Le grand traumatisme de 1991
L’envoi des troupes sénégalaises est encore au cœur de l’actualité. Des ‘’jambars’’, qui ont participé à la ‘’tempête du désert’’ durant la guerre du golfe, en 1990–91, demandent au Chef de l’Etat Macky Sall de s’inspirer du vécu des premières troupes envoyées en Arabie Saoudite avant d’en envoyer d’autres. Les frustrations sont réelles.
‘’Nous allons progressivement déployer 2 100 soldats, le Sénégal ne paiera aucun franc pour cet engagement. Ce que je peux dire avec certitude, c’est que nous allons en Arabie Saoudite sur la base de règles bien définies.’’
Ces propos du ministre des Affaires étrangères, M Mankeur Ndiaye, ont bourdonné dans les oreilles des ‘’Jambars’’qui ont participé à la guerre du Golfe 90-91 de même que dans celles des familles des victimes du tragique crash de l’avion saoudien sur la base aéronavale de Raz Meeschab. Cela rappelle bien les gages qui ont été donnés par le gouvernement de l’époque au moment de déployer 496 soldats pour libérer le Koweit sous l’invasion irakienne. Le premier avion a quitté le Sénégal le 17 septembre 1990, le 2e avion a décollé deux jours après.
‘’On nous avait tenu le même discours, le gouvernement d’Abdou Diouf nous avait assuré que l’on serait entièrement pris en charge par le gouvernement saoudien. Nous avions combattu en tenue saoudienne et avions des cartes d’identité saoudienne. Nous bénéficiions d’une indemnité journalière d’opération (Ijo), mais nous avons vécu le martyre avant d’entrer dans nos fonds. Il nous fallait taper dur pour percevoir cet argent’’
Le soldat de 1ère classe Ibrahima Guèye, qui a combattu sous la bannière saudienne pour la libération du Koweit en 1990-1991, a tenu à plonger dans ce passé pas du tout enchanteur afin d’aider, dit-il, le gouvernement de Macky Sall à prendre beaucoup plus au sérieux ce dossier. Il est convaincu comme d’autres, que les soldats sénégalais ont été ‘’vendus’’, ‘’sacrifiés’’ sur l’autel d’enjeux géostratégiques. ‘’D’ailleurs les Saoudiens nous ont signifié clairement que si jamais on mourrait sur place, nos corps n’allaient jamais être rapatriés, que c’en était fini pour nous. Après le crash, l’état sénégalais a usé de diplomatie, soulignant que les corps des victimes étaient dans un état tel qu’on ne pouvait les rapatrier. Jusqu’à présent, personne ne sait où ces soldats ont été enterrés’’.
D’ailleurs, selon le caporal M Fallou Niang, secrétaire général de l’association des ‘’Jambars’’, ‘’les soldats sont rentrés le cœur lourd de chagrin et de regret. Beaucoup ont regretté d’avoir participé à cette opération, car leurs espoirs ont été anéantis. Ils ont préféré démissionner. Le bataillon a été vite dispersé, des soldats ont été affectés dans différentes régions sans un mot ou un geste de reconnaissance de la nation. Même pour percevoir notre Ijo, c’était la croix et la bannière.’’
En fait, ces hommes de tenue rappellent aussi que les engagements ont bel et bien été établis entre le Sénégal et l’Arabie Saoudite.
‘’Au moment d’embarquer, l’Etat nous a bien précisé que c’est l’Arabie Saoudite qui nous prenait entièrement en charge. Le royaume saoudien a bien joué sa partition mais nous avons souffert d’un mercenariat camouflé. Des officiers sénégalais tenaient à bénéficier d’un traitement de faveur, nous mettant de côté…’’. Une parenthèse parmi de longs chapitres qui marquent encore au fer rouge ces ‘’Jambars’’ qui tiennent à sensibiliser le chef de l’Etat Macky Sall sur les réalités du terrain et lui demander également de corriger des injustices qu’ils ont vécues tout le long de la guerre du golfe. Tous demandent au chef de l’Etat de prendre le soin de s’imprégner des réalités auxquelles vont être confrontés ces fils de la nation sur les champs de bataille.
‘’Le président de la République n’a pas toujours la bonne information. Ses conseillers et les officiers ont tendance à travestir la réalité‘’. Ils l’exhortent à prendre la mesure des risques et de prendre en compte le respect de la vie humaine qui ne vaut pas à leurs yeux des pétrodollars. Pour ces ‘’Jambars’’, le Chef de l’Etat risque d’assumer des conséquences lourdes s’il s’aventurait à sacrifier des soldats sénégalais.
Les questions de sous polluent l’atmosphère
Aujourd’hui, des parents des ‘’Jambars’’ morts sur le champ de l’honneur, père, mère, enfants et épouses ne peuvent se départir des souvenirs noirs de la guerre du Golfe. Ils ont perdu des fils et proches parents lors du crash du C130 469, qui avait à son bord 102 personnes. 93 ‘’Jambars’’ y ont perdu la vie. Il y a eu quatre rescapés mais leur chagrin est accentué par l’indifférence factice des autorités étatiques qui ont vite fait d’enterrer leur dossier. Ils n’ont reçu aucune indemnisation de la part de l’Etat encore moins un système de reconnaissance. Or des informations ont fait état d’une somme de 101 millions de F cfa que l’Arabie Saoudite aurait attribué à chaque élément du contingent. Sur cet argent, mystère et boule de gomme. Par ailleurs, sur le centre d’actualités de l’Onu, il est mentionné que la commission d’indemnisation de la guerre du golfe a débloqué 650 millions de dollars...
