Publié le 15 Sep 2014 - 14:49
ECOLE NATIONALE DES OFFICIERS D’ACTIVE (ENOA)

Au cœur du sanctuaire des “Jambaar”

 

Le vendredi 1er août avait eu lieu la sortie de la 32ème Promotion de l’Ecole Nationale des Officiers d’Active. En sacrifiant à cette tradition, l’école posait un nouveau jalon dans la marche vers l’excellence à laquelle elle s’est astreinte. EnQuête propose une immersion au cœur de la célèbre et énigmatique académie de formation de l’élite militaire sénégalaise et africaine. Bienvenue au sanctuaire d’honneur du ‘’Xel”, du ‘’Jom” et du ‘’Fit”.

 

En arpentant le pont qui enjambe le grand canal ceinturant la face sud-ouest du domaine de l’ex-base aérienne du camp militaire de Thiès, le visiteur ne manque de s’interroger sur le mystère que cache l’imposant portail qui se dresse en face de lui, surmonté d’une enseigne lumineuse aux couleurs bleu ciel, sur laquelle peut se lire l’inscription : ‘’ECOLE NATIONALE DES OFFICIERS D’ACTIVE’’. Là, les rues sont désertes. Le chemin de l’honneur, jalonné de gros caïlcédrats et prolongeant l’entrée principale de la base, est étrangement vide. Nous sommes au cœur de la base des forces de la zone militaire n°7.

Le temple du savoir regroupe, entre autres, l’Ecole de l’armée de l’air (EAA), l’Ecole d’application d’infanterie (EAI), les Bataillons des commandos, des blindés, le Centre d’entraînement tactique. La rigueur de la tenue et de la posture et l’air grave des hommes de garde trouvés au poste de police, non seulement invitent à la discipline, mais renseignent sur la solennité des lieux. Le silence et l’ordre qui y règnent ne sont perturbés que par le gazouillis des oiseaux, du haut des arbres, et autres rapaces qui profitent du calme et de la qualité du micro climat de la base aux allures d’une forêt classée. Ou encore, par l’écho de ‘’Gloire aux Jambaar’’ entonné par des élèves officiers en ordre serré et à l’allure chevaleresque.

Tout près de ces arbres, deux bâtiments où logent les élèves officiers d’active meublent le décor. Au centre du dispositif, la cour de la Devise encadrée par deux cases fait face au poste de commandement de l’école. Le réfectoire, la piscine, une attraction pour les populations locales dépourvues d’air marin, le stade de foot, le repaire de la Compagnie de support donnent aux lieux une âme. Plus loin, des salles d’instruction, de cours, l’amphithéâtre, un garage mécanique, une buanderie, un service de casernement, entre autres, complètent le décor. De l’autre côté du Carré d’armes, l’avenue des Chemins de l’honneur sépare l’école de la zone vie des cadres et du domicile du Commandant de l’école.

Un produit très prisé

L’Enoa est une Académie militaire d’enseignement supérieur dont le label d’excellence est reconnu au-delà de nos frontières. Créée par le décret numéro 81-689 du 08 août 1981, l’Enoa a ouvert ses portes le 04 janvier 1982. En fait, au lendemain de l’Indépendance, les premiers Cadres officiers, en nombre limité, provenaient de l’Armée française. La politique de formation aussitôt entreprise, d’abord axée sur les Ecoles françaises, devait s’étendre, par la suite, à d’autres pays tels que Madagascar, le Maroc, la Côte d’Ivoire, la Grande Bretagne et l’Egypte.

Saisissant l’occasion offerte par la déconcentration des formations militaires du Cap-Vert sur l’ex-base aérienne de Thiès en 1981, l’école sera installée dans les anciens locaux du Centre National d’Education Populaire et Sportive (Cneps). Sa création a marqué une étape importante dans l’histoire de la formation militaire au sein des Forces Armées. En effet, les jeunes officiers d’active de l’Armée de terre sont désormais formés dans un moule sénégalais et d’une manière adaptée aux réalités et aux besoins du pays.

‘’ 772 officiers armés’’

 L’Ecole nationale des officiers d’active a formé, en 33 ans, 772 officiers dont 300 en provenance de 17 pays de la sous-région : le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la Cap-Vert, le Congo, la Côte d’ivoire, Djibouti, le Gabon, la Gambie, le Guinée, Madagascar, le Mali, le Niger, la République Centrafricaine, le Tchad et le Togo. La mission principale de l’Enoa, qui est une Ecole militaire d'enseignement supérieur, est de former, en deux ans, des officiers d’active destinés à l’encadrement des formations des Armées, de la Gendarmerie nationale et de la Brigade nationale des Sapeurs-pompiers.

