Publié le 10 Oct 2019 - 02:47
VIOLENCES BASEES SUR LE GENRE

Désagréments du cyber harcèlement des femmes

 

Les réseaux sociaux sont devenus un terreau fertile pour les prédateurs et autres dépravés qui ciblent de plus en plus la gent féminine.

 

Parmi les couches de la société les plus vulnérables, les femmes sont très exposées dans les réseaux sociaux, devenus le terreau fertile des prédateurs sexuels et autres dépravés. Outre les harcèlements sexuels dont elles sont souvent victimes, elles doivent aussi faire face à la publication de leurs données personnelles.

En effet, avec l’avènement des technologies de l’information et de la communication (Tic), communiquer avec le reste du monde devient une simple formalité. Facebook, WhatsApp, Instagram ou d’autres médias sociaux ont certes supprimé les distances, mais avec leurs lots de conséquences. Les réseaux sociaux, devenus les terrains de chasse des cybercriminels qui traquent une cible particulière : la gent féminine. Dans certains espaces de rencontre, la dignité de la femme est parfois mise à rude épreuve. Des vidéos obscènes sont les contenus les plus visités de certains sites de rencontre.  Dans cet univers virtuel, le corps de la femme est un argument de vente, un appât pour attirer le maximum de visiteurs. La nudité des femmes est souvent exposée dans ces sites de rencontre, pas loin de flirter avec la pornographique.

Dans son mémoire de Maîtrise en service social à l’École de service social de la faculté des Sciences sociales de l’université d’Ottawa, Paul Julianne montre que ce phénomène est une forme de violence psychologique subie par les femmes qui sont, dès lors, enclines à comparer leur apparence physique à des stéréotypes diffusés sur la toile. ‘’Il semblerait que les femmes vivent tout de même des inconforts émotionnels lorsqu’elles se comparent aux personnalités publiques qui correspondent aux standards corporels, malgré l’impertinence de cette comparaison considérant l’écart des similitudes au niveau de l’apparence physique’’, note-t-il.

 Dans le même sillage, le conseiller d’orientation psychologue, Adrien Théodore Diène, estime qu’il serait difficile d’expliquer l’origine de ce problème sans se baser sur des études scientifiques. Mais, de façon empirique, on peut faire la typologie des cas de violence qui sont le plus souvent observés. A son avis, ‘’ces images passent, le plus souvent, par la publicité de tel ou tel produit. C’est le cas notamment pour les produits cosmétiques dont la promotion passe par un usage à la limite de la décence du corps de la femme’’.

Au Sénégal, la situation est des plus alarmantes. Souvent, les femmes sont victimes de leur propre utilisation des réseaux sociaux. On rencontre des femmes nues sur WhatsApp, Facebook ou Instagram. Souvent postées par inadvertance ou à dessein par des ennemis, ces images de femmes font automatiquement le tour de la toile.

Cette forme de maltraitance de la femme constitue un fléau moderne portant atteinte à la dignité de la gent féminine et à la stabilité de la famille. Combien de femmes ont été expulsées de la sphère familiale à cause de leur nudité publiée sur la toile ? Combien de femmes en ont payé les frais par leur mariage ou par leur travail ? On a assisté à la manière dont une femme a été répudiée par toute sa famille, parce que des vidéos la montrant à poil défrayaient les réseaux sociaux. Ces vidéos auraient été destinées à son fiancé dans toute l’intimité et la discrétion de leur relation. Tombées miraculeusement entre les mains d’un indiscret, elles ont été la cause d’une violence sociale exercée sur elle dans toute sa rigueur.

Ailleurs, c’est une autre femme qui publie les images du sexe de la maîtresse de son mari retrouvées sur le téléphone de ce dernier. Prise par la jalousie, elle décide de l’humilier au vu et au su du monde entier.

Le cyber harcèlement ne vise pas uniquement les célébrités. D’une manière générale, c’est la gent féminine qui est devenue la cible principale des cybercriminels qui n’hésitent jamais à faire un chantage à leurs proies, lorsque des vidéos obscènes tombent entre leurs mains. De ce fait, les femmes sont devenues très vulnérables dans l’univers virtuel.

