Publié le 26 Nov 2014 - 18:08
PROFESSEUR EL HADJI IBRAHIMA KHALIL DIALLO

‘’Il est trop prématuré de privatiser le hajj’’

 

Membre titulaire du Comité Maritime International (CMI) depuis 1993, consultant et porte-parole du groupe africain à la CNUDCI (Onu) en Droit des transports depuis 2006 et formateur de magistrats à l'Ecole Régionale Supérieure de la magistrature de l'OHADA à Porto Novo depuis 2004, le professeur El Hadji Ibrahima Khalil Diallo est sceptique quant à la privatisation du ‘’Hajj’’. Il donne ses raisons.

 

Le ministre des Affaires Etrangères et des Sénégalais de l'extérieur a annoncé, il y a un mois, la décision de l'Etat de confier la gestion du pèlerinage à La Mecque aux privés. Quelle est votre appréciation ?

Il faut rappeler que le pèlerinage à La Mecque a toujours relevé de la compétence de la puissance publique. Nonobstant le caractère laïc de l’Etat, il n’y a pas incompatibilité ou antinomie, au contraire. Et, dans la pratique, l’Etat ne pouvant pas honorer tout son quota, a accordé une bonne place aux privés dans le cadre d’une co-organisation.

Maintenant, depuis quelques années, des informations tendant à privatiser totalement le pèlerinage aux lieux saints de l’islam sont distillées et, comme vous le dites, le Ministère de tutelle a confirmé cette volonté de l’Etat de se désengager entièrement de l’organisation. A titre personnel, j’ai toujours défendu l’opinion selon laquelle il est trop prématuré de prendre cette option, d’autant que, à mon avis, il n’y a pas eu d’évaluation exhaustive des prestations des privés avec des résultats probants permettant de justifier ce transfert total de compétence.

Cette question a été abordée dans votre ouvrage intitulé ‘’Le voyage sublime : tout sur le pèlerinage aux lieux saints de l’Islam selon le Coran et la Sunna’’ où vous révélez des manquements dans la gestion du ‘’Hajj’’. Pouvez-vous nous en dire plus ?

J’ai effectivement traité du sujet dans mon ouvrage sur le ‘’hajj’’ paru en septembre 2013. Et, en novembre 2013, j’ai fait paraître dans la presse locale, notamment dans vos colonnes, une sorte de lettre ouverte adressée au ministre de tutelle pour attirer son attention sur les graves manquements vécus lors de cette édition 2013 aussi bien du côté du Commissariat lui-même que des privés. Malheureusement, tout le monde continue à évoquer un satisfécit au grand dam des pèlerins. Et chaque année, on rebelote avec les mêmes dérives et travers, malgré les constats et les promesses de correction que le Commissaire lui-même avait faits dans la presse.

Pour des Sénégalais, c'est une grave erreur que de privatiser le ‘’hajj’’. Ils pensent qu’il faut maintenir le statut quo pour ne pas livrer les fidèles entre les mains des privés qu’ils taxent d’hommes d’affaires. Votre avis?

Je peux confirmer qu’il y a parmi eux de véritables « businessmen » comme vous le dites, c'est-à-dire qui ne sont mus que par l’appât du gain. Si cela n’est pas  interdit par la Sunna, celle-ci condamne par contre le voyagiste qui porte préjudice au pèlerin, du fait des manquements manifestes dans l’encadrement.

J’ai eu le privilège, en trois éditions (2011 – 2012 – 2013) d’y aller avec des voyagistes privés différents, ce qui m’a permis de vivre et faire des constats effarants ! Notamment, un organisateur privé qui s’est battu avec un pèlerin lequel d’ailleurs travaille dans une très célèbre radio privée locale (2011) ; des pèlerins de la Commission nationale qui ne s’arrêtent pas à Biir Ali pour formuler leur intention et faire leur choix de hajj (2013) ; des pèlerins qui ont des problèmes d’hébergement à Médine et à La Mecque ou qui dorment à la belle étoile à Mouna (2013) ; d’autres qui ignorent le type de hajj qu’ils effectuent, du fait de l’absence d’encadrement religieux adéquat. Il ne s’agit pas d’un business ordinaire où tous les moyens sont permis pour gagner de l’argent.

Des incompatibilités devront être instituées pour rendre inéligibles certains candidats. Ainsi, il est inadmissible qu’un lutteur ou un promoteur de lutte, en activité, soit organisateur de pèlerinage aux lieux saints de l’Islam ; il en est de même de toute personne dont les activités sont prohibées par l’islam, notamment les organisateurs de « soirées », les chanteurs, les gérants d’auberge, les guides touristiques etc.. Il faudra instituer un véritable statut définissant le profil du voyagiste dans le cadre des charges avec des droits et obligations.

On s’interroge sur le sort qui devra être réservé au Commissariat général pour le pèlerinage à La Mecque de même que sur le prix du package. Votre point de vue?

Dans une optique de privatisation totale, le Commissariat devra jouer son rôle d’organe de contrôle et de régulation, ce qu’il n’a pas encore réussi. Et la meilleure formule de contrôle devrait consister dans l’implication effective des pèlerins dans le cadre d’une enquête de satisfaction avec des questionnaires précis distribués à tous sans exception. Le Commissariat devra élaborer un véritable statut du voyagiste et le faire appliquer strictement sans complaisance. Et, à ce titre, parmi les obligations minimales du voyagiste, l’exigence d’un bon encadrement religieux et d’une bonne formation du pèlerin, avant le départ, devraient figurer en très bonne place. Sous ce rapport, le Commissariat pourrait fonctionner avec très peu de personnes sauf à conserver l’équipe médicale qu’il faudra rendre bien plus opérationnelle.

Quid du package ?

Sur ce plan, j’ai soutenu, en novembre 2013 dans la presse, sur la base d’une investigation minutieuse prenant en compte la pratique des pays voisins, que le pèlerin sénégalais devrait payer bien moins de deux millions CFA pour effectuer le pèlerinage aux lieux saints de l’Islam. Et cette question devrait être bien étudiée dans le cadre d’une éventuelle privatisation intégrale pour éviter les dérives de manière à ce que le maximum de Sénégalais puisse honorer ce 5e pilier de l’Islam. Il serait dommage de dire que la concurrence va réguler le prix du hajj car les ententes prohibées entre agences ne sont pas à exclure.

 

 

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