Publié le 15 Dec 2019 - 14:48
NIO LANK, NIO BAGN

La marche des mamys 

 

Le collectif Nio Lànk, Nio Bagn a gagné, hier, le pari de la mobilisation. A côté des jeunes et des hommes, les femmes et les personnes du troisième âge ont aussi répondu à l’appel, pour dire non à la hausse du prix de l’électricité et à la libération de Guy Marius Sagna et Cie.

 

‘’Pitié Monsieur le Président !’’, lâche Mme Soumano Jeanne, poussive. A 74 ans, la mamy a tenu vaille que vaille à arpenter, hier, les centaines et centaines de mètres qui séparent la mythique place de la Nation du rond-point Rts. Avec force, elle crie en même temps que les milliers de jeunes : ‘’Nio lànk, nio bagn…. Libérez les otages !’’ Pour la première fois, la bonne dame, teint clair, participe à une manifestation du genre. La hausse du prix de l’électricité est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. ‘’Nous n’en pouvons plus. Trop, c’est trop. Le moment est venu de dire stop au président de la République et à son régime. C’est pourquoi nous sommes sortis, aujourd’hui, pour prêter main-forte à nos braves petits enfants’’, plaide le troisième âge, l’air aussi déterminé que dépité.  

Autour d’elle, ça avance à grands pas ; ça chante et ça râle fort contre le régime. ‘’Non à la dictature’’. ‘’Libérez les otages’’. ‘’Arrêtez les voleurs’’. ‘’Le Sénégal va très mal’’. Voilà, entre autres messages que l’on pouvait lire sur les nombreuses pancartes levées vers le ciel.

Isolée dans un coin, Penda Coulibaly, la veuve de 54 ans venue de Grand Dakar, a le visage un peu moins gai. Entre ses mains, elle tient ses deux dernières factures pour attester de son ras-le-bol. ‘’Tu peux regarder par toi-même. Pensez-vous que c’est normal ça ? La facture passe du simple au triple. Regarde’’, intime-t-elle en nous jetant les documents. Sur l’une, on peut lire 49 400 F Cfa, sur l’autre 142 076 F Cfa. ‘’Qu’allons-nous faire pour payer cette manne ? Nous ne l’avons même pas. A la maison, nous n’avons qu’un seul frigo. C’est vraiment très dur et c’est pourquoi nous sommes sortis pour dire au président que nous ne sommes pas du tout contents. Le peuple est fatigué’’, peste-t-elle, enragée.

Debout, juste à côté, Adja Fatou Ndiaye, 65 ans, affiche une mine moins fâcheuse. Venue de la Médina, elle témoigne : ‘’Je suis veuve, j’ai 65 ans et 10 enfants. La plupart d’entre eux n’arrivent pas à trouver du travail. Quelques rares sont des ouvriers. Nous avions déjà du mal à payer la facture d’électricité qui était un boulet. Maintenant, ils veulent l’augmenter. Or, nous devons aussi manger. Et le sac de riz coûte 20 mille. Je ne parle pas de la facture d’eau et du loyer. Tout ce que nous demandons au chef de l’Etat, c’est de revenir sur cette mesure, mais aussi de libérer les gens en prison, parce qu’ils n’ont rien fait.’’

En compagnie de Jeanne, Mme Ndiour, teint noir, emmitouflée dans un boubou blanc, embouche la même trompette. Pour elle, la place de Guy Marius et Cie n’est pas en prison. ‘’Nous demandons à Macky Sall de libérer Guy Marius Sagna et tous ses autres amis. Ce sont des gens qui se battaient pour une cause juste. Ils ne demandaient que la diminution du coût de la vie. Quoi de plus normal pour un citoyen. Ces gens ne sont pas des délinquants. Il faut les libérer au plus vite. Leur place, ce n’est pas la prison. Je demande aux femmes de se mobiliser davantage, car cette lutte ne vient que de commencer’’.

