Publié le 5 Feb 2020 - 20:24
SENEGALAIS DE WUHAN

Le désespoir des orphelins de la République

 

Contraints de rester dans le couloir wuhanais de la mort, les étudiants sénégalais qui se trouvent dans l’épicentre de l’épidémie de coronavirus, en Chine, attendent stoïquement la délivrance. 

 

La sentence était tant attendue. Elle est finalement tombée, avant-hier. Selon le président de la République Macky Sall, le Sénégal n’a pas les moyens de faire rapatrier ses enfants établis à Wuhan, ville chinoise, épicentre de l’épidémie de coronavirus qui a fait, selon les dernières évaluations, 425 morts et 20 000 personnes contaminées. Pour nombre de Sénégalais, en particulier les familles desdits étudiants, cette peine s’avère lourde, difficile à supporter.

Très en colère, M. Coulibaly, père d’un des étudiants, exprime son courroux. ‘’C’est vraiment regrettable. Le président de la République doit savoir qu’il est là grâce au peuple. C’est nous qui le payons. Si son fils ou son parent se trouvait dans la même situation, il allait faire des efforts pour les rapatrier. Même la Mauritanie est parvenue à faire rapatrier ses enfants qui se trouvaient à Wuhan.  C’est honteux…’’.

Malgré son amertume, le sieur Coulibaly essaie, tout de même, de comprendre comment le chef de l’Etat a pu avancer de tels propos. Pour lui, il n’y a pas de doute. Il a sûrement été induit en erreur par ses collaborateurs qui lui ont fait croire que c’est impossible. ‘’Ils ne sont que 13, s’exclame-t-il. Nous avons du mal à croire que le Sénégal est dans l’incapacité de les prendre en charge. Même s’il est réputé être l’homme le mieux informé du pays, le Président n’est pas infaillible ; il ne peut tout connaitre et il a été trompé. Nous espérons que l’Etat va revoir sa position’’.

Pour sa part, Boubacar Sèye, Président de l’organisation de défense des migrants sénégalais Horizon sans frontières, soutient que ce n’est ni plus ni moins que qu’un aveu déconcertant. ‘’Cette déclaration, que nous jugeons légère, fait des Sénégalais de l’extérieur des cibles faciles, exposées à tous les dangers et sans aucune assistance. Ce fait est purement et simplement assimilable à une non-assistance à personne en danger. Monsieur le Président, si vous permettez, prenez votre responsabilité devant l’histoire, car demain, vous pourriez être tenu pour responsable, s’il leur arrive malheur…’’, a insisté M. Sèye, non sans réitérer son appel au rapatriement de ces Sénégalais dont les familles vivent dans une ‘’angoisse incommensurable’’.

Dans la foulée, le collectif des parents des étudiants vivant à Wuhan a aussi promis de tenir, aujourd’hui même, au siège d’Amnesty Sénégal, une conférence de presse pour se prononcer sur la situation. Hier, dans la soirée, une réunion privée a d’ailleurs été organisée entre ces derniers et le secrétaire d’Etat aux Sénégalais de l’extérieur, Moise Sarr, pour tenter d’arrondir les angles. A n’en pas douter, la sortie du chef de l’Etat a été au menu des discussions.

Dispositifs

Comment en est-on arrivé là ? Pourtant, lors des précédentes sorties, les autorités gouvernementales avaient fini de rassurer le peuple sur les aptitudes du Sénégal à faire face, en cas de présence de cas suspects sur le territoire. En effet, le 28 janvier dernier, à l’aéroport international Blaise Diagne, le ministre de la Santé et de l’Action sociale, lui-même, disait : ‘’Des caméras thermiques installées à l’AIBD peuvent permettre de détecter, sur un large rayon et sur une population importante, des cas de contamination et de les approcher pour les isoler. Au cas où la suspicion s’avère, nous pouvons avoir l’ensemble des dispositions, non seulement pour isoler le patient, mais aussi pour le transporter en toute sécurité à des endroits plus appropriés.’’

En outre, dans une note de service publiée le 31 janvier, son directeur de cabinet avait indiqué les structures sanitaires dédiées à la prise en charge des personnes qui seraient exposées au virus. Il s’agit de la Clinique des maladies infectieuses de Fann, de l’hôpital Principal de Dakar, l’hôpital général Idrissa Pouye et l’hôpital Aristide Le Dantec. Dans le document, il est ainsi demandé à toutes les structures sanitaires publiques, parapubliques et privées d’alerter en urgence la Direction de la prévention, en cas de détection de cas suspects. Parmi les personnes visées, il est nommé ‘’toute personne ayant voyagé ou séjourné dans un pays en épidémie de coronavirus et qui présente, au cours des 14 jours après son retour, des signes cliniques incluant une fièvre supérieure ou égale à 38 degrés et de la toux’’. Aussi, sont visés les malades ‘’sans autre étiologie identifiée pouvant expliquer sa pathologie’’, ‘’tout contact d’un cas confirmé (famille, soignants…) ayant présenté, dans les 14 jours après le dernier contact, une infection respiratoire aiguë, quelle que soit sa gravité’’...

