Publié le 26 Sep 2019 - 18:43
17e ANNIVERSAIRE DU NAUFRAGE DU ‘’JOOLA’’

Chronique d’un bras de fer entre l’Etat et les familles des victimes 

 

Le 17e anniversaire du naufrage du bateau ‘’le Joola’’ remet au goût du jour le laxisme ‘’coupable’’ des autorités étatiques face à certains drames qui minent la société sénégalaise. ‘’EnQuête’’ revient, dans cette chronique, sur toutes les revendications posées par les familles des victimes dont la plupart sont aujourd’hui jetées aux oubliettes.

 

Ce 26 septembre 2019, sera célébré le 17e anniversaire du naufrage du bateau ‘’le Joola’’. Dix-sept ans après cette catastrophe maritime qui a fait plus de 2 000 morts, certaines d’entre les revendications des familles des victimes sont rangées aux oubliettes. Les principales revendications demeurent d’ailleurs, jusqu’ici, insatisfaites. 

Au lendemain de ce drame survenu le 26 septembre 2001, l’une des revendications des familles des victimes les plus pressantes était, outre la justice et la réparation, le renflouement de l’épave. Cette question avait même fait l’objet d’une rencontre, le 12 août 2006, à Bruxelles (Belgique), entre les familles des victimes françaises, belges et hollandaises, et Louis Michel, en charge, à l’époque, du Commissariat européen au développement et à l’aide humanitaire. Lors de cette rencontre,  Louis Michel avait manifesté toute sa disposition à aider le Sénégal à renflouer le bateau, mais que cela ne pouvait se réaliser qu’avec l’accord du  président Abdoulaye Wade qui a été, à cet effet, saisi de la question. 

Le renflouement du bateau devait être accompagné d’un projet de construction d’un mémorial sanctuaire à Kafountine. Le projet consistait ainsi à tirer l’épave jusqu’à 500 mètres de la côte de Kafountine et à y dresser un sanctuaire marin après avoir vidé le contenu dans une fosse commune qui devait servir ‘’de socle’’ sur lequel devait être érigé un mémorial portant les prénoms et noms de toutes les victimes. Ce mémorial, de l’avis des familles des victimes, servirait de lieu de pèlerinage et de prière, et contribuerait à l’accompagnement psychosocial des rescapés et des parents des victimes. Jusqu’à ce jour, ce projet peine à se matérialiser. C’est à croire même qu’il est rangé aux oubliettes depuis lors, face au refus catégorique des autorités d’alors de renflouer le bateau.

L’histoire du ‘’petit juge’’ d’Evry en France…

En plus du renflouement du bateau, il était aussi question de situer les responsabilités des uns et des autres. Au lendemain de ce drame, les familles des victimes avaient demandé l’ouverture d’une information judiciaire contre certaines autorités d’alors. C’est d’ailleurs dans ce sens que le 1er avril 2003, les familles des victimes françaises du ‘’Joola’’, représentées par Alain Werschatse, déposent au parquet d’Evry une plainte contre x sur les ‘’faits d’homicides involontaires par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité et de défaut d’assistance à personne en péril’’.

A la suite de cette plainte, une information judiciaire a été ouverte. Le juge Jean Wilfred Noël, en charge du dossier, constate, en s’appuyant sur un rapport d’expertise du bateau ‘’le Joola’’, 19 manquements à trois conventions internationales maritimes ratifiées par la France et le Sénégal. Mais le parquet d’Evry propose que le juge ne délivre pas de mandats d’arrêt, mais qu’il ouvre une commission rogatoire internationale au Sénégal pour que les autorités judiciaires sénégalaises mettent en examen les personnes visées pour le compte du juge français.

Les autorités sénégalaises d’alors s’opposent à ce que certaines personnalités sénégalaises dont la Première ministre de l’époque, Mame Madior Boye, et le ministre des Forces armées d’alors, Youba Sambou, soient entendues dans le cadre de cette commission rogatoire, contraignant ainsi le juge du tribunal de grande instance d’Evry, Jean Wilfried Noël,  à lancer des mandats d’arrêt internationaux.

Ainsi, le 12 septembre 2008, il procède à la délivrance de  9 mandats d’arrêt internationaux contre des dignitaires sénégalais, parmi lesquels l’ancienne Première ministre Mame Madior Boye, pour leurs responsabilités présumées dans la catastrophe maritime. Provoquant ainsi la colère des autorités sénégalaises. Cette démarche fut saluée par l’Association des familles des victimes sénégalaises et françaises. Lesquelles apportèrent leur ‘’soutien sans réserve’’ à l’action du juge. 

