Publié le 4 Mar 2015 - 22:19
SABODALA

Un domaine aurifère, deux visages

 

Dans l'imaginaire de beaucoup de Sénégalais, Sabodala rime avec le métal précieux. Un cliché qui se confirme pour une fois et se traduit par des relations tendues entre le village éponyme et la compagnie Sabodala Gold Operation (SGO). Si cette dernière, qui a déjà commencé l’exploitation, affiche de grandes ambitions, son expansion territoriale se heurte à la réticence des résidents de la zone.

 

On se croirait dans les paysages arides du sud-ouest américain, avec une chaleur intenable et des montagnes à profusion. Mais on est dans les confins du Sénégal, au cœur de la seule société d’exploitation de mine d’or du pays. Sabodala Gold Operation (SGO) est l’entité qui opère dans la zone éponyme. Elle est une holding de Teranga Gold Operation (TGO) qui la détient à 90 % via Sabodala Gold Mauritius Ltd., les 10 % restants de SGO appartenant à la République du Sénégal. La société s’entoure du maximum de garanties sécuritaires parfois superflues, pour une zone aussi isolée et presque inhabitée.

A l’entrée du périmètre minier, des écriteaux en anglais marquent l’entrée dans son territoire. Une voiture de patrouille blanche sert d’escorte jusqu’au siège des opérations de la société. L’aérodrome, la banque, des restaurants etc., des installations qui paraissent anachroniques au milieu d’une végétation asséchée et d’un paysage poussiéreux qui constituent le décor sur la soixantaine de kilomètres de piste, depuis le croisement de Saraya. Le complexe est une oasis de fraîcheur dans cette chaleur étouffante. Un îlot d’opulence dans un océan de sécheresse.

Les autorités de la boîte ne lésinent pas sur la communication pour rendre visibles leurs réalisations sociales. Exposé oral, projection de film sur les réalisations de la société, visite d’un périmètre maraîcher, d’une école…, SGO polit son image. Le superviseur du département Relation communautaire et environnement de la compagnie, Séga Diallo, parle ‘‘d’importantes réalisations socio-économiques avec une ambulance pour le poste de santé de Sabodala. Une dotation annuelle de médicaments, des fournitures scolaires aux différents établissements de la commune, construction de salles de classe pour la suppression des abris provisoires, paiement de deux immeubles à Dakar pour les étudiants venus de Kédougou’’, liste-t-il.

La société veille à ses pépites comme à la prunelle de ses yeux. Impossible d’aller à l’industrie, même en montrant patte blanche. Quant à visiter la fameuse ‘‘gold room’’, local où est gardé le produit fini, c’est hors de propos. Pas de descente au fond du fossé, pas de rencontre avec les travailleurs. Une communication bien verrouillée qui ne laisse filtrer que des informations d’ordre général. Même pour la visite des réalisations sociales, le responsable des relations communautaires et environnement prend le soin d’être l’interprète des femmes du périmètre maraîcher de Faloumbou.

En 2013, 297 927 000 dollars de revenus

La seule concession est la visite du pit, l’immense fossé creusé pour l’extraction du minerai. Au fond, une pelleteuse mécanique semble minuscule. Les engins ont esquissé une stratification magnifique en forme de colimaçon, où les rebords sont élargis pour stabiliser le trou, explique Cheikh Fall, ingénieur géologue du site d’exploitation. Plus on va en profondeur, plus la circonférence du fossé est réduite pour éviter les éboulements. Entre l’amoncellement de basaltes et de latérites, un camion arroseur passe régulièrement pour dissiper le nuage de poussière. Des rangées de roches excavées forment des montagnes de part et d’autre d’une vaste piste en latérite. Ce pit, opérationnel depuis 2009, fait partie d’une exploitation presque deux fois plus grande que Dakar : 1 055 km².

La société basée au Canada, créée en novembre 2010, a complété son expansion en acquérant la société d’exploration Oromin Joint Venture Group (OJVG) deux ans plus tard. Ce qui porte les réserves (prouvées et probables) de la mine à 2,8 millions d’onces avec une durée de vie estimée à 16 ans. En 2013, la production d’or a atteint 207 204 onces pour des revenus de 297 927 000 de dollars. La compagnie s’attend à des rendements de l’ordre de 240 000 onces pour 2014.

Le fonds social minier ? Pas d’engagement clair pour le moment, surtout en ce qui concerne les autorités étatiques. Séga Diallo parle d’un ‘‘fonds d’investissement communautaire que l’État a négocié avec la compagnie SGO d’un montant annuel de 425 000 dollars us compte tenu de la convention signée avec l’État du Sénégal’’.

Frictions

Après l’oasis de SGO, le village de Sabodala est le revers de la médaille. Niché en contrebas d’une piste poussiéreuse, elle offre, de loin, l’image d’une carte postale avec ses cases pointues. Une image d’Épinal qui, de près, s’estompe. La réalité est aux antipodes de l’opulence de la société minière. Pas d’eau ; depuis trois jours, les robinets du marché demeurent désespérément à sec. ‘‘Problème d’essence’’, déclare le préposé au forage. Chômage chronique, infrastructures inexistantes, tout est prioritaire dans le village.

Mais le problème le plus prégnant réside dans les contours flous de la cession des terres à SGO pour l’extension de ses activités. En août 2013 déjà, les prospections pour évaluer le potentiel en or de Sabodala-Niakhafiri avaient causé un tollé local. Les résidents avaient opposé une résistance ferme contre un sondage dans le cimetière. Ils promettent que la société n’aura pas leurs terres. Le porte-parole et fils du chef de village, Moussa Cissokho, confirme les frictions entre la collectivité et la société d’exploitation. ‘‘Nous avons fréquemment des problèmes de terre avec SGO. Nous sommes victimes d’expropriation des terres de la part de cette société qui prend des engagements qu’elle ne respecte pas. Les terres à l’ouest du village appartenaient à Sabodala Faloumbou Dambankhoto ; les populations y pratiquaient l’agriculture. En expropriant les populations, SGO avaient pris des engagements, à travers des compensations financières, qu’elle n’a pas tenus’’, peste-t-il.

90 % des terres cultivables perdus, depuis 2005

De 2007 à 2011, les compensations financières ont bien été assurées par la société, fait savoir M. Cissokho. Le problème réside dans le non-aménagement de plus de 240 hectares de terres pour la culture, depuis 2012, qui était le second volet du dédommagement. La contrepartie de la délocalisation des populations qui vivaient d’agriculture, d’élevage et d’orpaillage s’est faite dans des proportions de ‘‘ 30 à 40 %’’ dit-il.

La société, à travers les forums de négociation, avait pris l’engagement de satisfaire cette doléance. Mais, Moussa Cissokho déplore l’absence d’interlocuteur. ‘‘Rencontrer Macky Sall est plus facile que rencontrer Mark English, directeur des opérations de SGO. Depuis la venue de la société, en 2005, jusqu’à maintenant, nous avons perdu 90 % des terres cultivables, sans compter les terres pour l’orpaillage’’, poursuit le fils du chef de village, par ailleurs agent de l’ONG La lumière.

En attendant que la procrastination en matière de données minières prenne fin, avec les premiers rapports de l’initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), l'impasse dans les relations entre les deux parties est loin de présager d'une suite sans histoires.  

Ousmane Laye Diop

 

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