Pour le sociologue Diène, les impacts de ce phénomène sur notre société sont multiples. ‘’Les réseaux sociaux peuvent constituer une fenêtre par laquelle s’échappent les valeurs inculquées par les parents et, par la même occasion, entrent des contre-valeurs qui viennent ruiner tous les efforts consentis par les parents pour l’éducation de leurs enfants’’, soutient-il. Avant de poursuivre : ‘’Grâce à l’usage des pseudonymes, les réseaux sociaux sont devenus des endroits où les individus peuvent s’affranchir de toutes les contraintes sociales. Si cela a un bon côté, notamment pour les praticiens des sciences humaines, cela peut tout de même porter atteinte aux fondements même d’une nation, du fait de certains commentaires de nature à exacerber un sentiment de communautarisme’’, prévient le psychologue-sociologue. 

PAPE SAER GUEYE, DR EN DROIT A L’UCAD

‘’On tombe sous le coup de la loi, si…’’

La diffusion d’images obscènes et de données personnelles sur la toile est règlementée par la loi sénégalaise. Selon le docteur en droit Papa Saër Guèye, chargé de cours à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, il y a tout un arsenal juridique qui régit ce domaine, avec l’existence du droit à l’information qui est souvent associé à la liberté d’opinion et d’expression, qui sont des libertés fondamentales consacrées par la Constitution sénégalaise en son article 10.

‘’Si vous lisez cet article, on vous dira que toute personne a la liberté de s’exprimer, d’avoir son opinion, de produire des images, d’informer et tout ce qui s’en suit’’, note-t-il. Il relève que le législateur sénégalais a prévu, dans ce sens, des textes qui sont inspirés des conventions internationales qui existaient déjà. ‘’Si nous prenons, par exemple, la Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples en son article 9-1, il prend en compte cela. Il en est de même de la Charte européenne de sauvegarde des Droits de l’homme et des libertés fondamentales qui, également en son article 10, prévoit cela. Nous avons la Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948 qui, en son article 19-2, prend en compte également cette protection’’, confie Papa Saër Guèye.

Au Sénégal, souligne-t-il, nous avons deux dispositions qui régissent la protection des données à caractère personnel ou du droit à l’image. Il cite ainsi la loi 2008-11 du 25 janvier 2008 sur la cybercriminalité et la loi 2008-12 du 25 janvier 2008 sur les données à caractère personnel. Selon cette loi, la cybercriminalité est le fait de commettre des infractions par l’utilisation du support électronique, des technologies de l’information et de la communication. Ainsi, toute infraction commise à l’aide de ces outils peut entrer dans le cadre de la cybercriminalité.

Autrement dit, il y a, selon lui, une sorte de dématérialisation des infractions du droit commun qu’on connaissait. ‘’Si on viole les données à caractère personnel d’un individu, on tombe sous le coup de la loi. Toute personne morale ou physique qui utilise les données d’une personne sans son consentement, à des fins commerciales, de marketing ou autre (comme des films pornographiques, des photos intimes) tombe sous le coup de la loi’’, avertit le chargé de cours à l’Ucad. Pape Saër Guèye relève également que ‘’l’article 331-18 de la loi 2008-11 sur la cybercriminalité, qui a été intégrée dans le Code pénal sénégalais, stipule que quiconque aura, même par négligence, procédé ou fait procéder à un traitement qui a fait l’objet de la mesure prévue au point 1, doit faire l’objet d’un emprisonnement de 1 à 7 ans de prison et d’une amende allant de 500 mille à 10 millions de francs Cfa’’. Ces peines, selon lui, ne sont pas dissuasives, dans la mesure où la notion de crime implique des infractions très graves qui, généralement, font l’objet d’une peine d’emprisonnement de 10 ans et plus.  

IDRISSA AMINATA NIANG (MBOUR)

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