La suite, on la connait. La justice sénégalaise s’en prend à Jean Wilfried Noël qu’elle qualifie de ‘’’petit juge’’. C’est ainsi que le 22 septembre 2008, le doyen des juges d’instruction (Dakar) décerne, à son tour, un mandat d’arrêt international contre le juge français, à la suite de l’ouverture d’une information judiciaire (à Dakar) ‘’pour forfaiture et acte de nature à jeter le discrédit sur les institutions sénégalaises’’.

Au même moment, le président Abdoulaye Wade, en marge de l’Assemblée générale de l’Onu, laisse éclater sa colère sur les ondes de Rfi. ‘’Je connais la tendance des juges français à attaquer de hautes personnalités pour être célèbres. Ces juges qui inculpent des chefs d’Etat à tour de bras, il faudrait que quelque chose les arrête. Il faudrait qu’ils arrêtent cette politisation de la justice’’, avait-t-il déclaré sèchement. Il ne s’en est pas limité là. Pour contre-attaquer, Wade et son gouvernement appliquent le principe de la ‘’réciprocité’’ et déposent une plainte contre l’Etat français pour exiger que la lumière soit faite sur l’incendie de Paris-Opéra survenu en 2005. Incendie au cours duquel 2 Sénégalais avaient trouvé la mort et 4 autres grièvement blessés. Objectif visé, mettre en cause les responsables politiques français au moment des faits. Parallèlement, les avocats de ces hauts dignitaires sénégalais engagent des recours afin de faire annuler les mandats d’arrêt internationaux.

Le recul de la France…

Au même moment, en France, le parquet général fait appel des mandats d’arrêt contre Mame Madior Boye et Youba Sambou, avec pour argument principal, le fait que ces deux personnalités bénéficiaient d’une immunité liée à leurs fonctions. L’appel a eu gain de cause, car le 16 juin 2009, la Chambre d’instruction de Paris, qui avait la possibilité d’examiner la régularité des actes de procédure, déclarera la nullité  de ces deux mandats d’arrêt (Mame Madior Boye et Youba Sambou) au motif que ces anciens ministres bénéficiaient d’une immunité qui couvre les actes dans le cadre de leurs fonctions, même après la cessation de celles-ci. Cette annulation avait été qualifiée de ‘’victoire  pour le Sénégal, pour le peuple et surtout pour le président Wade’’ par Me Madické Niang, en charge, à l’époque, du département de la Justice, dans un entretien accordé à l’Agence de presse sénégalaise (Aps).

En revanche, la requête de nullité des mandats d’arrêt internationaux déposée par le collectif des avocats mandatés par Dakar et représentant le gouvernement sénégalais fut déclarée irrecevable par la chambre d’Instruction.

Ainsi, si Mame Madior Boye et Youba Sambou pouvaient voyager sans souci, tel ne pouvait pas être le cas pour d’autres autorités. Notamment l’ex-ministre de l’Equipement et des Transport Youssouph Sakho, l’ancien chef d’Etat-major des armées (Cemga), le général Babacar Gaye, l’ex-chef d’Etat-major de la marine nationale, le colonel Ousseynou Combo et quatre autres personnalités dont Gomis Diédhiou du ministère de l’Economie maritime qui, passant outre le mandat d’arrêt international, s’était rendu en France au mois d’octobre 2010. Arrêté à l’aéroport de Roissy par la police des frontières françaises, alors qu’il était en partance pour l’Allemagne, il avait été placé sous contrôle judiciaire. Cette mesure d’interdiction qui le frappait, avait finalement été levée, suite à son audition dans le fond, le 2 décembre 2010.  

Depuis, c’est le black-out total autour de cette revendication ‘’centrale’’ des familles des victimes qui ont également et toujours posé la question de la rétroactivité de la loi relativement à la prise en charge de tous les enfants orphelins.

Prise en charge des orphelins…

Estimant que les orphelins des victimes du ‘’Joola’’ ont été lésés et blessés dans leur chair, les familles des victimes s’insurgent contre la loi les prenant à charge à partir de 2008. Selon elles, cette loi dispose d’un caractère expressément rétroactif qui doit, en l’espèce,  agir à partir de 2002 et non en septembre 2008, date de la signature du décret.  Ces dernières trouvent anormale que la loi laisse en rade plus d’un millier d’enfants orphelins. Mille orphelins auraient été, selon les familles des victimes, privés injustement d’une prise en charge par l’Etat.

L’autre revendication, et pas des moindres, des familles des victimes posée sur la table du président de la République d’alors, c’est le vote d’une loi consacrant le 26 septembre ‘’Journée des patriotes’’ ou ‘’Journée du souvenir’’. Cette revendication, tout comme les autres, reste également insatisfaite jusqu’ici.

HUBERT SAGNA (ZIGUINCHOR)

Section: