Publié le 6 Dec 2023 - 22:36
MISE EN PLACE DE L’AES ET ÉCHEC DU G5 SAHEL

Quand des États ouest-africains essaient de prendre en charge leur sécurité

 

Le départ du Burkina Faso et du Niger a pratiquement sonné le glas de la force G5 Sahel dont l’échec dans la lutte contre le terrorisme au Sahel est retentissant. Trois ex-membres de l’organisation, dictés par la nécessité de s’unir, tentent une approche plus souverainiste avec la mise en place de l’Alliance des États du Sahel (AES).

 

Exit la force conjointe G5 Sahel. Bienvenue à l’Alliance des États du Sahel (AES). Si la mise en place de la seconde organisation interétatique entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger est antérieure à la dissolution officielle (qui se fait attendre) du G5 Sahel, le passage de témoin entre les deux structures de lutte contre le terrorisme et l’insécurité dans le Sahel est inéluctable. D’un organisme à tutorat international avec le G5 Sahel, Bamako, Ouagadougou et Niamey ont décidé d’affronter leurs problèmes sécuritaires par leurs propres moyens, avec la mise en place de l’AES. Un clin d’œil à la CEDEAO et à la communauté internationale, même si les défis à surmonter restent de taille.

Le départ annoncé le samedi 2 décembre 2023 du Burkina Faso  et du Niger de la force conjointe G5 Sahel rend absurde la continuité de cette alliance créée en 2014, avec en plus le Mali, la Mauritanie et le Tchad. En rejoignant Bamako qui avait claqué la porte en mai 2022, Ouagadougou et Niamey ont amputé l’organisation de son tronc, laissant derrière eux les deux pays aux extrémités dont les intérêts directs  sont aussi éloignés que laisse paraître leur disparité géographique.

Lancé en grande pompe avec le soutien de la France et de la communauté internationale, le G5 Sahel avait comme ambition l’autonomisation et la coordination des armées de la région pour qu’elles mènent elles-mêmes la lutte antidjihadiste, en remplacement de l'opération militaire française Barkhane, dédiée à la lutte antiterroriste dans l’ensemble du Sahel.

Une force G5 Sahel inefficace et non financée

Malgré la mise en place d’une force militaire conjointe aux cinq États, financée en grande partie par les partenaires internationaux, en particulier l’Union européenne, les financements promis n’ont jamais atteint les espérances afin de doter cette armée d’une véritable force de frappe.

Ainsi, lors de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU en mai dernier, la sous-secrétaire générale pour l’Afrique, Martha Ama Akya Pobee, relatait des groupes armés non étatiques qui mènent ‘’des attaques à grande échelle contre des cibles civiles et militaires, et d’étendre leurs zones d’influence respectives pour contrôler les principales voies d’approvisionnement, tout particulièrement dans les zones frontalières entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, dans la région du Liptako-Gourma’’.

Madame Pobee a également regretté que la force G5 Sahel, huit ans après sa création, souffre d’un soutien insuffisant de la communauté internationale pour être pleinement autonome : ’’L’absence de consensus entre partenaires et donateurs sur le mécanisme de soutien le plus efficace à la force conjointe s’est avérée être l’obstacle le plus significatif à cet égard.’’ Près de deux ans après sa création, moins de la moitié des 418 millions d’euros promis par la communauté internationale a été versée, selon l'ONU.

Dans la même réunion du Conseil de sécurité, la Fédération de Russie a, pour sa part, estimé que le maintien de la paix et de la sécurité dans le Sahara-Sahel revient aux États de la région eux-mêmes, en donnant la primauté aux ‘’solutions africaines aux problèmes africains’’.

Cette approche a été privilégiée par les trois pays du G5 Sahel qui ont mis en place, en septembre dernier, l’AES.

Un test de l’approche militaire de la sécurité

La particularité commune aux trois États est la prise du pouvoir par des régimes militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger avec des accointances avec la Russie. Là où neuf ans de présence militaire française et onusienne n’ont pas permis d’améliorer la situation sécuritaire dans le Sahel, en particulier au Mali, la nouvelle alliance espère partir sur de nouvelles bases en capitalisant sur l’assistance non officielle de l’organisation paramilitaire russe Wagner.

Depuis, quelques résultats ont été notés au plan militaire. La plus symbolique est la reprise de Kidal (Nord) annoncée le 14 novembre dernier par l’armée malienne, aux séparatistes touaregs après des années d'absence de ce territoire stratégique devenu un enjeu majeur de souveraineté pour l'État central. L'armée et l'État maliens n'y avaient plus posé pied depuis mai 2014.

Mise en place par la charte du Liptako-Gourma, qui comporte 17 articles, l’AES engage ses membres à ‘’lutter contre le terrorisme sous toutes ses formes et la criminalité en bande organisée dans l’espace commun de l’alliance’’ et à s’assister en cas d’attaque extérieure. Un point crucial en perspective du maintien en place des pouvoirs militaires dans ces trois pays, face notamment à la menace d’intervention militaire brandie par la CEDEAO pour remettre au pouvoir le président Bazoum au Niger.

Si le Mali et le Burkina Faso avaient déjà annoncé leur intention d’assister Niamey en cas d’attaque de l’organisation sous-régionale, ils disposent désormais d’un cadre officiel pour le faire.

Beaucoup de défis à relever  

Alors que la CEDEAO reste au stade de discussions pour la création d’une force militaire opérationnelle, trois de ses membres suspendus ont fait le pari de la souveraineté sécuritaire.

Toutefois, des questions demeurent sur la possibilité de pérenniser l’AES. La plus soulevée est la disponibilité de moyens financiers pour supporter l’opérationnalisation de cette organisation. D’autant plus que ces États sont sous embargo financier imposé par la CEDEAO et l’UEMOA. Selon l’article 10 de la charte du Liptako-Gourma, ‘’le financement de l’alliance est assuré par les contributions des États parties’’.

Si la dégradation de la situation sécuritaire entre les États membres leur impose de mutualiser leurs forces, de même que la présence de régimes militaires, l’on peut se demander si une restauration de l’ordre constitutionnel dans ces États permettra de maintenir cette alliance.

Lamine Diouf

 

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