Publié le 29 Aug 2014 - 12:09
REDOUBLEMENT ET EXCLUSION A L’ECOLE

Les chiffres d’une pédagogie de l’échec

 

‘’Le redoublement est par nature un outil de sélection par l'échec’’. Cette affirmation dans une étude de la CONFEMEN semble être confirmée par  les chiffres en 2013 dans le système éducatif au Sénégal. Le taux de redoublement et d’exclusion reste très élevé à l’école publique. L’occasion est donc donnée aux Assises nationales de l’Education ouvertes depuis hier de se pencher sur la question.

 

Les Assises nationales sur l’éducation, ouvertes depuis hier, se veulent une grande réunion d’accouchement d’idées, censées mettre le système éducatif national sur le bon tempo, afin qu’il puisse prendre en charge les réalités locales et rester ouvert aux enjeux d’un monde que l’on considère globalisant. Dans une  récente conférence de presse, le ministre de l’Education nationale Serigne Mbaye Thiam avait déclaré que la tenue des Assises s’explique par les nombreuses ‘’facteurs de blocage qui empêchent le Sénégal d’avoir un espace de qualité durablement pacifique’’.

Dans le système éducatif, il y a un nombre important  de grèves, lesquelles sont tellement médiatisées que l’on oublie que ces mouvements sont certes une partie mais ne sont pas le fond du problème. En vérité, les grèves ne sont que l’écume qui empêche de voir la réalité dans sa totalité. Le secteur de l’éducation connaît de nombreux problèmes qui déteignent sur sa performance. Les redoublements et les exclusions en sont une illustration parfaite. Selon des statistiques du ‘’Rapport national sur la situation de l’éducation 2013’’, les déchets du système sont importants.

Dans le cycle primaire, sur 100 enfants scolarisés en 2012, il y a eu 2,8% qui ont redoublé et 9,8 sortis du système. ‘’Avec les taux actuels de promotion (passage en classe supérieure), de redoublement et d’abandon, pour une promotion de 100 élèves inscrits au CI, seuls 87 atteignent la dernière année d’étude’’. Rester à l’école semble d’autant plus difficile que les techniciens du ministère ont utilisé le vocable ‘’survivants’’ pour parler de ceux qui passent à la classe suivante. Pourtant, l’école est loin de recevoir le nombre d’élèves qu’on attend d’elle pour se permettre de telles exclusions. Le taux brut de scolarisation tourne aujourd’hui autour de 93%. Mais il cache d’autres réalités. Le potentiel scolarisable laissé en marge se révèle très important.

Les experts du ministère considèrent la tranche d’âge 7 à 12 ans comme la période du cycle élémentaire. Or, en 2013, il y a eu 204 277 nouveaux inscrits en CM2. ‘’Cet effectif, rapporté à la population (générale) de 12 ans en octobre 2012 (310 025) donne un taux d’achèvement de 65,9%». Dans cette même période, le nombre de jeunes entre 13 à 16 ans (âge du collège) est de 1 227 598. Quant à l’effectif parmi ces jeunes qui fréquentent les collèges d’enseignement  moyen (CEM), il est de 711 710. Soit un TBS de 58%. Cela veut dire que près de 4 jeunes sur 10 de la tranche d’âge ne sont pas admis dans le circuit. Selon une étude de la COSYDEP, le nombre d’enfants hors du système s’élève à 2 628 919 en 2012.

Plus de redoublant au CM2

Les chiffres ont certes évolué, cependant, il n’est pas évident qu’ils traduisent forcément une nette avancée de la qualité. En effet, deux mesures ont été prises qui ont pour objectif de laisser passer les élèves quel que soit leur niveau. La première est l’annulation de tout redoublement à l’intérieur d’une étape. En fait le CI et le CP constituent une étape. Il en est de même pour le CE1 et le CE2 ainsi que le CM1 et le CM2. Le ministre a décidé qu’entre le CI et le CP, il n’y aura plus de redoublement. Idem pour le passage du CE1 au CE2 et du CM1 au CM2. Seul est permis le redoublement d’une étape à une autre. C'est-à-dire du CP au CE1 et du CE2 au CM1.

L’autre mesure en vigueur depuis  2011, est de laisser les enfants passer en masse pour le concours d’entrée en 6ème. La scolarisation  universelle jusqu’à 10 ans étant considéré comme un droit. Ce qui veut dire que le jeune doit au moins arriver en classe de troisième secondaire. Les défenseurs de cette théorie arguent que le redoublement retarde la scolarisation des jeunes. Ils affirment que les redoublants occupent la place d’autres qui devraient intégrer le système et qui ne pourront plus le faire parce que leurs prédécesseurs n’ont pas bougé. Ainsi au Sénégal, le taux de réussite qui était à 20% à l’entrée en sixième en 2000 passe à 90% et plus. Le ministre Kalidou Diallo a sans doute raison de dire qu’il a ‘’ouvert les vannes’’.

Chiekh Mbow, le coordonnateur de la COSYDEP, n’est pas contre l’ouverture des vannes. Au contraire, il pense même que l’exclusion est une aberration, le redoublement inacceptable. Toutefois, il demande à ce qu’il y ait des mesures d’accompagnement pour que la qualité suive.

A l’image du Primaire, le Moyen a aussi ses ‘’bannis’’. Dans ce cycle, on note un taux d’admis en classe supérieure qui est de 74,5% en 2012. De ce fait, le redoublement est à 16,4% cette année contre 17,8% en 2011. L’abandon est de 9,1%. A noter à ce niveau que la classe de troisième est une montagne difficile à franchir pour les élèves. 20,6% ont redoublé cette classe, 14,4% ont quitté. De façon générale, le BFEM reste problématique pour les adolescents depuis l’alternance au moins. Sur la période 2003-2013, les résultats à l’examen ont connu une baisse de 13,7 points. Quant au  taux de réussite au Bac, il vacille autour de 38% depuis 2011, alors que  dans le supérieur, c’est la catastrophe.

5 à 6 milliards de perte

Par ailleurs, en dépit de tous ces chiffres, il faudra redéfinir les critères de redoublement. L’inspecteur de l’Education de Pikine Ibrahima Sall affirmait que les examens sont faits au Sénégal pour préparer l’échec de l’élève.

Une affirmation consolidée par le secrétaire général du Sudes, Amadou Diaouné. ‘’Pour beaucoup d’enseignants, le redoublement est nécessaire. Ils pensent qu’on devient meilleur. C’est la perception de l’ancienne école’’, reconnaît-il. Cependant, le redoublement a un coût. D’ailleurs une étude de la CONFEMEN l’évalue entre 5 et 6 milliards. Une somme assez élevée pour amener la communauté à trouver des alternatives.

BABACAR WILLANE

 

 

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