Publié le 8 Mar 2019 - 21:51
NDEYE DAGUE DIEYE (PDTE DU COMITE DES FEMMES DE LA FSAPPH)

Le mythe brisé 

 

Vivre avec un handicap équivaut, dans la plupart des sociétés africaines, à mendier dans les rues des grandes villes. Mais, ce mythe s’est brisé avec la présidente du Comité des femmes de la Fédération sénégalaise des Associations de personnes handicapées, Mme Dieye née Ndèye Dague Guèye. Dressant son portrait, EnQuête retrace les moments marquants de la vie de cette Mbouroise vivant avec un handicap moteur et qui, depuis toute jeune, milite pour la défense de la cause de ses sœurs.

 

Vivre avec un handicap n’est pas une tare et ne signifie pas évoluer à l’écart des autres. La présidente du Comité des femmes de la Fédération sénégalaise des Associations de personnes handicapées l’illustre à souhait. Victime de polio à l’âge d’un an, Madame Dièye, née Ndèye Dague Guèye va perdre l’usage de ses jambes, après avoir fait ses premiers pas à 8 mois. Mais, ce handicap ne sera guère source d’isolement, de mépris ou d’antipathie au sein de sa famille. Elle sera éduquée au même titre que ses autres frères et sœurs. Fille d’un enseignant de surcroît un directeur d’école, cette native de Mbour va intégrer l’école française, comme les enfants de son âge et continuera ses études jusqu’à l’obtention de son Diplôme de fin d’études moyennes (Dfem) devenu aujourd’hui le Brevet de fin d’études moyennes (Bfem) en 1981. ‘’Mon père tenait beaucoup compte de mon éducation. Il m’aimait beaucoup, mais, il ne m’a jamais surprotégée. A chaque fois, il me disait : « tu es comme les autres, même si tu as un handicap. Tu es aussi intelligente. Tu dois aussi te débrouiller comme les autres », confie-t-elle.

Si son père s’est montré si rigoureux, du côté de sa maman, Ndèye Dague a pu bénéficier d’empathie, de ‘’beaucoup de pitié et d’affection’’. ‘’A chaque fois qu’il fallait faire des travaux ménagers, elle m’ordonnait de me reposer et de demander à mes sœurs de m’aider’’, dit-elle. Mais, son père rétorquait que ‘’c’est une femme, il faut la laisser travailler. Car, elle aura demain son foyer, un mari, ses enfants. Est-ce que ses sœurs pourraient venir l’aider ?’’. Donc, très tôt non seulement elle avait de très bons résultats scolaires, mais aussi au sein de la famille elle faisait le ménage.

‘’Je n’avais aucun complexe de le faire en même temps que mes sœurs. Ce qui m’a beaucoup aidée dans ma vie actuelle’’, narre-t-elle. Cette fermeté et cette abnégation, Mme Dièye, comme l’appelle ses collègues, en fera son cheval de bataille, même après le décès de son père à 14 ans, alors qu’elle faisait la classe de 5ème au collège. Car, après l’obtention de son Dfem, elle fera le concours d’entrée à l’Ecole normale des jeunes filles Germaine Legoff de Thiès, la même année, qu’elle réussira avec brio.

Combat contre la discrimination à l’Ecole normale des jeunes filles

Cependant, ce succès va ouvrir une nouvelle fenêtre dans vie et ne la marquer en tant personne vivant avec un handicap. ‘’Il faut dire que j’ai vécu pour la première fois la discrimination. Je l’ai sentie’’, livre-t-elle. En effet, avant d’entrer à l’école, il fallait une visite médicale et une fois admise au concours, en décembre, faire encore une nouvelle visite deux mois après le démarrage des cours. Un contrôle médical fut fatal pour la jeune normalienne. ‘’On m’avait fait comprendre que je ne pouvais pas enseigner. Sans demander la raison, j’ai compris que tout simplement que c’est parce que j’avais un handicap apparent. J’ai senti pour la première fois, une discrimination’’, raconte-t-elle le cœur serré.

