Publié le 15 Apr 2020 - 00:09
POLEMIQUE SUR LE TRANSPORT DE L’AIDE ALIMENTAIRE

Le vrai et l’ivraie

 

Pendant que le député Diop Sy monnaie ses camions à l’Etat dans le cadre de la distribution des vivres aux populations, d’autres transporteurs sénégalais s’engagent à accompagner gracieusement l’Etat dans ce contexte de pandémie.

 

Un week-end long et très mouvementé ! De Saint-Louis, le ministre du Développement communautaire, de l’Equité sociale et territoriale, Mansour Faye, a apporté la réplique à ses détracteurs, dont certains avançaient que l’Etat aurait dégagé 6 milliards de F CFA, juste pour payer les transporteurs chargés de la distribution de l’aide alimentaire à la population, dans le cadre de la lutte contre la Covid 19. Cette information avait d’autant plus courroucé une partie de l’opinion que, dans la foulée, un groupement de transporteurs avait fait une sortie musclée pour regretter l’appel d’offres lancé par le département dirigé par Mansour Faye, alors même qu’ils avaient proposé leurs services gratuitement.

D’abord, sur les 6 milliards, le ministre répond : ‘’J’étais étonné d’entendre de tels montants avancés sans aucune base réelle. Je tiens donc à rétablir la vérité. Aujourd’hui, nous avons commencé la distribution des vivres pour l’intérieur du pays, avec un transporteur qui est payé pour les régions périphériques (Ziguinchor, Kédougou et Matam) à 18 500 F la tonne. Pour les régions Centre (Fatick, Diourbel, Louga et Kaffrine) le coût est, à peu près, 4 500 F la tonne. Pour Tamba, Saint-Louis… c’est à peu près 15 000 F la tonne.’’

Ainsi, le ministre appelle les ‘’experts’’ à prendre leurs calculettes pour évaluer les coûts. A l’en croire, le résultat ne saurait dépasser 1 milliard de francs CFA. Mansour Faye de préciser : ‘’Il faut aussi retenir que la région de Dakar n’en fait pas partie. La distribution des dons au niveau de la capitale sera assurée par l’armée. Nous allons donc prendre en charge uniquement le carburant et les frais d’accompagnement du chauffeur.’’

Mais pourquoi payer alors même qu’il y avait des transporteurs prêts à mettre gracieusement leurs parcs à la disposition de l’Etat ? Une question à 1 000 balles à laquelle le représentant du gouvernement a tenté d’apporter quelques clarifications. A l’en croire, oui, une association de transporteurs s’est bel et bien approchée des services de l’Etat pour proposer un acheminement gratuit de l’aide alimentaire, dans le cadre de la lutte contre la pandémie. ‘’C’est vrai que cette organisation est venue proposer les services de leurs membres pour nous accompagner. Nous attendons le volume de camions qu’ils mettront à notre disposition’’.

‘’EnQuête’’ a pu parcourir la lettre d’information écrite par le Collectif des acteurs des transports du Sénégal (CATRS) le 2 avril dernier, adressée à leur ministre de tutelle, Oumar Youm (ministre des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement). Les transporteurs disaient : ‘’Le CATRS a mis en place une solide organisation basée sur notre réseau interne et pilotée par un comité de veille permanent comprenant les représentants de plus de 10 organisations faitières de transport de marchandises et syndicats membres du CATRS.’’ Dans la même veine, les transporteurs sollicitaient de la tutelle une réunion conjointe pour discuter de certaines modalités relatives notamment aux bordereaux de livraison, à la désignation par l’autorité d’un accompagnement (chef de bord) pour chaque camion, à la délivrance de laisser-passer pour le personnel roulant et pour les membres du CATRS, entre autres.

Avant même cette lettre, rappelle Momar Sourang joint par téléphone, le collectif avait annoncé publiquement qu’elle était prête à accompagner gratuitement l’Etat dans le cadre de la distribution de ces aides alimentaires. C’était le 28 mars dernier, alors que l’appel d’offres a été publié dans certains journaux le 1er avril. ‘’Ce n’est pas parce que nous sommes riches, mais nous pensons qu’il est indécent, en ces périodes-ci, de vouloir se faire de l’argent sur le dos du contribuable. En tant que transporteurs, nous nous sommes demandé ce que nous pouvons faire pour l’Etat. C’est dans ce cadre que nous avons écrit la lettre à notre ministère de tutelle. Malgré les difficultés que traversent tous les secteurs’’.

