Publié le 8 Oct 2019 - 03:18
MOUSSA WELE, DOCTORANT-CHERCHEUR EN ARCHÈOLOGIE SOUS-MARINE

‘’Il y a 50 sites inventoriés au large de la presqu’île de Dakar’’

 

L’arrestation du lutteur Khadim Ndiaye 2 et de son acolyte M. Mbengue, pour une histoire de pillage portant sur des tuyaux de 24 pouces de diamètre au large de Thiaroye, a poussé ‘’EnQuête’’ à s’intéresser au patrimoine culturel subaquatique sénégalais. Dans cet entretien, le doctorant-chercheur en archéologie, Moussa Wélé, affirme qu’il y a plus de 50 sites qui ont été recensés au large de la presqu’île de Dakar.

 

Que signifie patrimoine culturel subaquatique ?

Il peut être défini comme toute trace d’existence humaine, immergée partiellement, périodiquement ou totalement depuis 100 ans au moins. Il peut représenter une identité des peuples, mais également une partie d’une histoire maritime. Il témoigne des relations entre l’homme et son environnement maritime. Il permet de reconstruire des modes de vie disparus et apporte de précieuses connaissances en ce qui concerne, par exemple, les constructions navales, le quotidien à bord d’un navire, les routes de commerce ou les civilisations maritimes.

Peut-on avoir une idée du nombre d’épaves qui se trouvent sur la presqu’île du Cap-Vert ?

Si on prend l’exemple de l’histoire du Sénégal qui a une histoire maritime importante, depuis la nuit des temps, on voit que les communautés interagissaient avec l’environnement marin. Donc, on note la formation de sites archéologiques qui sont submergés actuellement du fait des fluctuations climatiques. C’était des sites archéologiques terrestres, mais actuellement, avec les phénomènes du réchauffement climatique, ces sites sont sous l’eau et se retrouvent particulièrement dans le delta du Saloum. Ensuite, récemment avec l’épisode du commerce atlantique, avec la Seconde Guerre mondiale, à Dakar et plus précisément au large de Gorée, où on peut trouver pas mal d’épaves. Soit c’est celles de bateaux, d’avions ou de sous-marins qui sont liés à cette partie de notre histoire. Par exemple, à l’entrée de l’île de Gorée, le contournement de la chaloupe s’explique par le fait qu’il y a une épave d’un navire de la Seconde Guerre mondiale qui y repose avec 13 m de profondeur. Il s’appelle ‘’Takoma’’. D’autres recherches sont en cours. Dernièrement, nous avons découvert une épave du XVIIIe siècle. Les études sont en cours pour qu’on puisse connaitre la date exacte et son identification aussi. Mais nous savons que c’est lié au commerce transatlantique autour de Gorée.

Durant la période coloniale aussi, on a eu pas mal de bateaux qui ont coulé au large de Dakar, au niveau de la barre de Saint-Louis. Il est important d’étudier toutes ces découvertes, parce qu’actuellement, pour la pêche, ces épaves sont des récifs artificiels pour la reproduction des poissons. Les communautés côtières, par exemple les Lébous, ont des connexions entre ces sites-là. Chaque pêcheur a son épave. Il part là-bas chaque matin pour y pêcher. L’épave déjà, en tant que site culturel, d’un côté, et d’un autre, des récifs artificiels pour la reproduction des poissons. Le Sénégal a un riche passé culturel maritime qui constitue une part importante de son identité. Aujourd'hui, dans les profondeurs des eaux sénégalaises, reposent une riche ressource culturelle maritime étroitement liée au patrimoine côtier des peuples de l’eau, au commerce transatlantique ou à la Seconde Guerre mondiale. Grâce aux recherches archéologiques sous-marines effectuées par le Département d’histoire de l’Ucad sur toute la côte et autour de Gorée et Dakar en particulier, le Sénégal dispose de sa première base de données des sites historiques sous-marins. Ces sites, composés d’épaves liées au commerce transatlantique et la traite négrière, d’épaves de la Seconde Guerre mondiale ou de sites culturels immergés liés aux pratiques cultuelles et culturelles des Lébous, permettent d’attester de la présence d’un patrimoine immensément riche et constitué d’un précieux héritage important pour l'identité culturelle et la fierté locale, ainsi qu'une source d'information scientifique et de revenus touristiques.

