Publié le 22 Oct 2014 - 20:15
REPORTAGE – COLOBANE, RUES 44x49

Tombong Oualy, alias Thomas Sankara!

 

Inculpé puis placé sous mandat de dépôt après un retour de parquet, l’adjudant Tombong Oualy va devoir affronter les questions du juge Mahawa Sémou Diouf sur les circonstances dans lesquelles il aurait tué l’étudiant Bassirou Faye. Mais dans son fief de Colobane, le scénario livré par le procureur de la République est un forcing pour trouver un bouc-émissaire et tirer l’Etat d’un mauvais pas.

 

Le dossier de l’étudiant Bassirou Faye croule encore sous le poids des zones d’ombre, en dépit de la détermination affichée des autorités politiques et judiciaires à poursuivre sur le chemin qui les a menées vers le présumé meurtrier, l’adjudant de police Tombong Oualy. Depuis ce lundi, ce dernier a été inculpé et mis sous mandat de dépôt pour homicide volontaire par le Doyen des juges, Mahawa Sémou Diouf.

Une décision que s’est engagé à combattre Me Bamba Cissé, avocat du mis en cause, plus que jamais arc-bouté à la thèse de l’innocence de son client.  Pour lui, comme pour la famille de l’étudiant tué par balle le 14 août dernier au campus de l’université Cheikh Anta Diop (UCAD), le coupable est à chercher ailleurs. Dans cette foulée, Me Cissé envisage même de déposer une demande de liberté provisoire pour Tombong Oualy une fois que celui-ci aura été entendu sur le fond par le Doyen des juges.

Colobane, Rue 44x49

Pendant ce temps, à la rue 44x49 de Colobane, quartier natal de Tombong, c’est l’amertume et la désolation chez les proches de sa famille obligés de s’en remettre à Dieu dans un premier temps, avant le déroulement d’initiatives de soutien à la cause du policier placé en détention préventive.

Ici, au-delà de l’affaire, une chose reste inoubliable : c’est que le jour de son baptême coïncide avec l’assassinat, le 14 octobre 1987 au Burkina Faso, de Thomas Sankara par des militaires proches de ses meilleurs amis «révolutionnaires» de l’époque. Une coïncidence qui ne laisse pas sa tante indifférente. «C’est sa mère qui lui a donné le surnom de Sankara ; elle l’appelle toujours Thomas d’ailleurs», raconte-elle.

Le surnom est devenu très populaire, nous confie-t-on entre les couloirs de l’immeuble Momar Marième Diop, une vieille bâtisse, pas délabrée, qui porte le nom d’un ancien Grand Serigne de Dakar. Là, vivent depuis une dizaine d’années, nous souffle-t-on, les frères du policier et sa mère. C’est dans une maison d’en face qu’est pourtant né Tombong Oualy, du nom de son grand-père paternel. Sa mère, elle, est issue de la famille Sy Sibé de Thiofor à Podor alors que son père, indiquent des sources, est d’une lignée royale originaire de la région de Tambacounda.

Le bourreau présumé de Bassirou Faye, qui s’identifie à Thomas Sankara depuis belle lurette, «est un homme de principes influencé d’une certaine manière dans son choix professionnel par son père, un adjudant de la gendarmerie», rapporte son oncle Moussa Mbaye, un ancien collègue de son géniteur. C’est pourquoi on s’indigne, ici dans ce quartier de Colobane, des «élucubrations» de certains «délateurs» qui, dit-on, cherchent à sacrifier un jeune «discipliné, correct et serviable».

«Contrevérités»

C’est un autre portrait de Tombong Oualy qui circule ici. «Nous avons été atterrés par les contrevérités distillées depuis quelques jours dans la presse», s’insurge Moussa Mbaye. «Sa passion pour la tenue a été si grande qu’il a abandonné ses études universitaires en 2e année de sciences juridiques pour faire le concours de la gendarmerie.»

A ce niveau, l’oncle livre la raison essentielle pour laquelle Tombong a quitté les pandores. «Il avait été irrité par le traitement inhumain qui leur est réservé lors de la formation, c’est pourquoi il a préféré démissionner et rejoindre la Police après avoir réussi le concours d’entrée.» Ensuite, comme pour casser une autre «légende», l’oncle en remet une couche : «jamais il n’a été renvoyé, je puis le certifier pour l’avoir vu naître et grandir.» Tombong Oualy exclu de la gendarmerie : vrai ou faux ?