Et comme l’a dit le psychiatre et psychothérapeute français, Christophe André : ‘’le fait d'avoir un enfant handicapé contraint à faire le ménage devant la porte de son ego et oblige à se recentrer sur ce qui fondamental : l'affection inconditionnelle’’. Ainsi, le père adoptif Mactar Sarr, quand il a su que la fille de son ami a été victime d’une discrimination, a porté le combat. Enseignant également, il s’est levé et a défendu les droits de sa filleule. Parce que, pour lui, il s’agissait d’une question de droits humains. ‘’Il n’y avait pas un article, un arrêté ou une décision qui devait m’exclure. Donc, c’était des préjugés. On voulait vraiment me marginaliser. Mon père s’est beaucoup battu pour que je revienne dans mes droits. Ce qui m’a permis de rester à l’Ecole normale et j’ai terminé mes 4 années de formation. En même temps que mes autres sœurs normaliennes, j’ai été affectée’’, soutient la présidente de la Section féminine de l’Association nationale des handicapés moteurs du Sénégal.

Aujourd’hui, si Mme Dièye se bat ‘’corps et âme’’ pour la promotion des personnes handicapées, pour qu’elles puissent jouir de leurs droits, c’est surtout lié à cette discrimination dont elle a été victime à l’Ecole normale des jeunes filles de Thiès. Pour cette militante, les personnes handicapées sont vulnérables et les femmes ont doublement des difficultés. Ce combat, elle l’a commencé à Mbour où elle a passé ses premières années. L’essentiel, chez Ndèye Dague, c’est d’exercer un métier noble, plutôt que de gagner beaucoup d’argent. De savoir qu’on est en train de former des générations futures, de poser les jalons de demain. ‘’Ce qui fait que je considérais l’enseignement comme un métier important, à l’image de ce qu’a fait mon père’’, fait-elle savoir. Avec peu de personnes handicapées instruites, dans les années 84, cette militante des premières heures, s’est alors engagée avec plaisir. Elle offrait beaucoup ses services. Elle faisait les procès-verbaux, appuyait beaucoup son équipe dans la rédaction des documents.

Yatma Fall : ‘’Mme Dièye est une femme de combat, de conviction, très engagée’’

Et, c’est à ce moment que l’actuel président de la Fédération nationale des Associations des personnes handicapées du Sénégal l’a rencontrée. ‘’Il y a maintenant 30 ans, alors qu’elle était trésorière générale de l’Association des handicapés de Mbour, à l’époque, j’étais le Secrétaire général de l’association de Rufisque. Et les deux associations avaient organisé un jumelage à Mbour. Elle nous a accueillis. Malgré son handicap, elle se démenait. Je la revois encore aller de gauche à droit et veiller à ce que nous soyons mis dans de bonnes conditions. C’est une image qui m’a marqué’’, se rappelle encore Yatma Fall. Pour lui, Mme Dièye est une ‘’femme de combat, de conviction, très engagée’’. Une personne qui s’est ‘’beaucoup sacrifiée’’ pour ses sœurs handicapées. ‘’J’ai eu l’occasion de la côtoyer, depuis bientôt 30 ans. Mais, elle est toujours restée debout, patriote, pour défendre la cause des personnes vivants avec un handicap. Aujourd’hui, s’il y a eu beaucoup d’avancées les concernant au Sénégal, et particulièrement les femmes, c’est grâce à elle. C’est une dame pour qui nous avons beaucoup d’admiration, de respect et de considération’’, ajoute M. Fall.

Des distinctions sur le plan national et international

Mère de deux enfants qui font actuellement des études universitaires, Ndèye Dague, qui se considère comme féministe, entend combattre l’analphabétisme et surtout les préjugés, ce regard négatif porté sur la personne handicapée. D’ailleurs son combat lui a valu des distinctions, tant sur le plan national qu’international. En Janvier 2002, elle fut nommée ‘’Innovatrice Ashoka’’ (organisation internationale à but non lucratif et indépendante). Décorée par le ministre sénégalais de la Famille comme ‘’femme pionnière’’ pour la défense des personnes handicapées, en 2012, elle a aussi reçu le prix de l’Alliance internationale pour les Femmes, basée aux Etats Unis. Elle sera choisie comme femme modèle par le Forum des éducatrices africaines (Fawe) pour son engagement pour l’éducation des filles handicapées. Elle est aussi co-auteur d’un livre intitulé Initiatives sur le handicap, édité en Pologne.