Au-delà de la conjoncture actuelle, Soumano Jeanne se veut aussi prospective. La situation du pays l’inquiète. Le devenir des jeunes également. Elle dit : ‘’Vous vous demandez surtout que fait une personne de 74 ans ici ? Mais nous sommes des mamans, des grand-mères. Nous nous inquiétons surtout pour l’avenir de nos petits-enfants ici présents. Les gens sont durement éprouvés et nous appelons le chef de l’Etat à avoir pitié de son peuple.’’ Comme pour montrer que la précarité gagne de plus en plus certaines couches de la population, elle ajoute : ‘’Si on paie les factures d’eau, d’électricité et le loyer, il ne reste plus rien de nos maigres ressources. A Dakar, la nuit, on ne mange que du ‘fondé’, du pain ‘akara’ ou du ‘soombi’. Où allons-nous ?’’

Sur les artères du Général De Gaulle, hier, étaient aussi présents les retraités. Furax, coléreux. Ce vieux qui insiste pour se faire appeler ‘’Père Dakar’’ fulmine avec beaucoup de hargne. ‘’Les Sénégalais sont fatigués et cette marche en est une parfaite illustration. Le président doit savoir que les gens qui se sont battus le 23 juin 2011 sont toujours là. Les Sénégalais sont certes pacifiques, mais il ne faut pas les pousser à bout’’, fulmine Père Dakar.

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Le ballet des leaders

Amnesty Sénégal, Front social sénégalais, Front de résistance nationale, Y en a marre…, tous réunis autour du collectif Nio Lànk, Nio Bagn, ont exprimé, hier, leur grande colère.

Hier, plusieurs leaders d’organisations citoyennes et politiques ont répondu à l’appel du collectif Nio Lànk, Nio Bagn. Une mobilisation saluée par le juge démissionnaire Hamidou Dème. Il déclare : ‘’A un moment, on avait cru que les gens ont perdu leur capacité d’indignation. Mais cette mobilisation a démontré le contraire. Sénégalais yi ay bagn katt laniou.’’ Pour lui, il n’appartient pas aux populations seulement de faire des sacrifices. Les gouvernants doivent être les premiers à se sacrifier. Ce qui n’est pas le cas, selon lui. Il donne l’exemple du chef de l’Etat qui achète un véhicule à près d’un milliard, les centaines de milliards utilisés pour acheter des véhicules pour l’Administration… ‘’Un bon dirigeant, souligne-t-il, doit se sacrifier pour son peuple. Mais, au Sénégal, les dirigeants utilisent le pouvoir pour se servir. Il faut que ça cesse’’.

Pour sa part, Mignane Diouf, Coordonnateur du Forum social, trouve ce qui se passe dans le pays inacceptable. Il déclare : ‘’Nous ne pouvons pas payer ce que nous n’avons pas consommé. Ceci n’est qu’une étape de notre plan d’action que nous allons dérouler sur le plan national et international. Il faut mettre en prison les voleurs et non ces jeunes’’. Il prend à témoin la représentation diplomatique au Sénégal : ‘’Que la communauté internationale sache que le Sénégal est dans une posture d’insécurité, d’instabilité qui ne peut pas continuer. On ne peut pas nous demander de payer une dette qu’on n’a pas contractée. On refuse.’’

Pour Aliou Sané de Y en a marre, les différentes couleurs des mouvements importent peu. Et que la seule chose qui vaille, c’est le peuple. Une chose est de réussir une grande mobilisation, mais c’en est une autre de maintenir la même cadence. ‘’C’est cela le véritable défi’’, peste le co-coordonnateur du collectif, tout en exigeant la libération de Guy Marius Sagna et Cie, ainsi que la baisse du prix de l’électricité.