Ces recherches font état de plus de 50 sites inventoriés au large de la presqu’île de Dakar. Au Sénégal, il n’existe que trois centres de plongée sous-marine qui développent le tourisme de loisir. La création d’un centre africain pour la protection et la promotion du patrimoine maritime permettra d'offrir des circuits de plongée sous-marine autour du patrimoine culturel subaquatique, la recherche, la protection de l'environnement et de la biodiversité marine.

A-t-on une idée de combien ils sont sur l’ensemble du territoire sénégalais ?

Nous avons un projet pour faire la cartographie de tous ces sites au niveau national, dans une perspective de tourisme durable. C’est le Département d’histoire de l’université Cheikh Anta Diop qui en est le maitre d’œuvre, de concert avec la Direction du patrimoine culturel du ministère de la Culture. Les épaves attirent les touristes plongeurs. Ils peuvent venir de partout. Nous avons déjà cartographié une grande partie de ces sites, surtout autour de Gorée, ou 3 ont été identifiés, dont le ‘’Takoma’’, la digue submergée (il avait pour objectif, durant la période coloniale, de rallier Gorée au port de Dakar). On a la possibilité de les visiter sous l’eau.

A qui appartiennent ces sites avec les épaves qu’on trouve sous les eaux marines ?

Ils sont pour le domaine public maritime. Ils appartiennent à l’Etat du Sénégal et il a le devoir de protéger ces sites, parce qu’ils peuvent participer au développement économique de nos régions à travers le tourisme, mais également pour nos musées dans une perspective de connaitre notre histoire. On peut dire que c’est des bateaux qui appartenaient aux Français, mais qui ont coulé dans la zone économique exclusive ou plateau continental du Sénégal.

Comment faire pour préserver ces sites ?

Une collaboration entre les chercheurs en archéologie sous-marine du Département d’histoire de l’Ucad et la Section environnement de la gendarmerie nationale permet au Sénégal de protéger ces richesses culturelles subaquatiques. Sur le plan juridique, le Sénégal a entamé le processus de ratification de la Convention 2001 que l’Unesco a mise en place pour mieux protéger ce patrimoine culturel subaquatique. La ratification de cette convention viendra renforcer celle des Nations Unies sur le droit de la mer ratifiée par le Sénégal depuis le 25 octobre 1984. Nous travaillons avec elles, depuis. A chaque fois que de besoin, nous leur faisons signe. Nous travaillons de concert. Il nous arrive de les inviter pour qu’elles connaissent davantage cet aspect patrimonial de nos sites. A chaque fois que nous avons des sites aussi, nous les informons. Ils assurent la protection des sites.

Alors, le Sénégal a-t-il ratifié d’autres conventions dans ce sens ?

Pour le moment, il a ratifié la Convention du droit de la mer. Dans cette convention des Nations Unies, les articles 149 et 303 protègent de façon générale ce type de patrimoine. Mais il y a une convention internationale qui a été mise en place par l’Unesco. C’est celle de 2001 qui protège spécifiquement ce type de patrimoine et que le Sénégal n’a pas encore ratifiée. Le processus est en cours au niveau des ministères de la Culture et des Affaires étrangères. Nous espérons que d’ici 2020, notre pays va la ratifier pour mieux protéger ces richesses culturelles subaquatiques.

Ce patrimoine culturel subaquatique, maillon important du paysage culturel maritime sénégalais, est aujourd'hui une ressource indispensable pour le développement durable des communautés côtières grâce à l’économie bleue (tourisme de plongée sous-marine). Des expériences à travers le monde ont montré que le tourisme et les loisirs sont un facteur d’emplois important dans de nombreuses régions côtières autant que l'industrie de la pêche. Pour preuve, 37 % du tourisme mondial est motivé par le patrimoine culturel. En Lanzarote (îles Canaries), on a enregistré près de 2 millions de visites en 2017, grâce à son parc archéologique sous-marin. Le parc archéologique sous-marin de Baia (Italie), grâce à son système de cogestion entre Etat et secteur privé contribue fortement à l’emploi des jeunes.

PAR CHEIKH THIAM

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