Dans la maison familiale de Moussa Mbaye, des hochements de tête ponctuent ses propos. La sympathie pour le jeune homme est manifeste. Tous s’indignent contre cette «tentative de l’Etat» de lui faire porter le chapeau noir de la mort de l’étudiant Bassirou Faye. Un Etat qui, mis sous pression dans l’opinion publique, serait également dans une logique de «relooker» son image. Raison pour laquelle ses services se sont empressés de mettre à l’index «un innocent».

Dans le voisinage, une atmosphère de deuil a prévalu quand le nom de l’adjudant de police est sorti dans la presse, nous dit-on. «C’est trop injuste, nous avons l’intention d’organiser une marche pour demander sa libération», indique un quidam. La dame Fatou Mbaye, une voisine d’en face, fond en larmes. «Que Dieu tranche», supplie-t-elle. Moins fataliste, Djamil Diagne jure que «Tombong n’est pas cet homme qu’on dépeint (…) J’ai du mal à croire ce que dit la presse», ajoute ce jeune homme qui se présente comme celui qui, à chaque Tabaski, «égorge le mouton » de son ami.

«Il fume la cigarette mais il ne s’est jamais drogué’’

Quand d’aucuns le présentent en drogué, c’est presque le scandale, même si tout le monde n’a pas envie de s’exprimer sur la question. «L’humain est complexe, philosophe Khalifa Mboup. Mais je tiens cet atelier dans ce quartier depuis 1974, bien avant la naissance de Tombong. Je doute que ce jeune qui baisse toujours le regard devant ses aînés puisse avoir un tel comportement.» Il ne croit pas si bien dire, M. Mboup, l’humain est si complexe qu’il ne faut peut-être jurer de rien dans la vie.

La dame Fatou Mbaye, pour sa part, ne se départit pas de ses certitudes. «Il force le respect et est très lucide alors qu’un ivrogne ou un drogué est toujours trahi par les traits de son visage», explique-t-elle, dans la peau d’une physionomiste bon teint. «Il est loin d’être un drogué, il fumait même rarement une cigarette»,  rajoutent les autres personnes entendues sur place.

Tombong Oualy est, depuis plusieurs années, un enfant de divorcés, plus complice de sa mère que son père. Pour sa mère, on dit ici que le jeune homme est prêt à tout. «Elle est si irréprochable que Tombong a toujours manifesté une bienveillance touchante envers elle», nous apprend-on. «C’est lui qui, à bord d’un pick up, la conduisait quelquefois à son lieu de travail, l’Endss», en face de l’Ucad, route de Ouakam.

«Quand le procureur parlait…»

Jointe au téléphone une première fois ce lundi après-midi, sa maman Marième Sy veut rester stoïque et muette. «Ma famille et mes proches m’ont déconseillé de parler à la presse. Merci pour cette sympathie», dit-elle, sobre. Rebelote le lendemain, donc hier, mais avec elle, en chair et en os, chez elle où elle a accepté de nous recevoir. «J’ai été surprise d’apprendre dans la presse que je suis inconsolable depuis le début de cette affaire. C’est parfaitement faux, dit-elle. J’ai retenu mes larmes jusqu’ici et mon entourage peut témoigner de mes capacités à transcender ce genre d’événement. » Il n’empêche, l’amertume est là. Notamment avec la conférence de presse du procureur de la République, Serigne Bassirou Guèye.

«Je l’ai bien suivi. Quand il disait, vers 16h30, avoir mis aux arrêts le présumé meurtrier de l’étudiant Bassirou Faye, je ne m’imaginais pas qu’il s’agissait de mon fils», dit-elle. Et pour cause, «Tombong était à côté de moi, il a prié ici, dans ma chambre. C’est après qu’il a reçu un coup de fil d’un lieutenant de la police l’informant de sa convocation à la Dic. C’est moi-même qui lui ai donné de l’argent pour prendre un taxi», ajoute la dame Marième Sy.

A une heure avancée de la soirée, et après avoir tenté en vain d’avoir des nouvelles de Tombong, c’est ce dernier qui parvient à la joindre «vers minuit». Et c’était pour lui annoncer sa garde-à-vue. «Le sol s’est dérobé sous mes pieds, je lui ai juste dit que je place ma confiance en Dieu. Il me fallait partager mon chagrin, j’ai appelé une de ses tantes… Puis le monde s’est écroulé quand, le lendemain, j’ai vu le nom et les photos de mon fils dans les journaux. C’est à ce moment-là que j’ai cessé de pleurer. Allah édifiera l’opinion publique.»

MATEL BOCOUM

 

Section: