Publié le 16 Sep 2014 - 14:28
VENTE ILLICITE DE MEDICAMENTS A TOUBA

A qui profite le crime ?  

 

S’il y a une localité au Sénégal où la vente clandestine de produits contrefaits ou illicites est établie, c’est bien Touba. La vente parallèle des médicaments constitue un véritable problème de santé publique dans la capitale du mouridisme. Du fait des enjeux liés à ce commerce très porteur dans la cité religieuse et à certains facteurs socio-culturels, les populations banalisent inconsciemment la vente des médicaments hors des circuits traditionnels reconnus par l’Etat, au nez et à la barbe des autorités administratives et religieuses. Enquête.

 

Le nombre de dépôts clandestins de médicaments dans la cité religieuse ne cesse d’augmenter. Un tour à la gare routière, au marché « Occas », devant les structures sanitaires et les différents édifices publics, donne  une idée de leur implantation tous azimuts. Ces dépôts, à première vue, rien ne les distingue de ceux  des pharmacies classiques. « Les médicaments sont rangés suivant les normes », confie un dépositaire. En plus, le mobilier de ces dépôts est le même que celui des pharmacies avec des étagères bien faites. Mais malgré leur bonne organisation et leur ressemblance, ils demeurent néanmoins clandestins.

Les dépôts clandestins, une véritable alternative pour les pauvres

 Un fait et pas des moindres, malgré les incessantes campagnes de dénigrement, est que les dépositaires sont très courus par les patients. De l’avis d’un dépositaire, cela s’explique en partie par le fait que « leurs prix sont très attractifs ». Il arrive qu’une différence de 1000 francs, selon le médicament, soit notée par le patient. Il s’y ajoute, poursuit-il, que contrairement aux pharmacies, «les dépôts, en plus de faire du social en diminuant les prix, cèdent parfois les médicaments à crédit ». Des allégations confortées par Modou Diop, un acheteur trouvé devant un dépôt. « Si nous préférons venir acheter les ordonnances dans les dépôts, c’est parce que les prix sont très compétitifs et ils nous facilitent l’acquisition des médicaments sans difficulté majeure. Notre souci est de nous soigner à moindre coût. Pas plus », déclare ce père de famille. 

Autant d’atouts qui font que ce marché parallèle représente une  alternative de choix pour les plus pauvres puisque les médicaments qui y sont vendus sont économiquement et «socialement» plus accessibles. Mais aussi, une autre explication est que la plupart des gens qui vont dans les dépôts de médicaments sont profanes ou inconscients des dangers qu’ils encourent. C’est le cas de Sokhna Maï. Ordonnance à la main, elle franchit les portes du dépôt de pharmacie qui fait  face au centre de santé « Serigne Saliou de Touba 28 » Quelques minutes plus tard, elle en ressort, munie d’un sachet estampillé du logo vert de la pharmacie, rempli de médicaments.

Interrogée sur l’origine des médicaments, Sokhna Maï, surprise par une telle interpellation, déclare : « Je les ai achetés à la pharmacie qui fait face au poste de santé de Touba 28 ». Apparemment sur la défensive, elle poursuit : « l’origine n’a pas d’importance pour moi, l’essentiel est que ma mère qui souffrait s’est sentie mieux maintenant ». Et  d’ajouter d’un ton sérieux, mais naïf : « parmi toutes les pharmacies qui gravitent autour du poste de santé, c’est celle-là où on achète  moins chère. Mieux, son propriétaire donne même parfois à crédit, si l’argent  ne couvre pas les achats ». En parlant de la sorte, cette dame ne se doute point qu’elle vient de se ravitailler auprès d’un dépôt hors norme, au détriment du pharmacien classique d’à côté. Un cas parmi tant d’autres  qui pose avec acuité l’épineux problème de la vente de médicaments dans les rues de Touba.

Clientèle hétéroclite

Mais est-ce seulement les démunis qui se ravitaillent au niveau de ces dépôts ? Difficile de répondre à une telle interrogation, tellement la clientèle qu’on y rencontre est hétéroclite. Le portrait type de la personne ayant recours au marché informel du médicament de la rue ne semble pas exister dans la cité religieuse. Une enquête révèle que toutes les catégories socioprofessionnelles s’y approvisionnent. Les professionnels de la santé eux-mêmes sont parfois clients de ces dépôts. Un dépositaire renseigne : « c’est le cas  lorsque les ruptures de stock sont importantes sur le circuit officiel ou que les prix deviennent plus intéressants sur le marché informel.»

