Publié le 4 May 2024 - 20:28
PATRIMOINE CLASSÉ PLATEAU

Retour sur un tong-tong d’État

 

Ancien chef de cabinet d’Abdoulaye Wade, Papa Samba Mboup a déposé une plainte à l’Ofnac pour des faits supposés de corruption dans l’affaire de la vente de sa maison sise à Dakar-Plateau. Ce qui remet au gout du jour l’affaire de la gestion du patrimoine bâti et du patrimoine classé de l’État à Dakar-Plateau.

 

Les chutes de régimes sont souvent tumultueuses. Alors qu’on n’a pas fini d’évoquer le sujet du littoral où tous les travaux sont suspendus, de certains projets de lotissement stoppés, voilà que l’ancien chef de cabinet d’Abdoulaye Wade, Papa Samba Mboup, en rajoute une autre couche.

L’ancien bras droit de Wade vient, en effet, de déposer une plainte à l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) à propos du bradage du patrimoine immobilier classé de Dakar-Plateau.

En 2014, explique M. Mboup dans sa lettre-plainte dont nous disposons copie, il avait écrit au président de la République pour lui demander de déclasser sa maison sise sur l’avenue Brière de Lysle, derrière l’Assemblée nationale. Laquelle était vétuste et méritait des travaux. Malheureusement pour lui, malgré de nombre de tentatives, il n’a pas eu satisfaction.

Il peste dans sa lettre plainte dont EnQuête dispose une copie. ‘’En 2014, j’avais adressé une lettre au président d’alors pour le déclassement de ma maison (classée monument historique), mais ma requête n’a pas été satisfaite. J’ai été obligé de vendre la maison à deux Libanais. Après cette vente, on leur a accordé ce qu’on m’avait refusé à moi’’, dénonce M. Mboup.

Actuellement, rapporte-t-il constats d’huissier à l’appui, lesdits acheteurs ‘’sont en phase finale de construction d’un immeuble de 15 étages surplombant l’État-major général qui se trouve au camp Dial Diop’’.

Cela fait, en effet, des années que l’ancien ministre-chef de cabinet rumine sa colère contre le défunt régime du président Sall qui, selon lui, l’avait poussé à ‘’brader’’ sa villa. À l’en croire, cette maison de 800 m2 a été vendue en deçà de sa valeur réelle, soit à un million F CFA le m2, alors que le prix réel était de 1 500 000 F CFA. ‘’Comme c’est une maison qu’ils n’étaient pas censés pouvoir transformer, cela a influé sur le prix. Je pensais qu’ils ne pouvaient l’utiliser qu’en l’état, puisque c’est une maison protégée. Par la suite, vu la rapidité avec laquelle ils sont parvenus à avoir l’autorisation, en y réfléchissant, je me suis dit que s’ils ont payé un million le m2, c’est peut-être parce qu’ils avaient des promesses de déclassement…’’.

En tout cas, les hommes d’affaires ont réussi là où lui avait échoué. C’est d’ailleurs là le fondement de la plainte, car M. Mboup est convaincu qu’il y a eu corruption dans ce dossier.

Papa Samba Mboup saisit l’Ofnac

Cette affaire remet au gout du jour la lancinante question de la préservation du patrimoine bâti de l’État, en particulier du patrimoine classé de Dakar-Plateau. L’exemple de la maison d’Aminata Tall, qui se situe à quelques pas du camp Dial Diop, en est une parfaite illustration. Expulsée il y a quelques mois, la villa a récemment été rasée, alors que l’ancienne présidente du Conseil économique et social avait en vain cherché à l’acheter. Soit c’est l’État qui a décidé de la démolir soit il l’a vendue à des tiers qui l’ont démolie.

Pendant ce temps, l’État passe son temps à louer des maisons pour pouvoir loger certains fonctionnaires, ce qui coute plusieurs milliards aux contribuables. En 2020, il a été obligé de libérer une trentaine de milliards pour éponger la dette due par l’Agence de gestion du patrimoine bâti de l’État envers ses bailleurs.

L’inventaire fait par Abdoulaye Daouda Diallo en novembre 2021, alors qu’il était ministre chargé des Finances, faisait état d’un parc constitué de 1 695 bâtiments, compte non tenu des écoles et autres infrastructures publiques. ‘’Malheureusement, confiait Abdoulaye Daouda Diallo, 67 % de ce patrimoine sont vétustes et sur ce pourcentage, 11 % sont dans un état très vétuste’’.

Le ministre défendait ainsi devant les députés un projet de réforme dont l’objectif était notamment d’alléger certaines lourdeurs. ‘’Le défaut d’entretien de ces maisons est dû à la rigidité des procédures domaniales prévues par la loi 78-66 du 2 juillet 1976 sur le domaine de l’État. En guise d’illustration, la cession d’un immeuble bâti de l’État requiert l’autorisation parlementaire’’.

Cette disposition est-elle toujours respectée ? Certains s’interrogent. En tous cas, dans le cas de la maison d’Aminata Tall, on n’a vu nulle part une autorisation donnée par les parlementaires.

Pour sa part, Papa Samba Mboup lui, soutient avoir acquis sa villa régulièrement auprès de la Sicap. Pour le justifier, il présente une attestation signée par le directeur général de la Sicap d’alors. Il est indiqué dans ledit document que l’ancien chef de cabinet ‘’s’est intégralement acquitté du prix de vente hors frais d’acte du pavillon n LA70 16-18, avenue Brière de L’Isle sis au lotissement Plateau à distraire du titre foncier de la Sicap, pour compter du 10 octobre 2007’’.

Il résulte des documents que c’est la Sicap elle-même qui détient un titre foncier sur ses terres qui était à l’origine de cette vente. Selon PSM, c’était loin d’être un bradage. Document à l’appui, il souligne avoir payé plus de 232 millions pour acquérir cette maison.

Ce qui est le plus préoccupant pour le cas du foncier bâti du Plateau, c’est qu’on assiste à une grande offensive d’hommes d’affaires venus de l’extérieur et qui accaparent une bonne partie des terres au détriment de l’État et des Sénégalais.

Pour rappel, sur le marché, le mètre carré dans cette zone objet de toutes les convoitises coute au bas mot 1,5 million F CFA.

Dans nos précédentes éditions, nous revenions sur comment des Israéliens, dont le fameux marchand d’armes Peretz et Ron Yafet ont pu s’immiscer dans ce secteur très juteux au cœur de la capitale sénégalaise. Concernant Ron Yafet, il a acquis dans des conditions encore non élucidées le Sporting club de Dakar. Quant au sieur Peretz, il avait tout simplement fait main basse sur l’ancien siège du Haut commandement de la gendarmerie, en face de la primature et du palais de la République. 

MOR AMAR

Section: