Publié le 1 Sep 2014 - 17:07
PROFESSEUR SERIGNE AMADOU NDIAYE, DOYEN DE LA FACULTÉ DES SCIENCES ET TECHNIQUES (FST)

“Quand on fait des réformes, il faut y aller à une cadence acceptable et acceptée par tout le monde”

 

Vice-président de l’assemblée de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) et doyen de la faculté des sciences et techniques (FST), Serigne Amadou Ndiaye aborde, dans cet entretien accordé à EnQuête, la situation de l’Université et parle de  leur rencontre avec le président de la République suite aux évènements tragiques qui ont abouti à la mort de Bassirou Faye, étudiant de sa faculté.

 

L’année universitaire a été marquée par des troubles successifs ayant abouti à une session unique. La grève sur les bourses qui s’est soldée par  la mort de l’étudiant Bassirou Faye est venue empirer la situation. Pensez-vous que l’année universitaire sera sauvée ?

Je crois que l’année universitaire n’est pas perdue et qu’il y a toujours possibilité de la rattraper. Si je prends le cas de certaines facultés comme la nôtre, au moment où il y a eu ces évènements malheureux qui ont abouti à la mort de l’étudiant Bassirou Faye, étudiant de la FST, on était le 14 août. Il nous restait à nous, faculté des sciences et techniques, deux semaines de cours. On avait déjà prévu de boucler les enseignements du premier comme du deuxième semestre le 31 août.

Et concernant le premier semestre, les cours avaient été terminés depuis la fin du mois de mars. Sur ce, enseignants comme étudiants étaient tombés d’accord pour faire les évaluations du premier semestre les dimanches pour ne pas perdre de temps tout en faisant les cours du deuxième semestre. Et dans le schéma initial qu’on s’était fixé, toutes les évaluations du premier semestre allaient être faites à la date du 31 août. Et qu’à la rentrée le 13 octobre, on allait revenir pour faire les évaluations du deuxième semestre.

Les étudiants avaient accepté de faire une session unique pour repartir du bon pied et avoir un calendrier normal qui commencerait à la mi-novembre pour se terminer à la mi-juillet.

On a vu que votre schéma initial a été chamboulé, maintenant qu’en est-il du nouveau calendrier ?

Evidemment cet évènement malheureux est venu au moment où il nous restait juste deux semaines de cours. Trois jours après, L’assemblée de faculté s’est retrouvée à nouveau le mardi 19 août pour évaluer ce qui a été fait et compte tenu de la nouvelle situation, voir quel calendrier proposer à la rentrée. Et donc l’assemblée de faculté a suspendu tous les cours jusqu’au 8 octobre, date à laquelle si tout va bien, les activités vont être reprises. On va poursuivre les évaluations du premier semestre qu’on était en train de faire les dimanches. Et à partir du 20 octobre et jusqu’au 31 octobre, on termine les enseignements du deuxième semestre, car il nous restait deux semaines de cours. Du 8 novembre au 6 décembre, on va faire les évaluations du deuxième semestre. Et à partir du 8 décembre on compte redémarrer nos cours pour l’année 2014-2015.

C’est vrai que le calendrier a été réaménagé. Toutefois, êtes-vous optimiste par rapport au respect de ce nouveau calendrier ?

Du 20  août au 8 octobre, cela fait une cinquantaine de jours.  Je pense que si l’on ne parvient pas à dénouer cette crise en 50 jours quand même, c’est un problème très sérieux. Et les autorités sont dans une dynamique de vouloir régler cette crise le plus rapidement possible. Donc faisons confiance et agissons tous ensemble pour que cette crise puisse trouver un dénouement  avant la fin du mois de septembre. Cela étant, on pourrait repartir sur de bons pieds et redémarrer une année normale et que notre espace puisse être un espace d’ordre où la paix règne, où l’étudiant viendrait chercher du savoir et repartir la tête pleine de connaissances et de compétences pour servir notre pays.

Le président de la République est en train de se concerter avec les différents acteurs. Il vous a reçus, vous les doyens des universités et les recteurs. Qu’est-ce qui ressort de cette rencontre ?

Je crois que cela a été une très bonne chose que le président reçoive  les acteurs. Il a reçu tous les recteurs accompagnés des doyens et des directeurs d’UFR pour un échange. Les audiences se poursuivent. Le Président va continuer et il va recevoir les syndicats, les étudiants, les parents d’élèves.

C’est par cette voie que l’on va déboucher sur une entente qui va permettre aux uns et aux autres de se retrouver et de continuer à travailler, c'est-à-dire continuer cette année universitaire pour laquelle dans la majeure partie des facultés, le premier semestre est déjà derrière nous et que le deuxième semestre avait été entamé.

Mais à l’occasion de cette rencontre, qu’est-ce qui a été le maître mot des administrateurs des diverses universités ?

Le Président nous a écoutés. On a fait part des problèmes que nous rencontrons dans la gestion quotidienne de nos établissements. Un établissement comme l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) aujourd’hui, tout le monde sait qu’il a des effectifs pléthoriques. Et l’UCAD étouffe. Nous avons un espace dans lequel on compte aujourd’hui 83 997 étudiants. C’est beaucoup (il répète). Mais qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? Le Sénégal n’a pas suffisamment de bacheliers pour en avoir trop. A mon avis, il faudrait que les universités nouvellement créées montent en puissance. Et les deux universités qui sont en train d’être mises en place et pour lesquelles l’Etat a déjà consenti pour chacune un  financement de plus de 65 milliards, il faudrait aussi que ces universités-là sortent de terre et qu’elles intègrent le système éducatif pour résorber une partie des nouveaux bacheliers. Ainsi, l’UCAD va pouvoir souffler et progressivement, on ira vers le désengorgement pour qu’on retrouve des effectifs acceptables pour l’UCAD.