Elle participe aussi au perfectionnement des officiers en cours de carrière et à la formation des officiers de réserve. La formation des élèves officiers d’active (Eoa), qui vise à conférer une compétence professionnelle générale, comporte quatre volets essentiels qui les prédisposent à l’exercice de leurs futures responsabilités de chef de section. Il s’agit de l’instruction militaire, tactique et technique, de la  formation militaire générale, de l’entraînement physique et sportif et de la formation civique,  morale et à l’exercice de l’autorité.

De plus, les élèves officiers bénéficient d’un enseignement académique délivré par des professeurs des universités de Dakar et de Thiès, lequel reste complété par une série de conférences de haut niveau animées par des cadres civils et militaires. En plus de cette formation très exigeante, la vie de l’Enoa est jalonnée d’intenses activités académiques de formation au métier d’officier dont  les stages parachutiste et commando, de mise en œuvre d’explosifs, d’immersion en corps de troupe, de conduite automobile, d’équitation, etc. Une formation qui s’appuie sur de très fortes traditions, lesquelles, au-delà de leur rituel, de leur symbolique, constituent le ciment de la cohésion et le lien ombilical entre promotions.

De fortes ‘’traditions’’ d’école

Les traditions de l’Enoa qui puisent leurs composantes dans la civilisation négro-africaine, non seulement, marquent l’intégration des futurs officiers dans la communauté militaire, mais visent à tremper les âmes et à marquer les consciences à l’art militaire. En plus de leur fort coefficient symbolique et de leur caractère fonctionnel, ces dites traditions ambitionnent de construire un  patrimoine partagé qui fournit le substrat d’une culture professionnelle vivace.

Comme rappelé par le Colonel Mamadou Gaye, commandant de l’Ecole, appelé Keletigui ou Grand maître et même gardien des traditions, ‘’sous couvert du principe de continuité, la perpétuation de la mémoire de l’Enoa constitue un enjeu éthique, fonctionnel et identitaire de l’école. En fait, au-delà du rituel et de la symbolique, les traditions doivent constituer le ciment de la cohésion et le lien ombilical entre promotions. Dans cet esprit, l’âme de l’école doit être entretenue et redynamisée par quelques symboles unificateurs tels que la sacralisation du souvenir et du devoir de mémoire’’.

Debout derrière la stèle de l’école, le bracelet traditionnel de l’Enoa à la main, la tenue ‘’camouflée’’ colle bien à la peau du Colonel Mamadou Gaye. Dans un style simple et soigné, le Commandant de l’Enoa explique : ‘’Pour conserver l’image de marque de l’école, les activités d’initiation doivent garder toute leur valeur éducative et pédagogique dans le but de forger les forces morales des élèves officiers d’active. Aussi, leur permettre de contribuer à rehausser le prestige’’. En réalité, confie l’officier supérieur, ‘’les traditions revêtent une importance primordiale dans le développement de l’humilité, de l’esprit de dépassement et l’esprit de discipline, préalables indispensables à l’exercice des responsabilités à faire face’’.

En résumé, poursuit le Colonel, ‘’les traditions d’école qui recouvrent de nombreux rites et activités, parmi lesquels : l’entrée dans le bois sacré, la remise du sabre et des attributs, le parrainage, la turne, la remise du bracelet, la présentation du drapeau, le match traditionnel, la remise d’épaulettes, etc., visent, non seulement à enraciner les élèves officiers dans l’histoire commune, mais aussi, à fonder l’esprit de promotion qui préfigure l’esprit de cohésion des unités et prépare à l’avenir, en affermissant les esprits et les volontés’’.

Dans cette perspective, poursuit l’officier ‘’elles constituent le principal support de la formation, car relevant, à la fois, de l'éthique, de notre histoire, ainsi que du style et du rayonnement de l'Ecole. Aussi, au-delà de son caractère autoréférentiel, le recueil des traditions à l’Enoa joue, surtout, un rôle intégrateur, de sauvegarde du culte du sacré et d’une mémoire commune dans une dynamique de  promesse de continuité. Loin d’être réductible à un simple conservatisme, ces activités de tradition traduisent la vitalité de l’Enoa d’une part, et de l’autre, elles portent une attention particulière à la mémoire et à la tradition à travers des rituels vivaces et omniprésents’’.

Ce qui fait dire au colonel Gaye que ‘’la symbolique de l’Enoa est constituée d’abord de la tenue traditionnelle dite tenue ‘’Jambaar’’ qui, par son originalité, traduit l’ancrage de l’Ecole aux traditions guerrières africaines. Il y a, ensuite, la Devise de l’Ecole qui, gravée en lettre d’OR sous le mât des couleurs, se compose d’un idéogramme entrelaçant la lettre grecque PHI et une flèche symbolisant les valeurs de XEL, le savoir ou la sagesse ; de JOM, le sens de l’honneur et, enfin, de FIT, le courage. Ces valeurs sont la pierre angulaire de l’étoffe de l’homme d’action et de réflexion’’.