Depuis des années, des séries de correspondances sont envoyées aux autorités étatiques pour élucider cette affaire. Le ministre des Forces Armées les avait reçus dans ce sens le 31 janvier 2001 sur instruction de l’ancien chef de l’Etat, Me Abdoulaye Wade. Une demande d’audience adressée à l’ambassade du royaume d’Arabie Saoudite le 22 juillet 2011 est restée sans suite. Mais l’association, qui envisage d’alerter l’opinion publique, n’entend pas lâcher du lest.
M. Maguette Sall, le président du regroupement des familles des ‘’Jambars’’ disparus en Arabie Saoudite a toujours le cœur lourd. ‘’Après le crash, chaque famille des 93 diambars décédés du crash d’avion a reçu 1 042 000 F Cfa au moment où les 403 ‘’Jambars’’ restants ont reçu chacun 1 000 000 F Cfa. On nous a dit que l’Arabie Saoudite avait dégagé un budget de 500 millions de F cfa dans ce sens. Nous étions surpris car aucune autre somme ne nous a été remise. Nous avons appris par voie de presse que ce sont 85 milliards de F cfa qui ont décaissés. Notre souffrance a été exacerbée quand nous avons appris que les victimes du naufrage du ‘’joola’’ ont reçu chacune 10 millions de F Cfa ; ceux qui ont été à 9 000 km du Sénégal, pour servir la nation, n’ont bénéficié que d’un million de F cfa partagé entre tous les membres de la famille’’.
Mais autre clarification que les soldats ont tenu à apporter, ‘’ce million de francs nous a été offert par l’Arabie Saoudite avant que le crash ne survienne. Le royaume saoudien avait tenu à dégager une somme assez importante pour nous aider à préparer notre retour. Nos supérieurs avaient donné l’information. On était si content de disposer de ce qu’on appelait ‘’l’affaire’’ qu’on se tuait à la tâche. Grande a été notre surprise d’apprendre que le gouvernement sénégalais avait vite fait d’envoyer une délégation récupérer cet argent qui nous était destiné. Nous étions en colère surtout qu’on nous faisait valser pour nous payer notre Ijo’’, raconte le soldat Ibrahima Guèye.
Il poursuit : ‘’Nous étions disposés à nous révolter, car c’était trop injuste ; ils ont confisqué toutes nos munitions, nous signifiant que l’argent était à Dakar. Et une fois sur place, il a fallu l’intervention du chef de l’Etat M. Abdou Diouf, pour que justice soit rétablie car l’argent allait être réparti de façon injuste ; ils voulaient nous donner 600 000 F, privilégiant les officiers. Abdou Diouf a dit niet. Il s’y ajoute qu’on est rentré les mains vides, heureusement qu’en partant j’avais, par devers moi, 1000 Fcfa. Cet argent m’a permis de rentrer en taxi’’.
Les soldats qui étaient mus par l’intention de servir la nation, n’ont pas eu droit à la reconnaissance qui sied. Outre les nombreuses tracasseries qu’ils ont subies, leur espoir s’est volatilisé au moment de percevoir des médailles. ‘’Il y avait deux médailles qui nous ont été attribuées, c’était pour la libération du Koweit mais aussi pour notre participation à l’opération ‘’Tempête du désert’’, mais nos supérieurs ont jugé utile en dernier lieu de les remettre aux officiers qui, disent–ils, ont participé à la guerre à distance. Ils ont souligné qu’ils étaient aussi méritants que les ‘’Jambars’’ qui ont parcouru 9 000 km et bravé chaleur et froid. Nous avions tenu à interpeller sur ce point le Général Mouhamadou Mansour Seck qui avait fait la promesse de tirer cette affaire au clair, mais c’est le statu quo. La plupart des soldats ont regretté leur participation à cette opération.’’
Le silence des autorités
Les parents des victimes entendent profiter de la conférence de presse qui sera animée par leur avocat, Me Assane Dioma Ndiaye, dans les jours à venir, pour faire des révélations fracassantes. Ils se souviennent qu’une forte délégation conduite par le ministre des Forces Armées s’était rendue en Arabie Saoudite pour assister à l’inhumation des 93 Jambars. Entre autres personnalités, le député Mamadou Wade, président de la commission de la défense de l’Assemblée nationale, les généraux Mamadou Mansour Seck, chef d’état-major de l’armée et Doudou Diop chef d’Etat Major particulier du président de la République, le colonel Gomis commandant de la Gendarmerie et directeur de la justice militaire.
Tout ce beau monde qui s’est incliné à la mémoire des soldats a fini par se terrer dans le mutisme. ‘’Nos parents ont souffert, mais l’après-guerre a été plus traumatisant pour nous. Nous n’avons eu aucune marque de soutien de l’Etat. Personne n’a plus fait allusion à nos parents. Aucun mémorial, aucune journée, rien ! On a été laissé à notre propre sort. En dehors de ce million de F Cfa, partagé entre tous les membres de la famille, nous n’avons remarqué aucun signe de reconnaissance de la nation. Cela fait trop mal. Pire encore, on ne nous accorde même pas le droit de manifester notre déception. Combien de familles se sont retrouvées dans le dénuement total ? Nous osons croire que nos pères ont été vendus par l’Etat du Sénégal, nous espérons que Macky Sall saura rectifier le tir vu qu’il se dit prêt à corriger des injustices’’, témoigne Fatou Diaw, une des orphelines qui tient aujourd’hui sur ses 35 ans. Elle peine à trouver du boulot dans la mesure où elle n’a pas eu les moyens de poursuivre ses études.
Matel BOCOUM