Vu le contexte actuel, ne pensez-vous pas que le problème, c’est le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ; d’autant plus que les étudiants réclament son départ avant toute concertation avec le Président ?

Vous savez, les étudiants ont toujours leurs revendications. Ce n’est pas la première fois que des étudiants, au cours d’une manifestation, demandent le départ d’un ministre. Maintenant, nous administratifs, ce que nous sommes en train de faire, c’est de travailler. Quel que soit le ministre qui sera là, nous l’accompagnerons, nous travaillerons avec lui. Pour nous, l’essentiel, c’est l’Enseignement supérieur, la bonne marche de nos structures, qu’il y ait un bon encadrement de nos étudiants et qu’ils obtiennent leur diplôme dans les meilleures conditions.

A l’UCAD, de 2009-2010 à 2013-2014, les effectifs sont passés de 57 601 à 83 997 étudiants. Pendant cette période, aucun  poste d’enseignant ni de pacte n’a été créé. Cela pose un problème. Aujourd’hui, le taux d’encadrement est de 1 enseignant pour 69 étudiants. Hors la norme définie par l’UNESCO est de 1 enseignant pour 24 étudiants. Donc il y a un déficit d’enseignants et de personnel administratif technique et de service. Cependant, si l’on regarde bien aussi, le Sénégal est l’un des pays qui met le plus de son budget dans le secteur de l’éducation d’une façon générale.

Et jusque-là, notre pays a toujours eu des ressources humaines de qualité. Partout où elles sont allées, les gens se sont réjouis et ont apprécié positivement la compétence des Sénégalais. Je crois que quel que soit par ailleurs, l’investissement qu’on mettra dans ce secteur là, il ne sera jamais de trop parce que la bonne formation, des compétences avérées, des ressources humaines de qualité pour un pays, cela n’a pas de prix.

Des ressources humaines de qualité, mais en quantité insuffisante……

Non (il insiste). On ne peut pas dire que c’est en quantité insuffisante. Parce quand on mettait en place les nouvelles universités, un appel à candidature a été lancé pour pourvoir les postes. J’étais membre d’une commission ; et après avoir fini de pourvoir aux postes, il nous restait un stock de plus de 200 docteurs qui ont la compétence et la possibilité d’enseigner dans les universités. On n’est pas allé chercher ailleurs.

Donc, c’est un problème de recrutement.

C’est tout simplement un problème de recrutement. Des docteurs qui ont la possibilité d’enseigner dans les universités, il en existe. Nous en formons, nous en avons et il y a des stocks qui existent aujourd’hui. Si on faisait des appels à candidature, vous allez voir qu’on va se retrouver avec beaucoup de candidatures venant du Sénégal, de la diaspora et d’ailleurs. Donc sur le plan des ressources humaines, le Sénégal n’a rien à envier aux pays développés.

Parlant des réformes, tout le monde s’accorde qu’elles s’imposent. Mais ne pensez-vous pas que c’est un peu précipité d’où ces troubles répétitifs?

Il faut regarder dans le rétroviseur pour voir ce qu’on est en train de faire, ce qui est bon et ce qui est mauvais et faire des réformes. C’est vrai ; maintenant quand on fait de réformes, il faut aller à une cadence acceptable et acceptée par tout le monde. Il ne faut pas aller trop vite. Il faut planifier les réformes et les faire étape par étape. Il faut dialoguer pour parvenir à trouver un terrain d’entente et qu’on puisse évoluer sur ce terrain d’entente-là. On ne peut pas être contre des réformes, mais quand on met en place des réformes, il faut qu’on aille à un rythme où les uns et les autres puissent se retrouver dans le rythme et que ces réformes puissent être appliquées de façon apaisée. Il est extrêmement difficile de réussir des réformes, si elles ne sont pas acceptées, si cela occasionne des perturbations.

Comment se passer des troubles si le gouvernement ne paye pas régulièrement les bourses et à temps ?

Les bourses, c’est ça le nœud du problème. A mon avis, quand un étudiant est allocataire d’une bourse d’étude, il faudrait qu’il puisse quand même bénéficier de cette allocation dès le départ ou les premiers mois de sa scolarité pour subvenir à ses besoins, s’inscrire, acheter des documents, se nourrir, se vêtir. Tout le monde ne peut pas être boursier, disons-nous la vérité. Mais les meilleurs qui sont sélectionnés pour être des boursiers, qu’on puisse leur donner leur bourse à temps.

Cela étant, le social pèse énormément sur le pédagogique parce que tout simplement, quand les étudiants ont des revendications sur ce plan , ils les transfèrent dans le campus pédagogique et ils arrêtent les cours. Et du coup, le pédagogique en souffre parce que le quantum horaire n’est pas respecté. Je pense que l’Etat aiderait à avoir une politique très transparente en matière d’attribution des bourses.

Seydina Bilal DIALLO

 
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