLO politologue

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