Publié le 4 Jun 2015 - 15:43
SEJOUR EN MAURITANIE:

Les Sénégalais dans la tourmente

 

La Mauritanie a institué depuis mars 2012 la carte de séjour pour tous les étrangers vivant sur son sol. Les Sénégalais, qui constituent la communauté la plus importante, ressentent plus les effets néfastes de ce sésame. La plupart d’entre eux travaillent dans l’informel et se disent incapables de réunir le montant de 50 000 Fcfa exigé pour avoir cette carte de séjour. Faute de quoi, ils sont interpellés et reconduits par bus à la frontière, Rosso.

 

L’inquiétude gagne les rangs des Sénégalais établis en Mauritanie. Depuis plus d’un mois, tous les jours, la police mauritanienne procède à des rafles d’étrangers en situation irrégulière. Les Sénégalais dont la plupart évoluent dans le bâtiment, la mécanique auto, le transport, les travaux domestiques, l’enseignement et les services s’offusquent du mauvais traitement qui leur est réservé, lorsqu’ils sont interpellés. Les pêcheurs guet-ndariens sont très souvent victimes de cette situation. «Chaque jour, nos parents pêcheurs sont interpellés par dizaines et parqués dans un enclos où ils subissent des brimades », déclare Modou Fall, responsable pêcheur au quai des pêches. «La police procède chaque après-midi à des opérations de rafles musclées. Ils encerclent le marché du quai des pêches, ferment les issues et arrêtent tout le monde, même ceux qui sortent de l’eau avec leurs pirogues», poursuit-il avant de souligner que l’ambassadeur du Sénégal était sur les lieux le lundi de Pentecôte, pour constater les faits.

Sit-in à l’ambassade du Sénégal

Las de cette situation, les Sénégalais, toutes catégories confondues, se sont rassemblés ce mardi 2 juin pour exprimer leur désarroi, leur courroux devant leur ambassade. Le taximan Serigne Amar Mbacké, qui vit depuis 21 ans en Mauritanie, déplore le fait que la carte de séjour ne donne pas le droit d’accéder au marché du travail. «Depuis que la Mauritanie a instauré le permis vert, aucun étranger exerçant ce métier ne travaille. Pire, cette carte de séjour ne te donne même pas le droit d’avoir du travail », regrette-t-il.  Pas de travail, donc pas de possibilité d’obtenir la carte de séjour qui coûte 50 000 F. A en croire notre interlocuteur, « beaucoup de maçons sénégalais subissent le même sort. Ils sont interpellés dans leurs chantiers, sur le chemin de retour de leur travail, sont embarqués dans des bus et entassés au commissariat du quartier de Bagdad (périphérie de Nouakchott). De là, ils sont ensuite refoulés à la frontière ». Le taximan de poursuivre : « Dans le commissariat, c’est le calvaire. Les gens sont entassés comme des moutons, sans manger, ni boire. C’est horrible! » s’insurge-t-il.

Ousmane Diop, maçon de son état, embouche la même trompette. « On n’arrive plus à travailler. A la fin de notre journée de travail, nous sommes obligés de faire des détours pour éviter la police. Le travail de chantier ne marche plus comme avant et il nous est impossible de trouver ces 50 000 F pour prendre la carte de séjour ». Toutefois, il reconnaît qu’obtenir ce sésame lui permettrait de vivre tranquillement en Mauritanie et de vaquer à ses occupations. Pour sa part, Mme Daba  Gaye, femme domestique mariée à un Sénégalais taximan, souligne que le salaire d’un domestique est insignifiant. « Je gagne 35 000 F et avec ce gain, j’entretiens mes enfants, car mon mari ne peut plus travailler parce qu’il est chauffeur de taxi. Je demande aux autorités mauritaniennes de diminuer le montant et d’augmenter la durée de la carte (1 an renouvelable actuellement ndlr).