Du haut de son piédestal, le Guerrier traditionnel ou Grand Jambar ne veille-t-il pas jalousement sur la cour de la devise ? Œuvre d’art de grande facture, dont l’entretien périodique incombe aux élèves de première année, ce ‘’Combattant’’ incarne l’homme d’Honneur et de serment dont  les valeurs ne doivent jamais quitter l’officier issu de l’Enoa, tel que chanté par le célèbre poète-écrivain Mbaye Gana Kébé, fidèle ami de l’école : ‘’Homme d’honneur et de serment qui ne recule ni devant la salve nourrie, ni devant le lion rouge sibi, homme fermement accroché aux vertus cardinales, qui se veut pilier superbe, rempart magnifique, lorsque tout tremble et s’écroule alentours’’. Enfin, le Bracelet Jambaar remis aux jeunes le jour du sacre par leurs anciens de vingt ans porte, sur sa face externe, le symbole de l’Ecole et sur celle interne, reste gravé le nom de l’officier.

D’autres symboles font partie du patrimoine culturel de l’Enoa, comme la Cour de la Devise où se dresse le sanctuaire dédié à la Mémoire composé de deux cases réservées aux promotions et aux traditions, ainsi que la salle d’Honneur, creuset unique des traditions de l’Ecole qui, à travers un style muséographique innovant, ambitionne d’être le principal dépositaire de l’histoire de l’institution, le ciment de la cohésion et le lien entre Promotions. Le visiteur du jour, lui, assurément, reste impressionné par la sacralité des avenues nobles, comme l’Avenue des Chemins de l’honneur que seuls les initiés sont autorisés à arpenter, les Puits et Bois sacrés dont l’inviolabilité est strictement, jalousement préservée par l’officier des traditions nommé Kocc.

ENOA : Un exemple d’intégration africaine

L’Enoa se présente aujourd’hui comme un véritable pôle d’intégration africaine et de coopération militaire régionale et internationale, ce, du fait de la constance de la confiance des pays amis du Sénégal qui continuent de lui confier la formation de leurs officiers. C’est ainsi qu’elle entretient avec l’Académie américaine de Westpoint et le Collège Militaire Royal du Canada un partenariat d’échanges d’expériences et de programmes de formation, matérialisé par des séjours d’immersion d’élèves dans les académies respectives de ces derniers pays. L’Enoa organise également des séminaires de formation civique ou militaire au profit d’universités et instituts, et d’enseignement supérieur (Ena, Ufr/Santé, Ecole Militaire de Santé, séminaire des Sous-lieutenants, etc.).

En plus d’être le principal creuset de formation de l’élite de nos armées, l’ENOA reste un pôle moderne de formation militaire qui rayonne aussi bien en Afrique que dans le monde. Elle constitue un exemple de réussite et de fierté nationale, ce, à la dimension des attentes du Commandant de ladite Ecole. ‘’En août 1981, date de création de l’Ecole Nationale des officiers d’Active,  on était certainement loin d’imaginer qu’elle allait devenir cette grande Académie de formation de l’élite de nos armées et de celles de la sous-région. En réalité, l’Enoa a fini, aujourd’hui, de conforter l’image d’un creuset d’excellence dans lequel se forgent les esprits et les cœurs des élèves officiers qui ambitionnent de devenir les futurs chefs de nos Armées’’, se réjouit le Colonel Mamadou GAYE.

Vers une montée en puissance de l’Enoa en septembre 2014    

Dans son allocution d’usage, lors de la cérémonie de sortie de la 32e promotion de l’Enoa, le colonel Mamadou GAYE, commandant de l’école, a évoqué le projet de montée en puissance de l’Enoa, dès la rentrée prochaine. En effet, les effectifs de la 34ème promotion vont passer du simple au double, soit une soixantaine d’élèves officiers. Cette augmentation des effectifs s’accompagne d’un ambitieux programme de réalisation d’infrastructures nouvelles (dortoirs élèves, salles de cours, complexe mess-cuisine-réfectoire, etc.)

Cette montée en puissance répondra d’une part aux besoins croissants de personnels d’encadrement officiers; d’autre part, elle permettra de satisfaire la demande de formation d’élèves officiers provenant de pays amis. De plus, l’augmentation des capacités de formation de l’Enoa sera compatible avec le plan de charge des armées appelées à répondre aux sollicitations  de plus en plus insistantes de la communauté internationale.

En réalité, l’Enoa est devenue, au fil des ans, l’un des plus  grands creusets de formation d’officiers en Afrique, contribuant ainsi au renforcement de la sécurité sous régionale et régionale. Aussi, elle constitue un exemple de réussite d’intégration africaine.

NDEYE FATOU NIANG (THIES)

 

 

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