Publié le 27 Feb 2015 - 08:13
LUTTE CONTRE BOKO HARAM

La solution est-elle enfin trouvée?

 

Pour Francesco Madeira, envoyé spécial du président de la Commission de l’Union africaine pour la coopération anti-terroriste au forum sur la paix et la sécurité en Afrique qui s’est tenu à Dakar du 15 au 16 décembre 2014, « l’Afrique est sur le point de devenir un lieu de transit du terrorisme». C’est d’ailleurs pour endiguer cette menace que représentent ces groupes terroristes en Afrique que l’un des cinq points cruciaux lors de ce forum était « la nécessité de s’adapter à une menace terroriste en pleine évolution ». Pas moins de treize groupes terroristes sont aujourd’hui actifs dans le continent africain. Le sujet a été discuté et des acteurs régionaux et sous régionaux ont été appelés à adopter des stratégies pour stopper ce phénomène destructeur.

Moins de deux mois plus tard, à l’issue du sommet d’Addis Abeba des 30 et 31 janvier 2015, l’Union Africaine a décidé de déployer une force destinée à combattre le groupe djihadiste nigérian. Cette force d'intervention anti-Boko Haram de 7 500 hommes regrouperait des soldats du Cameroun, du Tchad, du Niger, du Nigeria et du Bénin. Sans précision sur la date, l’Union Africaine (UA) avait par ailleurs annoncé qu’elle saisirait ensuite le Conseil de sécurité de l’ONU afin de discuter sur les questions relatives au financement d’un tel déploiement. Cette décision représente un pas important vers la lutte contre cette secte dont la force de nuisance n’a jamais été égalée par un groupe terroriste en Afrique.

Le Nigeria enfin conscient de la nécessite d’une aide extérieure

Le Nigeria est depuis quelques temps devenu la première puissance africaine au détriment de l’Afrique du Sud. Accepter un soutien extérieur est synonyme de reconnaitre l’incapacité de son armée forte de 90000 hommes à combattre Boko Haram à elle seule, ce qui selon lui est une contrevérité. C’est pourquoi les autorités nigérianes ont longtemps rejeté toute « ingérence étrangère ».

Finalement, conscient du fait qu’il n’arrive pas à enrayer seul l’expansion militaire de Boko Haram qui ne cesse de faire des désastres, ce qui lui a d’ailleurs fait renvoyer les élections au 28 mars pour des mesures de sécurité, le Nigeria accepte enfin la présence de troupes tchadiennes sur son sol en s’appuyant sur le prétexte selon lequel la présence du Tchad ne remet pas en cause « l’intégrité territoriale du Nigeria ». Contrairement au Cameroun le Tchad est membre avec le Nigeria et le Niger du Multinational Joint Task Force (MNJTF), créé en 2014 par le Tchad, le Niger et le Nigeria et destiné à lutter contre Boko Haram, donc il dispose d’un « accord de poursuite » de Boko Haram même en territoire nigérian.

Après des mois de défiance et d’incompréhension liée au déploiement d’une force étrangère, le Nigeria et ses voisins ont enfin réussi à se mettre d’accord sur une position commune. Le ministre nigérian des Affaires étrangères, Aminu Bashir Wali reste ferme malgré cet accord et se justifie en ces termes ; « combattre dans le cadre d’une guerre conventionnelle, c’est une chose. La guérilla, la lutte contre le terrorisme, c’est autre chose. Les forces armées conventionnelles ne sont pas particulièrement adaptées pour faire face à ce type de conflit. (...) Mais l’armée nigériane est capable de faire face et de vaincre Boko Haram. »

Alliance des forces africaines pour combattre Boko Haram

Comme pour répondre à l’appel du président camerounais Paul Biya, le 17 janvier passé Idriss Deby a ordonné des troupes tchadiennes à joindre les voisins camerounais pour combattre ensemble le groupe djihadiste nigérian. L’armée tchadienne, sous la commande du général Ahmat Darry Bazine déploie trois régiments de 800 hommes chacun, appuyés par des hélicoptères de combat MI-24 et 400 véhicules, dont des blindés. Selon l’AFP, un peu plus au nord, Mahamat Idriss Déby Itno, le propre fils du président campe son contingent d’environ 400 véhicules et des chars à la frontière entre le Niger et le Nigeria, à proximité immédiate de bastions de Boko Haram. Dès le 3 février, l’armée tchadienne  pénétra en territoire nigérian pour prendre le contrôle de la ville de Gambaru, rapidement reprise à la secte islamiste.

Le Cameroun quant à lui est entré dans la danse depuis bientôt un an, juste après l’enlèvement des jeunes écolières le 14 avril à Chibok mais il ne disposait pas du droit de pénétration en territoire Nigérian. C’est plutôt les djihadistes qui traversaient la frontière pour perpétrer régulièrement des attaques en territoire camerounais. La plus récente confrontation entre les deux armées est celle de la ville de Fotokol qui été le théâtre d'une contre-offensive de Boko Haram mercredi 31 janvier 2014. C’était un vrai massacre et il a fallu que les troupes camerounaises reçoivent des renforts de Kousséri ou Kolofata de la part des soldats Tchadiens qui avaient franchi la frontière pour prendre la ville de Gambaru à Boko Haram qui s’y tenait depuis environ un mois.

