Les motos-Jakarta sèment la pagaille et brisent des vies
À Saint-Louis, les mototaxis font désormais partie du décor du transport urbain. Un nouveau phénomène de transport en commun qui fait des ravages sur les routes de la vieille ville. Il ne se passe pas une semaine sans que la police ne constate des accidents mortels impliquant des deux-roues. Une situation qui préoccupe de nombreux Saint-Louisiens, mais également les autorités sanitaires et sécuritaires. D'ailleurs, près de 70 % des lits des services de chirurgie sont occupés par des victimes d'accidents routiers, notamment de mototaxis.
En quelques mois seulement de présence, le transport des mototaxis a négativement impacté sur la sécurité routière dans la capitale du Nord. Pourtant, la ville de Saint-Louis a longtemps résisté au phénomène Jakarta par rapport aux autres régions. Mais pour des raisons politiques et la forte pression de jeunes en chômage, l’équipe municipale a autorisé la circulation des mototaxis sur le territoire communal. Malheureusement, la permission de ce moyen de transport public est en train de mettre en danger la vie des populations.
Pour le secrétaire général de l'association Prévention des consommateurs de Saint-Louis (PréConS), les motos-Jakarta sont devenues des dangers publics et une réelle menace à la sécurité routière. “Les motos, en raison de leur caractère rapide et souvent imprudent, représentent une menace sérieuse pour la sécurité routière. Les conducteurs font fi des règles élémentaires du Code de la route. Ils ne respectent ni les règles de circulation ni le port de casque. Ils sont souvent trois sur une même moto et roulent à vive allure. En un mot, ce sont des suicidaires ambulants trop présents sur les artères de la ville. Leur manque de formation contribue énormément aux blessures graves et aux pertes en vies humaines lors des accidents”, a dénoncé Moulaye Sow.
Face à cette situation critique, le leader de PréConS rappelle qu’il est urgent que les autorités prennent des mesures immédiates et radicales pour endiguer les dangers posés par les motos dans la ville. “Comme nos autorités locales ont cédé aux pressions en ouvrant le transport urbain aux mototaxis, qu’elles assument leur responsabilité pour la sécurité des populations. Plus personne n'est en sécurité sur la route ou même sur les trottoirs. Donc, qu'elles mettent en place des campagnes de sensibilisation et de formation sur les bonnes pratiques de conduite et l'importance du respect des normes de sécurité routière. Que les autorités instaurent des normes strictes pour l'enregistrement et l'exploitation des motos-Jakarta, en s'assurant que seuls des conducteurs formés et titulaires du permis adéquat puissent les utiliser. Qu'elles les organisent en collectifs ou groupements pour promouvoir des pratiques sécuritaires et responsables au sein des conducteurs de motos“ a suggéré M. Sow.
Les usagers de la route tirent la sonnette d'alarme
Il propose que les contrôles de routine soient renforcés pour faire respecter les règles de sécurité routière et sanctionner les comportements dangereux des motocyclistes. La sécurité des citoyens et des usagers de la route doit être une priorité absolue pour les autorités locales et sécuritaires.
“En imposant des mesures préventives et en appliquant des sanctions dissuasives aux mauvais conducteurs, il est possible de réduire les risques d'accident et de protéger la population contre les effets néfastes de ce nouveau phénomène de transport urbain”, a proposé le leader des consuméristes de Saint-Louis.
Pour l’Association des chauffeurs de taxi, en dehors des nombreux accidents occasionnés, les mototaxis créent un environnement concurrentiel injuste pour les taxis légalement établis. “Sans aucun respect des réglementations en vigueur, les mototaxis nous font une concurrence déloyale. Ils font le transport urbain sans payer aucune taxe ou assurance. Ils sont autorisés à opérer dans l'illégalité totale. Cette situation engendre un manque à gagner quotidien pour les taxis jaune-noir. Pire, ils favorisent l'émergence de la petite délinquance associée à l'utilisation des motos dans la ville, car ils ne sont pas immatriculés et ne portent pas de gilets numérotés”, a râlé Modou Fall, chauffeur de taxi.
Des récriminations qui sont confirmées par son collègue Boy Thiam. Pour lui, cette pratique affecte non seulement leurs revenus quotidiens, mais favorise également des comportements déviants liés à l'utilisation abusive des motos. “Saint-Louis vit présentement des types d'agression qui ont fait leur apparition avec l'avènement des motos-Jakarta. Les mototaxis provoquent des accidents souvent graves et les chauffeurs disparaissent dans la nature avec leurs engins. Même si on parvient à les neutraliser, la majeure partie d'entre eux n’ont ni permis de conduire, ni vignette, ni assurance. Mais le plus grave est que bon nombre des motocyclistes n’habitent pas la ville de Saint-Louis. Ils viennent chaque matin de Louga, de Richard Toll, de Ross-Béthio et des localités environnantes semer la pagaille dans la circulation et rentrer le soir”, a-t-il fustigé.
