Publié le 7 Nov 2023 - 19:25
RELATIONS ISRAËL-SÉNÉGAL

63 ans de brouilles, de retrouvailles et d'incompréhensions 

 

Le Sénégal et l’État hébreu, qui entretiennent des relations diplomatiques depuis 1960, ont connu des relations tumultueuses faites de ruptures violentes et de réconciliations.  Cette relation bilatérale a comme jauge l'évolution du conflit israélo-palestinien et la défense des droits des Palestiniens à vivre libres sur la terre de leurs ancêtres.

 

Pour les défenseurs de la cause palestinienne, le message était on ne peut plus clair. Réunis samedi dernier à l’occasion d’un rassemblement pro palestinien afin de dénoncer les bombardements meurtriers de l’armée israélienne sur la bande de Gaza, les manifestants ont appelé le gouvernement sénégalais à rompre ses relations avec l’État hébreu.

Il faut dire que la relation entre les deux pays a longtemps été tumultueuse, faite de ruptures et de réconciliations.  La faute à la position du Sénégal qui, depuis 1975, préside le Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien. Un soutien qui fait l’unanimité au sein de toute la classe politique, des milieux religieux et de l’opinion publique au Sénégal. La question palestinienne sert de variable d’ajustement avec Israël qui a noué des relations diplomatiques avec notre pays de l’accession à l’indépendance en 1960.

Malgré cette reconnaissance de l’État hébreu, le Sénégal a voté toutes les résolutions onusiennes appelant à l’instauration d’un État palestinien sur les frontières d’avant la guerre de 1967 (Cisjordanie et bande de Gaza) avec Jérusalem-Est comme capitale.  

1960-1989 : La reconnaissance mutuelle puis rupture après la guerre du Yom Kippour

Dès les indépendances, le Sénégal et Israël décident d’entretenir des relations diplomatiques. En 1960, Israël a été le quatrième pays au monde à reconnaître le nouvel État sénégalais. Les deux pays collaborent ainsi dans divers domaines de l’enseignement technique, de l’agriculture et de l’hydraulique.

Malgré cette coopération active, le Sénégal a aussi intégré  le Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien et a reconnu l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) comme représentant légitime du peuple palestinien. Le Sénégal, fidèle à sa tradition de soutien aux mouvements indépendantistes comme l’ANC (Afrique du Sud), la Swapo (Namibie) et le PAIGC (Guinée-Bissau) a toujours montré son soutien à l’OLP de Yasser Arafat. Le leader palestinien sera reçu en 1977 par Léopold Sédar Senghor qui devient le premier président subsaharien à le recevoir en sa qualité de chef de l’OLP considérée par les puissances occidentales comme organisation terroriste.

À la suite de la guerre du Yom Kippour (1973), le Sénégal décide de rompre ses liens avec Israël, en solidarité avec les pétromonarchies du Golfe et avec l’Égypte, alors en conflit avec Israël. 

1989-2016 : Reconnaissance de l’État palestinien jusqu’à la brouille diplomatique

Le Sénégal sera un des premiers pays au monde à reconnaître l'État de Palestine en 1989, sous Abdou Diouf. Cette reconnaissance sans l’approbation des puissances occidentales qui s’opposaient à l’établissement de l’ambassadeur palestinien à Dakar. Après la guerre du Golfe en 1991 et le début des négociations devant conduire à la signature des accords de paix d’Oslo en 1993, les deux pays décident de renouer leurs relations diplomatiques.

Malgré quelques moments de crispation liés aux événements de la deuxième Intifada (2000-2005), les deux pays redémarrent leur coopération, notamment dans le domaine agricole.

Cependant, cette lune de miel ne résistera pas au vote de la résolution 2334 parrainée par le Sénégal alors membre non permanent du Conseil de sécurité en 2016. Ce vote a, semble-t-il, mis un coup d’arrêt à l’extension de cette coopération dans les domaines de l’innovation technologique, de la désalinisation de l’eau de mer, de la désertification et des énergies renouvelables.  Il faudra attendre  juin 2017 pour que le Sénégal et Israël normalisent leurs relations après une rencontre entre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et Macky Sall à Monrovia (Liberia) en marge du 51e Sommet ordinaire de la Conférence des chefs d'État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO).

2017 : Offensive diplomatique. Israël, pays observateur de l’UA

Cette normalisation entrait dans le cadre d’une volonté de renforcer des liens entre les pays africains et l’État hébreu qui, depuis plus d’une décennie, mène une offensive diplomatique sur le continent. Depuis 2010, Israël multiplie les accords de coopération dans divers domaines comme la sécurité, les technologies, le tourisme et l'agriculture avec des pays comme le Kenya, le Rwanda, le Togo et le Cameroun.  Contrairement à un groupe de pays comme l’Afrique du Sud, la Tunisie, la Mauritanie, l’Algérie fortement opposée à la décision du président de la commission de l’Union africaine Moussa Faki Mahamat d’accorder à Israël en 2021 le statut de membre observateur de l’Union africaine, le Sénégal semble décidé à adopter une position neutre dans ce dossier.  Le Sénégal n’a pas signé une note de protestation dénonçant cette mesure.

Il faut dire que l’admission d’Israël comme membre observateur de l’UA est une suite logique de la percée de la diplomatie israélienne ces dernières années en Afrique. L’État hébreu compte sur ses nouveaux alliés comme le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda et le Togo pour contrer l’hostilité des pays comme l’Algérie et l’Afrique du Sud qui, en février 2023 ont obtenu l’expulsion de la représentante du ministère des Affaires étrangères israélien lors du dernier sommet de l’UA.

Cette percée diplomatique d’Israël vise avant tout à isoler la Palestine et à éviter que les pays africains ne votent plus automatiquement contre Israël aux Nations Unies. Cette stratégie semble peu porter ses fruits, notamment depuis le 7 octobre dernier, avec l’attaque du Hamas. Seuls quelques pays comme le Togo, le Kenya ou le Ghana, le Cameroun et l’Ouganda ont condamné cette attaque du Hamas, tandis que la majorité des pays africains, dont le Sénégal, ont appelé à la désescalade ou même salué l’attaque du Hamas (Algérie, Tunisie). Le Sénégal a aussi réitéré la nécessité de raviver au plus vite les négociations entre les parties, en vue de parvenir à la création de deux États indépendants, Israël et Palestine, vivante côte à côté, à l’intérieur de frontières sûres et internationalement reconnues.

Mamadou Makhfouse NGOM

 

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