Bizarrerie dans le dossier

Tout marchait donc comme sur des roulettes. Et l’Etat sur le point de faire des économies importantes de ressources. Soudain, un avis d’appel d’offres est venu tout remettre en question. Que dit l’avis d’appel d’offres ? ‘’Dans le cadre de la lutte contre la pandémie…, le Commissariat à la sécurité alimentaire est autorisé à sélectionner des prestataires de services pour le transport, la manutention et le chargement de denrées alimentaires à partir de Dakar vers les magasins du CSA, dans les 13 capitales régionales’’. Il ressort de cet appel d’offres que chaque prestataire sélectionné doit disposer d’un parc opérationnel d’au moins 50 camions de transport de marchandises. Ce qui avait d’ailleurs exacerbé de petits et moins grands transporteurs qui s’étaient sentis exclus de façon discriminatoire du marché. Les mécènes, eux, étaient montés sur leurs grands chevaux, pour dénoncer une politique de gaspillage des deniers publics. ‘’Nous souhaitions juste faire gagner de l’argent à l’Etat, mais nous avons l’impression que celui-ci a de l’argent à gaspiller, en ces temps de morosité économique’’, s’indignait dans ‘’Dakaractu’’ le porte-parole du collectif des transporteurs, M. Sourang.

En fait, cette vidéo rendue virale durant le week-end dernier, a été postée sur ‘’Dakaractu’’ depuis le vendredi 3 avril. Par la suite, le malentendu semble avoir été levé entre les services de Mansour Faye et les transporteurs bénévoles.

En effet, vendredi dernier, les deux parties se sont rencontrées pour arrondir les angles. Qu’est-ce qui est alors ressorti de cette fameuse réunion ? Les services de Mansour Faye expliquent : ‘’Les routiers avaient promis d’aller rendre compte à leurs mandants. Et qu’ils devraient nous revenir pour nous donner le nombre de camions qu’ils vont engager dans le cadre de ce processus.’’ Certains ont vite saisi la balle au bond pour indexer la mauvaise foi des transporteurs. Mais que nenni ! Les transporteurs se montrent plus que jamais déterminés, malgré quelques frustrations. Sur d’éventuelles dissidences parmi les membres du collectif, Momar Sourang rectifie : ‘’Ce que je dis, c’est la décision de l’assemblée. Maintenant, s’il y a d’autres voix qui ont avancé le contraire, en dehors de nos instances, cela ne peut engager que ces gens.’’

Le CATRS mobilise 45 camions et promet une autre liste

Toutefois, reconnait-il, la tâche a été rendue plus ardue par l’appel d’offres lancé par l’Etat. ‘’Cela a effectivement perturbé la mobilisation. Comme vous le savez, là où il y a argent, il y a forcément des appétits. Une voix discordante a certes été notée, mais moi je défends la position arrêtée par le groupe en assemblée. Une personne ne peut pas se lever un beau jour et remettre en cause la décision régulièrement prise par l’ensemble des acteurs. Encore une fois, chacun devrait se rendre compte que notre intérêt individuel est dans l’intérêt collectif. Nous avons tous intérêt à ce que le Sénégal survive de cette situation difficile. Maintenant, quand tu sors de l’argent, certains peuvent reculer, mais nous restons droit dans nos bottes et allons respecter nos engagements’’.  

Cela dit, malgré quelques désistements supposés dans leurs rangs, le collectif des transporteurs rassure et assure qu’il compte tout déployer pour donner corps à leur engagement patriotique. D’ores et déjà, révèle le porte-parole du collectif, 45 camions sont disponibles, prêts à être déployés sur le terrain. Ce n’est pas tout, se réjouit M. Sourang qui semble en faire un point d’honneur : ‘’Une autre liste est en train de circuler et dès demain, nous pourrons vous donner une idée plus nette du nombre total de camions que nous allons mobiliser.’’

Selon nos informations, à ce jour, le seul attributaire de marché connu, dans le cadre de cette procédure d’urgence, c’est le député homme d’affaires Demba Diop Sy, plus connu sous le nom de Diop Sy. Selon toujours nos sources, il est chargé d’acheminer 1 200 t dans les régions de l’intérieur.

En attendant d’y voir plus clair sur les autres soumissionnaires et le nombre de camions proposés par le CATRS, les services de Mansour Faye peuvent compter sur l’armée qui, dit-on, va convoyer 2 000 t dans la capitale. Le convoyage a, pour le moment, été lancé juste pour cinq régions. Il s’agit de Ziguinchor, Kédougou, Tambacounda, Diourbel et Kaolack.

MOR AMAR

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