Après plus de trente années d’intenses activités professionnelles, Mme Dièye a quitté la Direction générale de l’action sociale de son propre gré. La cinquantaine révolue, elle est maintenant, au service standard à l’hôpital général de Grand-Yoff. Il faut noter que, par ailleurs, elle a été affectée au Centre Talibou Dabo en 2006, avant d’être sollicitée en 2008 par le ministère de la Femme, de la Famille et de la Petite enfance comme Conseillère technique sur des questions liées aux personnes handicapées. C’est ainsi qu’elle sera affectée en 2009 à la Direction Générale de l’Action sociale, en tant que responsable de la Division promotion sociale des personnes handicapées.

En dehors de son dévouement pour la défense des personnes handicapées, sa hardiesse a forgé le respect et l’estime que ses collègues éprouvent à son égard. ‘’Je suis aussi allé avec elle en Afrique du Sud. Nous avons voyagé dans des conditions très difficiles. J’ai eu pitié d’elle, mais, elle m’a dit : ‘non président, c’est dur mais, je vais me débrouiller comme tout le monde. Parce que ce que nous faisons, c’est pour les autres handicapés qui n’ont pas la chance que nous avons’. C’est une dame que j’admire beaucoup qui est très engagée’’, ajoute Yatma Fall. Ce qui lui fait dire que Ndèye Dague Guèye Dièye est ‘’un exemple’’ pour toutes les autres femmes handicapées du Sénégal et même d’Afrique.

‘’Son seul défaut, c’est qu’elle est contre la polygamie. Elle n’accepte pas que son mari ait une deuxième femme. Si vous voulez la mettre hors d’elle, dites-lui que vous avez vu une femme exemplaire que vous voulez donner à son mari. Quelle que soit la teneur du débat, elle va changer automatiquement de sujet. Elle a vraiment peur d’avoir une coépouse’’, confie le président de la Fédération nationale.

Sortir ses sœurs de la rue

Au fait, après ses premières années de militantisme à Mbour où, elle a enseigné pendant 10 ans, Mme Dièye va, à la suite de la naissance de sa fille ainée, rejoindre Dakar où son mari. Une fois dans la capitale sénégalaise, elle se rend compte qu’il y a d’autres enjeux, d’autres défis. ‘’Tant qu’on voit nos sœurs handicapées dans la rue, on se dit qu’il nous reste encore beaucoup à faire. Parce que notre rôle, c’est de les accompagner, les assister, d’aller ensemble avec elles afin qu’elles puissent être autonomes et préserver leur dignité’’, fait-elle savoir. Toutefois, elle estime que le vrai problème est que ces femmes n’ont pas eu le temps d’aller à l’école, ou sont issues de familles assez modestes, qui n’ont pas eu les moyens pour leur prise en charge. En plus, elles viennent des localités assez éloignées. A cela, s’ajoute le problème des préjugés.

‘’Certains pensent que quand on est handicapé, quel que soit alpha, on doit tendre la main. Il y a en a qui ont leurs diplômes et peinent à avoir une insertion professionnelle. Mais, nous ne les avons jamais ignorées. Il y a aujourd’hui, des femmes handicapées qui mendient, alors qu’elles ont bénéficié d’une formation professionnelle, grâce à l’appui et l’accompagnement des partenaires’’, regrette-t-elle.

C’est pourquoi, elle lance un appel pour que les programmes de l’Etat soient encore ‘’plus spécifiques’’ pour répondre de manière ‘’efficace’’ aux besoins des femmes handicapées. Aujourd’hui, le souhait de cette militante est de voir ses sœurs sortir de la rue. Un combat qui nécessite, selon elle, l’accompagnement des autorités compétentes, notamment pour une réinsertion même dans leur région d’origine.

MARIAMA DIEME

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