En plus d’être une heureuse alternative pour les gens démunis, les dépôts clandestins de médicaments sont également de véritables pourvoyeurs d’emploi. Comme les pharmacies légales, ces derniers emploient des personnes et participent par conséquent à la résorption du chômage très élevé à Touba.

Les pharmaciens, principaux fournisseurs des dépositaires

Très huilés, les dépositaires réfutent l’argument des pharmaciens qui voudraient que ce soit des spécialistes qui vendent les médicaments.  A l’image de ce dépositaire qui soutient que « les médicaments qu’ils vendent sont les mêmes que ceux que le patient trouve dans les pharmacies légales ». Pour prouver que les médicaments trouvés dans les dépôts sont de bonne qualité, notre interlocuteur exhibe des documents où les détails des commandes  faites au niveau des pharmaciens de la place sont mentionnés. Il s’explique : « le dépositaire qui fait sa commande paie comptant le pharmacien qui, à son tour, paie son fournisseur».  « Donc nous nous conformons à la législation relative à l’implantation d’un dépôt de pharmacie stipulant entre autres que son propriétaire doit être instruit et doit s’approvisionner dans la pharmacie qui lui est plus  proche. 

Même si l’on sait que d’après la législation sénégalaise en vigueur, les laboratoires  ne doivent céder leurs produits  qu’aux pharmaciens ; nous, nous ne sommes pas des pharmaciens. Où pouvons-nous nous procurer les médicaments d’autant plus que Touba  ne dispose pas de laboratoires, encore moins d’unités de fabrique de médicaments ?  Et comment peut-on expliquer le fait que Touba est, après Dakar, le lieu où les laboratoires de fabrique de médicaments ont les chiffres d’affaires les plus élevés au Sénégal ? Des interrogations d’un dépositaire qui incriminent, dans la capitale du Mouridisme, les pharmaciens eux-mêmes qui font fi des règles de leur profession, en entretenant ce marché noir de vente illicite de médicaments.

En effet, certains d’entre eux, obnubilés par la recherche du gain facile, bafouent généralement le serment de  Galien qu’ils prononcent à la soutenance de leur  thèse. Un avis du reste largement partagé par  un pharmacien ayant requis l’anonymat. « C’est certains parmi nous qui entretiennent le mal, en ravitaillant les dépositaires». Le pharmacien est réduit, selon notre interlocuteur, « à un simple commerçant». Ce qui l’expose davantage, le fragilise et le rend vulnérable face à un mal qui le ronge. Des agissements qui expliquent les complicités et l’omerta qui entourent les circuits de ravitaillement des dépôts à Touba.

La particularité de Touba ne facilite pas la lutte contre le fléau

Les dépositaires sont très puissants et très bien organisés. En attestent les nombreuses tentatives  infructueuses de les casser. Ils ont toujours fini par rebondir. En effet, le combat contre la vente de produits contrefaits et des médicaments illicites à Touba s’avère de plus en plus difficile pour les services douaniers et les propriétaires d’officine établis dans la région de Diourbel.

«La particularité de la ville de Touba ne facilite pas notre mission. Car,  une fois que la marchandise frauduleuse est introduite dans la cité religieuse, nous ne pouvons plus rien faire», affirment les forces de l’ordre interpellées sur la question. Pour sa part, la section locale du syndicat des pharmaciens de la région de Diourbel déclare avoir interpellé les pouvoirs publics pour une meilleure sensibilisation sur le problème de santé publique que constitue la vente de médicaments par des non-professionnels.

«Depuis plus de vingt ans, nous sommes dans ce combat », se désole un des responsables de ce syndicat. Pourtant, poursuit-il, « le problème a été posé au plus haut niveau de l’Etat. Notamment, lors du conseil interministériel délocalisé de Diourbel. Nous avions interpellé le Premier ministre d’alors qui avait promis d’organiser un conseil interministériel sur la question ». « Nous continuons à travailler dans cette perspective et nous attendons toujours», déclare un pharmacien, membre du syndicat local.

Toutes choses qui laissent croire que la fin de la vente parallèle des médicaments hors des circuits reconnus par l’Etat dans la capitale du Mouridisme a de beaux jours devant elle. Pire, les autorités aussi bien religieuses qu’étatiques gardent le silence et refusent de se prononcer sur un phénomène qui n’existe nulle part ailleurs au Sénégal qu’à Touba.

Pour une population qui avoisine le million d’habitants, selon le dernier recensement de la population, on ne dénombre qu’une vingtaine de pharmacies. Là où, selon les normes, une soixantaine de pharmacies devrait être implantée. Mais, à qui profite ce crime ? est-on tenté de se demander.

Abdou Fatah Gaye

 

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