Publié le 16 Mar 2024 - 21:44

Vers un Sénégal plus respectueux des droits des enfants talibés

 

Le Sénégal est souvent loué pour sa stabilité politique et la maturité de sa démocratie. Cependant, cette réputation semble être en contradiction avec une réalité plus préoccupante : celle d’un pays où l’on constate la présence massive d’enfants talibés, mendiant dans les rues, en quête d’aumône.

En effet, la mendicité des enfants est une pratique très ancienne quasi considérée comme une norme sociale. Produit de l’école coranique traditionnelle, l’enfant talibé ou le « ndongo daara » évolue   dans un environnement où il reçoit une éducation religieuse mais où il est aussi contraint à mendier pour subvenir à ses besoins et quasiment celle du daara. Une pratique adaptée à nos us et coutumes car permettant à l’enfant de s’imprégner de nos valeurs dit on.

Malgré les raisons invoquées afin de justifier cette pratique, il n’en demeure pas moins que les conditions de vie dans les daaras traditionnels sont alarmantes. L'insalubrité, le manque d’hygiène et l’insuffisance alimentaire témoignent d'une violation flagrante de leurs droits fondamentaux.

S’ajoutent à cela, les mauvais traitements largement documentés dont sont souvent victimes ces enfants talibés. Le cas le plus récent remonte à janvier 2024, quand  le talibé MC, âgé de 8 ans, avait été sévèrement battu par son maitre coranique. L’histoire inédite des 27 filles présumées victimes de viol a également eu lieu dans l’enceinte d’un daara.

Cette situation que vivent les enfants talibés est dénoncée par l’ensemble des acteurs œuvrant pour la protection des droits de l’enfant car portant atteinte à leurs droits à la santé, à l’éducation, de ne pas être maltraités, abusés et exploités et qui sont garantis par les conventions internationales et régionales.

L’heure est à la prise de conscience. L’émergence du Sénégal ne peut se concrétiser tant que des milliers d'enfants mal vêtus, et souvent malnutris errent dans les rues. L’inexistence de données et de statistiques fiables ne permet pas de mesurer l’ampleur de la problématique des enfants talibés au Sénégal. Un cadre législatif solide, pouvant garantir aux enfants la pleine jouissance de leurs droits, s’impose.

Les candidats à l’élection présidentielle de 2024 sont donc interpellés sur les mesures     qu’ils comptent mettre en place pour lutter contre ce phénomène. En tout état de cause, il incombera au prochain président de la république, d’accorder une attention particulière aux besoins et à la vulnérabilité des enfants talibés en faisant de la question de leur   protection   une priorité. L’adoption du projet de loi portant statut des daaras et du code de l’enfant s’avèrent urgente et nécessaire. En effet, Ces textes énoncent des principes et des normes de protection des   enfants   et interdisent la mendicité sous toutes ses formes.

Dans l’exposé des motifs du projet de loi portant statut des daaras, il est évoqué notamment la nécessité de mettre en place un cadre législatif qui va contribuer à « 

- relever le taux de scolarisation, en intégrant dans le système éducatif des centaines de milliers d’enfants qui en sont exclus ;

- répondre aux défis de la qualité de l’offre éducative dans le sous-secteur en améliorant l’environnement et le contenu pédagogique des enseignements, ainsi que la qualité des personnels enseignants et de direction des daaras ;

- améliorer la transparence et l’équité dans le financement et l’appui aux daaras ;

- répondre à une demande d’édification d’un modèle unique de citoyen sans distinction entre les enfants issus du système éducatif classique et ceux formés dans les daaras et offrir à tous des opportunités d’accès aux savoirs, savoirs être et savoirs faire. »

Le projet de loi vise donc à établir un dispositif règlementaire régissant les conditions d’ouverture et de fonctionnement des daaras et d’assurer aux apprenants de meilleures conditions d’études.

Par ailleurs, l’Etat du Sénégal a signé et ratifié la Convention relative aux droit de l’enfant. Il est donc tenu d’intégrer ces normes de droit international dans son droit domestique. L’adoption du code de l’enfant va donc  permettre de renforcer la protection de l’enfance au Sénégal mais également de mettre en place un cadre unique centralisant toute la législation relative aux droits des enfants.

Nous croyons fermement que la question du sort des enfants talibés ne laisse personne indifférent. Il est grand temps que nous travaillions à mettre un terme aux violations de leurs droits qui se produisent chaque jour sous nos yeux.

Ensemble, plaidons en faveur de l’adoption de ces deux projets de lois concernant les enfants afin de leur octroyer une protection effective et réelle.

Oumy Sya SADIO

Chargée de programmes

Amnesty International Sénégal

 

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