Seydi Gassama, lui, estime qu’aujourd’hui, le Sénégal est en train de reculer sur le plan démocratique. Il s’interroge : ‘’Connaissez-vous un pays démocratique au monde où on emprisonne des gens qui manifestent pacifiquement ? Même en Mauritanie, hier, des gens ont organisé un sit-in devant la présidence, pendant une bonne heure. Personne ne les a inquiétés. Est-ce que nous devons accepter que le Sénégal soit dépassé par des Etats comme la Mauritanie ?’’, s’émeut le défenseur des droits humains. Qui ajoute : ‘’Avec tout le combat que les anciens ont mené dans ce pays, nous ne devons pas accepter que les acquis démocratiques soient bafoués. Aussi, il faut libérer immédiatement et sans condition Guy Marius Sagna, Dr Babacar Diop et tous leurs codétenus. Leur arrestation est injuste et arbitraire. Nous demandons aussi la baisse du prix de l’électricité.’’

Par ailleurs, les représentants des étudiants ont annoncé la paralysie de l’université, ceux de France dégage ont émis le mot d’ordre consistant à refuser de payer les prochaines factures de janvier. Frapp donne aussi un ultimatum à Macky Sall. ‘’S’il ne fait pas libérer les otages d’ici à jeudi, nous irons à la place de l’Indépendance, vendredi prochain, et nous marcherons encore sur le palais’’, menace le représentant du mouvement.

ABASS FAYE, AAR LI NU BOKK

‘’Si l’électricité augmente, tout augmente’’

‘’Ce n’est pas la peine de beaucoup s’épancher. Nous disons simplement que la place de Guy Marius Sagna, Dr Babacar Diop, des étudiants, ce n’est pas la prison. Ceux qui doivent y aller, ce sont les délinquants à col blancs, les détenteurs des faux billets, pas les combattants de la liberté qui sont au côté de la population pour les défendre. Nous n’allons pas l’accepter. Guy Marius Sagna est un patrimoine. Il devait aujourd’hui être à Genève pour recevoir un prix et on le met en prison. Ce n’est pas normal. C’est un bon citoyen que tous les pays aimeraient avoir. S’ils ne sont pas libérés, nous irons partout où besoin sera pour les faire libérer. Pour l’électricité, il faut savoir que c’est un facteur de production. Si elle augmente, tout augmente.’’

REPRESENTANT DES ETUDIANTS

‘’Il n’y aura plus cours à l’université, tant que nos camarades ne seront pas libérés’’

‘’Nous sommes là pour exiger la libération de nos camarades étudiants et du professeur Babacar Diop. L’année universitaire a déjà commencé. Leurs camarades sont en train de s’inscrire. Eux, ils n’ont pas la possibilité. Leur place ne n’est pas dans la prison, c’est dans les amphis. Ils n’ont rien fait, sinon d’utiliser un droit que leur offre la Constitution. Nous demandons leur libération immédiate. En tout cas, à l’université, il n’y aura plus de cours, tant que nos camarades ne seront pas libérés. Nous ne comptons pas nous arrêter, dans ce combat. Nous demandons la même chose pour notre professeur, parce qu’il a des milliers d’étudiants qui l’attendent, des étudiants qu’il encadre. Il faut se mobiliser davantage. Le combat ne fait que commencer.’’

MAMADOU MAKHTAR SOURANG, FRONT DE RESISTANCE NATIONALE

‘’Le gouvernement veut mettre en place un plan d’ajustement structurel qui ne dit pas son nom’’

‘’Nous sommes venus représenter les leaders des partis politiques de l’opposition. Nous avons discuté et décidé de faire une jonction entre les politiques, les syndicats et la société civile. Ce combat va se gagner dans la durée, mais aussi dans l’intelligence. Ce que veut le gouvernement, c’est un plan d’ajustement structurel qui ne dit pas son nom. Ceci est un recul. En plus de l’électricité, ils veulent augmenter le prix d’autres denrées, privatiser des sociétés nationales et d’autres mesures. Si le gouvernement veut renflouer ses caisses, il n’a qu’à aller dans la bourse des plus riches, des voleurs, pas les miettes des ‘baadolo’ (pauvres). Il faut diminuer le coût de l’électricité. Il faut libérer les personnes détenues. Cela ne nous découragera point.’’

MOR AMAR

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