Alors, la question qui se pose est de savoir si le chef de l’Etat a bien été informé par ses collaborateurs ? Si tel est le cas, il y a à revoir toute la rhétorique développée, ces derniers jours, par les autorités sanitaires, pour essayer de rassurer les populations. Aussi, est-il grave que le pays soit dans l’incapacité de prendre en charge une telle maladie, au cas où les propos du président de la République s’avèrent justifiés. Dans tous les cas, il est difficilement admissible qu’un Etat puisse tenir un tel discours d’impuissance face à ses citoyens, en situation de détresse profonde.

Dans nos précédentes éditions, en effet, l’Association des étudiants sénégalais en Chine déplorait déjà : ‘’Au moment où presque tous les pays envoient des avions pour rapatrier leurs citoyens vivant dans cette province, le Sénégal reste inerte… Les compatriotes vivent dans des conditions très difficiles, avec un risque de contagion constant et leur liberté confisquée.’’ Ils exigeaient de ce fait leur rapatriement sans délai avant qu’ils ne soient atteints par la maladie. Son président Bécaye Cissokho Ndiaye prenait ainsi à témoin l’opinion de ce qui pourrait arriver à ces derniers, si l’Etat ne prend pas les mesures idoines à temps.

En conséquence, c’est un véritable coup de massue reçu, lundi dernier, suite à la déclaration du président de la République, en marge de la cérémonie de levée des couleurs.

Au même moment, malgré les explications du président Sall qui souligne que même les grands pays peinent à rapatrier leurs citoyens, ils sont nombreux, les chefs d’Etat, africains y compris, qui réfléchissaient sur les voies et moyens de sortir leurs concitoyens du guêpier wuhanais. Pendant ce temps, les ressortissants sénégalais, eux, contraints de rester dans le couloir de la mort, continuent de croiser leurs doigts, attendant un ‘’miracle’’ pour se tirer d’affaire. A moins que l’Etat ne revoie sa position, dans les heures à venir.

A la date d’hier, au moins trois Etats africains, à savoir le Maroc, la Tunisie et l’Algérie ont pu rapatrier leurs nationaux directement chez eux. Pour sa part, la Mauritanie a su faire jouer une diplomatie active pour profiter du rapatriement des Algériens. Le Sénégal, pendant ce temps, exprime son impuissance. En marge de la cérémonie de levée des couleurs avant-hier, le président de la République, Macky Sall, disait : ‘’Même les grands pays ayant fait des rapatriements, l’ont effectué avec beaucoup de difficultés. Cela requiert des logistiques tout à fait hors de portée du Sénégal, notamment des avions spéciaux, du personnel, etc., sans compter que d’autres conditions sont à remplir.’’ Car, argue-t-il, ‘’le retour de ces compatriotes requiert également la mise en quarantaine, dans un lieu équipé en conséquence. Ce qui n’est pas le cas, pour le moment, de notre pays. Mais, pour autant, nous ne pouvons pas délaisser nos compatriotes".

Un tâtonnement au sommet

Au-delà de la question du coronavirus, cette sortie du chef de l’Etat fait également jaser sur la manière dont cette crise est en train d’être gérée par les autorités sanitaires. Depuis l’éclatement de cette affaire, en effet, on voit surtout, au-devant de la scène, des directions comme celle en charge de la Maladie et celle en charge de la Prévention. Or, il ressort, de sources médicales, qu’en la matière, la structure la plus habilitée est le Centre des opérations d'urgence sanitaire (Cous). Lequel a pour missions, notamment, de définir les mesures à mettre en œuvre selon les situations d'urgence sanitaire, de coordonner l'action des différents acteurs impliqués dans la réponse aux urgences sanitaires, de superviser les opérations de terrain, d'assurer la liaison entre les acteurs de la réponse d'urgence et le ministère chargé de la Santé.

Ce dessaisissement est-il à l’origine de certains errements ? Les questions foisonnent. Sur son statut Whatsapp, Birahime Seck, lui, s’interroge sur les milliards alloués audit centre. ‘’Qu’en est-il des milliards de francs CFA alloués au Cous ?’’, se demande-t-il sans plus de précision. A l’instar de nombreux États membres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Sénégal s’est, en effet, doté d’un Centre des opérations d’urgence sanitaire (Cous) qui a pour principal rôle de renforcer les communications et la coordination dans la gestion des crises de santé publique. D’ailleurs, en 2018, il était organisé, à Dakar, sous la houlette du Réseau des centres d’urgence de santé publique (CROUSP) une grande simulation avec l’appui technique et financier de l’OMS, de l’Agence américaine pour la réduction des menaces (DTRA) et du CDC d’Atlanta… L’objectif était, notamment, d’évaluer les capacités du Cous à coordonner une réponse multisectorielle, nationale et internationale, face à une grave menace de santé publique de portée internationale, comme c’est le cas avec le coronavirus. Certains spécialistes s’interrogent déjà sur sa mise à l’écart dans la gestion de la crise actuelle.

MOR AMAR

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