Raison pour laquelle, les taximen interpellent les autorités locales, administratives et sécuritaires pour mettre de l'ordre dans la circulation et garantir la sécurité des citoyens. “Trop, c'est trop. Aujourd'hui, tous les coins de la ville sont transformés en garages motos. Il est impératif que les autorités compétentes prennent leur courage à deux mains pour remédier à cette situation préjudiciable. Il est essentiel de veiller à ce que tous les acteurs du secteur du transport respectent les normes établies afin de garantir un environnement sain et sécurisé pour tous les citoyens”, a soutenu le secrétaire général de l’Association des taximen de Saint-Louis.
La concurrence déloyale et le petit banditisme s'installent
Mais le mal et la pagaille des motos-Jakarta dans la circulation semblent être bien profonds. Malgré la multiplication des contrôles des forces de l'ordre aux points stratégiques de la ville de Saint-Louis, l’ampleur des dégâts du transport des mototaxis est loin de s'estomper. La police constate chaque jour de nombreuses infractions routières les impliquant. La récurrence des accidents et des comportements dangereux liés aux mototaxis à Saint-Louis souligne les défis auxquels les forces de l'ordre sont confrontées. Au bureau des accidents routiers du commissariat central, il est difficile d’avoir le nombre exact d'accidents impliquant ces motos, depuis le début de l'année. “Les forces de l'ordre sont en permanence sur le terrain pour assurer la sécurité des personnes et de leurs biens. Malheureusement, les dégâts de ce nouveau phénomène de transport en commun à Saint-Louis commencent à dépasser les bornes. Pourtant, la police ne leur offre aucun cadeau, mais en face, il y a trop d'irresponsables parmi les ‘jakartamen’. La police multiplie quotidiennement les contrôles, mais certaines mototaxis adoptent des comportements hostiles ou récalcitrants lors de nos contrôles. Mais cela ne nous empêchera pas de faire notre travail. Vous pouvez le constater vous-même, la cour du commissariat central ressemble à un cimetière de motos. Malgré tout, la situation d'insécurité et d’imprudence est toujours présente sur les routes de la ville“ a expliqué un policier qui a requis l'anonymat.
Des imprudences de conducteurs doublées d'irresponsabilité qui se traduisent souvent par de graves blessures et des pertes en vies humaines.
Les urgences de l'hôpital débordées
D'où le cri du cœur lancé par les autorités hospitalières. Pour le chef du Service chirurgie orthopédie de l'hôpital régional de Saint-Louis, docteur Abdou Yacine Ndoye, l'ampleur des accidents de motos dans la ville requiert une réaction forte et diligente pour y mettre un terme. “Cette situation catastrophique ne peut pas continuer. Sinon, dans quelques années, plusieurs centaines de jeunes seront handicapés par des accidents impliquant des deux-roues. Quotidiennement, les sapeurs-pompiers évacuent des accidentés de moto. Aux urgences, les accidentés des Jakarta occupent 65 % des lits”, a déclaré le Dr Ndoye.
D'ailleurs, le tour effectué en chirurgie a confirmé les propos du chef de service. Le grand nombre des patients internés sur les lieux sont des victimes d’accidents routiers de moto. Allongé sur un lit, à la salle 4 au service chirurgie 2, la jambe droite plâtrée jusqu'à la cuisse, Ama Ndiaye revient sur le film de son accident. “C'était samedi dernier vers 13 h. Un tricycle rempli de marchandises m'a violemment heurté à Darou, alors que je traversais la chaussée pour regagner ma voiture. Je suis victime d'une grave fracture qui nécessite un long repos. Mais le déroulement de l'accident montre suffisamment que nous sommes en insécurité. Le conducteur ne maîtrise pas la conduite de l'engin, mais aussi ne sait rien du Code de la route. Après le choc, quand il a été interpellé par les populations, il n'avait ni pièce pour lui ni pour la moto. La police a immobilisé la moto, mais actuellement, c’est moi-même qui me prends en charge pour me soigner. Et la majeure partie des accidentés de moto vivent cette situation. Donc, il est temps qu’on normalise le transport des motos parce que les dégâts sont énormes”, a soutenu M. Ndiaye.
Des dégâts routiers qui ont cloué à jamais au lit le jeune conducteur de moto Jakarta Bayla Mbaye. “J’ai seulement 22 ans, mais je suis handicapé à vie, suite à un accident. J'ai été victime d'un accident de moto à un carrefour très fréquenté de Saint-Louis. Un véhicule m'a coupé la route et je n'ai pas pu l'éviter. J'ai été violemment projeté au sol et j'ai eu de multiples fractures. J'ai passé plusieurs semaines à l'hôpital où j'ai été amputé de la jambe gauche et trois doigts de la main. Cela a été une période difficile de rééducation”, a-t-il témoigné.
La sécurité routière est une responsabilité collective qui nécessite l'engagement des autorités, des acteurs locaux et des citoyens. En renforçant les contrôles, en utilisant des approches innovantes et en favorisant la collaboration, il est possible de réduire les accidents et de protéger la population contre les dangers liés aux mototaxis à Saint-Louis.
IBRAHIMA BOCAR SENE (SAINT-LOUIS)