Le parlement Nigérien a voté ce lundi à l’unanimité pour l’envoi de 750 hommes aux Nigeria pour la lutte contre Boko Haram. Il est évident que les incursions répétées des djihadistes au nord du Cameroun menacent directement N’Djamena, distant de quelques kilomètres seulement et que le Niger et le Cameroun sont attaqués et se défendent des islamistes. Mais quelques soient les raisons sociales, économiques ou sécuritaires qui peuvent motiver ces pays, ça reste quand même un geste à saluer. Les nouvelles mesures de sécurité prises à Difa ont permis de déjouer deux attenants kamikazes ce dimanche ce lundi et même ce mercredi et des insurgés arrêtés.

Boko Haram reste encore une force très destructrice pour la sous-région.

Le déploiement de cette force dont le chef de la secte Aboubakar Shekau a annoncé la défaite dans une vidéo le 9 février dernier, semble avoir mis les djihadistes en colère. Ils ont procédé à l’exécution de près de 2000 personnes, ces derniers jours. Ce qui constitue le « pire massacre » jamais perpétré par le groupe islamiste, selon Amnesty International, précisant que des centaines de corps, trop nombreux pour être comptés, sont toujours éparpillés dans la brousse du Nigeria. Le dernier massacre le plus sanglant perpétré par Boko Haram remonte au 14 mars 2014. Il avait fait quelque 600 morts lorsque les insurgés ont attaqué la caserne militaire de Giwa, dans la ville de Maiduguri.

Les combats se font de plus en plus violents depuis l’annonce de l’UA d’envoyer une force africaine anti-Boko Haram au Nigeria. Ils menacent et attaquent tous les pays impliqués dont le Niger où un massacre de la ville de Difa a fait plus de 50 morts. Boko Haram   avait aussi pris la ville nigériane de Baga au début du mois de janvier et s’était emparé en même temps de la base qui devait accueillir le Multinational Joint Task Force (MNJTF).

Si le bilan est lourd du côté des forces militaires (sept soldats camerounais, neuf soldats tchadiens à Fotokol), il le reste encore plus lourd chez les djihadistes (entre 50 et 100 combattants à Fotokol et plus 200 à Gamboru) selon les medias locaux. Mais cela ne semble pas avoir mis un terme à la capacité de nuisance du groupe djihadiste car les victimes civiles demeurent inestimables. Il ne se passe pas un jour sans Boko Haram ne fasse des victimes.

L’aspect financier : éventuel obstacle à une telle opération 

Comme pour toujours, le souci principal lié à la réussite de cette opération reste la question logistique et financière. L’UA a des hommes, mais elle manque de moyens. Il était prévu qu’elle saisisse officiellement le Conseil de Sécurité des Nations Unies, pour lui demander d’apporter, à travers un fond dédié, un trust fund, une aide logistique et financière à la force multinationale africaine de quelque 7 500 hommes, qui sera appelée, selon la présidente de la Commission de l'Union africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma, à combattre Boko Haram. Pour que cela se fasse, des experts africains allaient d’abord se réunir à Yaoundé du 5 au 7 février dernier, pour définir les détails opérationnels de la force internationale mixte. Ce n’est donc qu’à l’issu de cette rencontre que l’Union Africaine allait saisir formellement New York. Il se trouve que jusque-là il n’y a pas d’écho concernant la suite des évènements.

Y a-t-il encore la main de la France ?

Paris a installé, en août 2014, le quartier général de son opération Barkhane à N’Djamena. Même si le ministre français de la défense rappelle que Barkhane, avec ses 3500 hommes, est destinée à lutter contre le terrorisme dans la bande sahélo-saharienne et non contre Boko Haram, Paris comme à l’accoutumé y participe indirectement en soutenant l’action tchadienne avec des missions de reconnaissance au-dessus du Tchad et du Cameroun. Une cellule de coordination et de liaison du renseignement a d’ailleurs été créée à N’Djamena. Elle doit permettre aux états-majors du Niger, du Tchad et de la France de partager des renseignements. Par ailleurs, la France avec les Etats Unis et le Canada, participe à la Cellule régionale de fusion du renseignement, mise en place à Abuja le 11 octobre 2014. L’objectif était alors la libération des jeunes otages de Chibok.

Enfin une solution contre Boko Haram ?

Jamais une telle force africaine n’a été mise à l’assaut pour mettre fin au groupe terroriste nigérian. Boko Haram aura du mal à faire face à une force multinationale de 8700 hommes. Déjà les troupes ne sont pas encore au complet et les islamistes subissent des pertes humaines jamais connues depuis sa création en 2007. L’enlèvement des jeunes filles de Chibok en avril 2014 avait soulevé une forte indignation à travers le monde entier mais contrairement à aujourd’hui, aucune action concrète n’a été faite. Même si le groupe djihadiste a toujours une capacité de nuisance non négligeable malgré ses pertes, tout laissent croire que si cette mission continue sur cette lancée, on entendra plus parler de Boko Haram à la fin de celle-ci. Cependant c’est sous-estimer Boko Haram que de croire que le groupe sera anéantie très vite et facilement, ce dont est conscient GoodLuck Jonathan qui affirme avec réserve que des avancées significatives seront connues dans les six semaines à venir.

Latyr TINE Etudiant chercheur

Laboratoire d’Etudes Africaines et Postcoloniales

Ecole doctorale ARCIV Faculté des Lettres et Sciences Humaines

Université Cheikh Anta Diop de Dakar tinelatyr@yahoo.fr

 

Section: