Publié le 8 Apr 2015 - 22:37
SERIGNE FALLOU DIENG (PRESIDENT DU CERCLE DES INTELLECTUELS SOUFIS)

‘’Un centralisme démocratique fait défaut dans le milieu religieux’’

 

Président du cercle des intellectuels soufis, Serigne Fallou Dieng n’y va pas du dos de la cuillère pour cracher ses vérités sur la situation actuelle du pays marquée surtout par le verdict du procès Karim Wade. Dans cet entretien accordé à EnQuête, le jeune marabout qui dresse les bilans à mi-mandat du président de la République et du maire de Touba, dénonce également les tentatives d’instrumentalisation de la ville de Bamba aussi bien par l’opposition que par le pouvoir.

 

L’espace politico-judiciaire est dominée par le procès de Karim Wade dans le cadre de la répression de l’enrichissement illicite. L’épilogue de ce procès vient d’être connu avec le verdict tombé le 23 mars dernier. Comment analysez-vous tout cela ?

J’ai un sentiment de soulagement par rapport à un jugement exemplaire, eu égard aux méfaits pernicieux de la délinquance et de la déprédation économique. Seulement, ce soulagement est un peu étreint par une compassion humaine vis-à-vis d’un compatriote sacrifié par son père de président qui le responsabilisait plus que de raison. Donc pour nous, Karim et son père vivent les revers d’une gestion calamiteuse et gabegique des deniers publics. Une gestion sur fond de népotisme, de corruption et de favoritisme.

A ce titre, le cercle des soufis pense que ceux qui  soutiennent que le dossier de Wade fils est vide ne dispensent que des platitudes. On sait que le secret bancaire et les logiques clientélistes ont empêché les commissions rogatoires de faire convenablement leur travail. Le cercle des intellectuels exhorte la justice sénégalaise à continuer les poursuites contre tous les présumés coupables de délit d’enrichissement illicite, afin que jamais de telles pratiques ne puissent avoir droit de cité au Sénégal. Nous espérons aussi que la Cour suprême  ne va pas confisquer par compromis par la main gauche ce que la main droite a donné en première instance. Je tiens enfin, et surtout, à rappeler que ceux qui disent que Macky n’a pas déféré à la demande du khalife général en faveur de Karim, ont oublié qu’Abdoulaye Wade non plus n’avait pas obtempéré à l’injonction du khalife général des mourides d’alors, El Hadji Bara Mbacké Falilou, en faveur de Macky. On se rappelle que Wade n’avait pas accepté la réconciliation sollicitée par le Khalife général des mourides, El Hadji Bara.

Vous êtes un talibé mouride, de surcroît membre de la famille de Cheikh Ahmadou Bamba. Touba, contrairement à la volonté et au souhait de son fondateur, est sujet aujourd’hui à une instrumentalisation à outrance des politiques et politiciens. Quel commentaire cela vous inspire ?

D’abord, tous ceux qui instrumentalisent Touba et Serigne Touba dans des projets politiques desservent le combat de Serigne Touba. Il a allégorisé la foi, l’unicité d’Allah comme étant le sabre qui découpe les cordites des associateurs, des mécréants. Le marabout a fait la part des choses. Aujourd’hui, les rapports Touba-pouvoir sont tumultueux, confus et malsains. Parce qu’il y a beaucoup de vociférations autour de la nécessité d’une implication religieuse dans la définition et l’exécution des politiques publiques. Cela ne pose pas de problèmes, mais la vocation initiale de nos religieux est de témoigner l’image de Dieu dans un monde de plus en plus sécularisé et de s’investir dans le redressement moral en vue de vivre ensemble dans une société de paix. Les relations sont malsaines parce que tout le monde sait que depuis l’avènement de Me Abdoulaye Wade, les rapports entre Touba et le pouvoir sont déviés du droit chemin pour arpenter les voies d’un clientélisme et collaborationnisme politico-religieux de nature à réveiller au sein du microcosme religieux et milieux maraboutiques les démons de la division et des querelles intestines.

Un centralisme démocratique fait défaut dans le milieu religieux. Parce que les marabouts passent leur temps à réclamer un statut religieux alors qu’ils ne veulent pas se conformer à un centralisme démocratique. En réalité, la ruée vers les délices du pouvoir, les deniers publics, par les marabouts et les querelles sur certains émoluments matériels tels que les passeports diplomatiques et autres strapontins, ne peuvent en aucun cas être une revendication religieuse. D’ailleurs, le fondateur du mouridisme disait que la recherche effrénée de richesse et de faveurs matérielles conduit inévitablement à la corruption et à la concussion. Ce qui lui importait était et reste la promotion et le rayonnement du savoir islamique. Toute personne, de surcroît marabout, aimait-il à dire, qui s’adonne à cela va directement et inévitablement vers le jardin des machinations sataniques.

Le 25 mars dernier a marqué les 3 ans de Macky Sall à la tête du pays. Quelles appréciations faites-vous de son bilan à mi-mandat ?

Je souhaite d’emblée lever une équivoque. Nous tenons à signaler que nous ne sommes d’aucune obédience politique, encore moins du camp du pouvoir, nous avons toujours participé au combat citoyen. Donc nous avons notre mot à dire sur la marche du pays. Je pense que Macky Sall a fixé un cap des réformes institutionnelles. Même si celles-ci connaissent un début de satisfaction, les promesses ne sont pas encore tenues. En outre, le président  a satisfait une revendication récurrente comme la reconnaissance du Bac arabe. Sur le plan social, il y a beaucoup d’améliorations.

Les prix des denrées de première nécessité sont maîtrisés. Tout cela constitue des points positifs dans son bilan, mais loin d’être suffisant. Toutefois il y a un revers de la médaille : Le secteur privé se plaint beaucoup et ne se frotte pas encore les mains. Les multinationales continuent à piller nos ressources au détriment des privés locaux. La France continue également d’avoir une mainmise sur l’économie nationale. L’ancienne puissance coloniale continue de se tailler la part du lion sur les marchés publics au détriment des entreprises locales. Ce qui n’est pas du tout favorable pour la relance d’une économie locale. Enfin, la rupture n’est pas encore enclenchée. Les inégalités sociales persistent encore dans beaucoup de domaines.

Abdou Lahad Ka a fait 5 ans à la tête de la collectivité locale de Touba. Comment jugez-vous son bilan, d’abord en tant que Pcr, ensuite en tant que Maire ?

Je déplore l’opacité qui entoure les passations de marché publics. Le fait que Touba dispose de fait d’un statut particulier ne l’exonère pas de la nécessité de respecter les règles de la transparence. D’ailleurs les critères qui régissent l’octroi des passations des marchés publics de l’ARMP doivent être appliqués à la gestion d’Abdou Lahad Ka. Touba ne doit pas être une exception ou un singleton institutionnel au point de faire fi des droits des populations de connaître la gestion de leur municipalité qui bénéficie en fait de l’argent public. Dès lors, le maire Abdou Lahad Ka se doit de rendre compte régulièrement au même titre que les autres collectivités locales du pays. On ne doit pas le disculper ou le dédouaner des règles de la bonne gouvernance. Il doit se soumettre aux contrôles intempestifs et réguliers des missions de contrôle de l’Etat. Et en plus, on doit en effet cesser l’amalgame qui consiste à se refugier derrière le khalife. Surtout que ce dernier  ne gère pas les deniers.

Mais l’actuel maire a reçu la visite de l’IGE en 2010

Certes il a eu à recevoir la visite de l’IGE, mais tout le monde pense que c’était un audit de complaisance. Les résultats ne sont toujours pas publiés.

Et sur le plan des réalisations?

Sur le plan des réalisations, on ne note pas grand-chose. L’éclairage public est insuffisant, l’approvisionnement en eau est déficitaire dans certains endroits de la ville. Enfin les infrastructures routières et d’assainissement connaissent une disparité. Les populations sont desservies en faveur des chefs religieux.

Tout récemment, le khalife général a lancé un appel en direction des jeunes marabouts en les exhortant à retourner dans les Daara, les mosquées et les champs et de se taire. Quels commentaires faites-vous de cet appel ?

Tout homme honnête a constaté qu’il y a beaucoup de jeunes marabouts qui passent leur temps à pérorer dans la presse. Tout citoyen a droit à la liberté d’expression, mais encore faudrait-il défendre une cause noble et citoyenne. On note une manipulation politique, politicienne tous azimuts. Du pouvoir comme de l’opposition. Maintenant, ce qu’on constate est que les politiciens se battent par marabout interposé.

Chaque chapelle politique a son mouvement de jeunes marabouts qui la défend.  Mais ce que je  déplore le plus, c’est le fait que la communauté mouride, connue pour sa propension à la production intellectuelle, soit en léthargie. La production intellectuelle et culturelle mouride marque le pas. Les jeunes marabouts, petits-fils de Bamba, ont tous pratiquement baissé les bras, préférant déserter les daara, les champs et les mosquées pour les luxueux appartements, les boîtes de nuit. Ils privilégient maintenant les choses mondaines, les sinécures aux sacerdoces. Tout cela est le résultat de la pratique corruptive des 12 ans de pouvoir  de Me Abdoulaye Wade. C’est ce qu’a bien compris le khalife, Cheikh Sidy Mactar Mbacké, en essayant de restaurer les vraies valeurs du mouridisme. Le Khalife n’a cherché à viser personne. Il est maintenant temps de faire une introspection et un examen des consciences.

Propos recueillis par Abdou Fatah Gaye

 

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