Le retour au bercail, la seule solution

Gora Coundoul, originaire de Tivaouane, présent à l’ambassade avec son enfant, est plus que déterminé à retourner au bercail. «Ma femme a été refoulée alors qu’elle était partie au marché. Je suis seul avec mon enfant. En plus, elle est en état de grossesse. Je ne peux plus rester. Je vais la rejoindre à la frontière et continuer chez moi à Tivaouane », déclare-t-il, son enfant collé à sa poitrine. «Nous voulons une seule chose, que notre président Macky Sall nous aide à rejoindre la mère patrie et c’est tout », poursuit-il.  Cette solution est la raison d’être des quelques Sénégalais qui ont effectué le déplacement à l’ambassade pour solliciter de leur représentant diplomatique l’assistance nécessaire pour rentrer au Sénégal.

L’autre problème soulevé par les Sénégalais, c’est le traitement subi dans les commissariats.  Selon le témoignage de Mamadou Ndiaye qui a vécu cette situation, il n’y a pas de sanitaire. « Si tu veux uriner, on te tend une bouteille et après avoir uriné, tu la déposes à côté pour que quelqu’un d’autre puisse s’en servir. Pire, nous sommes tout le temps enfermés comme des moutons, même pour prier, c’est difficile. On n’ouvre jamais la porte, on respire mal et on peut facilement contracter une maladie à l’intérieur », déplore-t-il.

Corruption quand tu nous tiens

Dame Guèye, un  jeune maçon, lui, n’est pas dans la même situation que les autres. Il doit faire le rang, tous les jours de 5h du matin à 16h, sans pouvoir accéder au bureau d’enregistrement. ‘’Les policiers font exprès pour nous inciter à leur payer une commission. Si tu n’as que tes 50 000 F, tu ne peux pas t’adonner à cette corruption. C’est déplorable ce qui se passe dans les deux commissariats d’enrôlement ». Ismaëla Diop, menuisier coffreur, demande aussi plus d’égards de la part des autorités. «Je ne dirais pas que la carte est chère, mais nous voulons des conditions  normales pour l’obtenir. Parce que mieux vaut rentrer chez soi, si on ne peut pas avoir ce montant (50 000F), dans l’année. Seulement, il faut que nos autorités interviennent pour que cessent ces traitements dégradants dans les commissariats et l’humiliation au moment d’interpeller les gens.»

L’ambassadeur du Sénégal : « Nous allons faire un rapport »

Interpellé au sujet des rafles intensives et autres traitements dégradants des Sénégalais dans les commissariats, l’ambassadeur du Sénégal, Mamadou Kane, a apporté des précisions. « Depuis 2012, une loi sur la carte de séjour a été instituée. Nous avions sollicité des autorités mauritaniennes la réduction du coût de la carte, ou tout au moins allonger la validité de cette carte d’un peu plus d’un an. Nous ne désespérons pas. Nous continuons, compte tenu de nos bons rapports, en espérant qu’un jour, nous parviendrons à les convaincre. Mais, en attendant, nous avons pris l’initiative de convoquer toutes les associations de Sénégalais pour leur dire que la carte de séjour est une décision souveraine d’un Etat souverain. 

Nous devrons nous y plier en attendant. Cependant, nous avons constaté des rafles massives ces derniers temps, suivies de reconduites à la frontière. Mais, ce qu’il faut dire et j’insiste là-dessus, les Sénégalais ne sont pas les seuls. La carte est instituée pour tous les étrangers sans exception, quelle que soit l’origine continentale. Les Américains, les Européens, les Asiatiques et les Africains sont tout aussi concernés. Les Sénégalais ne peuvent pas faire une exception. J’en appelle à leur bon sens, mais aussi au sens de responsabilité. Il faut s’acquitter de ce devoir, sachant que l’ambassade, le gouvernement du Sénégal et même au niveau de la Présidence, tout le monde travaille en sorte qu’un jour, on puisse diminuer le prix de cette carte ou que sa durée de validité soit augmentée afin que nos compatriotes puissent vivre ici et continuer leurs activités. Par ailleurs, nous avons appris qu’ils font l’objet de traitements dégradants. Nous nous sommes rendus sur place et nous allons faire un rapport. Sinon, il n’y a pas péril en la demeure.»

IBOU BADIANE (correspondant en Mauritanie)

 

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