Publié le 26 Apr 2024 - 17:31
ÉCONOMIE - INAUGURATION DE L’ÈRE DU GAGNANT-GAGNANT

Les chantiers ardus du président Faye

 

Dans un élan de renouveau et de transformation économique, le président Diomaye Faye entend redéfinir les relations bilatérales et multilatérales du Sénégal avec le reste du monde. Un chantier ambitieux qui ne sera pas une sinécure.

 

Des experts du Fonds monétaire international (FMI) sont attendus au Sénégal, ce vendredi, pour une visite de travail d'une semaine, selon des sources du journal ‘’Le Quotidien’’. Ce séjour fait suite à la prise de contact à Washington, aux États-Unis, des ministres des Finances et du Budget Cheikh Diba, de son collègue de l’Économie et du Plan Abdourahmane Sarr et du secrétaire général du gouvernement Ahmadou Al Aminou Lo.

Cette mission à Dakar devrait être mise à profit pour poursuivre les discussions déjà entamées entre les deux parties, dans le cadre des orientations de politiques économiques et financières du nouveau régime.

Cette visite intervient dans un contexte où les premiers actes de gestion et de gouvernance sont posés par le chef de l’État nouvellement élu et son gouvernement. Ayant fait de la ‘’rupture’’ leur cheval de bataille, lors de la quête du pouvoir, les nouveaux dirigeants sont attendus sur la redéfinition des relations avec les partenaires, qu’il s’agisse des institutions de Bretton Woods, des États tiers et autres institutions internationales.

Ils ont promis d’instituer l’ère du gagnant-gagnant et de mettre fin à la politique de l’assistanat pour aller vers des partenariats dynamiques où les parties traitent d’égal à égal.

Amadou Moctar Ann : ‘’Le nouveau gouvernement sénégalais dispose de certains atouts économiques importants…’’

Dans cet élan, le chercheur en géopolitique Amadou Moctar Ann reste optimiste quant à la nouvelle direction que prend la politique économique. ‘’Le nouveau gouvernement sénégalais dispose de certains atouts économiques importants qui pourraient lui permettre d'avoir un nouveau modèle économique face à la puissance occidentale’’, dit-il.

À ses yeux, ‘’la découverte récente de ressources pétrolières et gazières confère au Sénégal un levier de négociation non négligeable vis-à-vis de ces pays, comme on l'a vu avec l'exemple de l'Azerbaïdjan’’.

‘’En effet, poursuit-il, cherchant à diversifier leurs importations de gaz depuis la guerre russo-ukrainienne, les Européens ont opté pour la puissance gazière et pétrolière qu'est l'Azerbaïdjan. Cependant, cet accord gazier entre l'UE et l'Azerbaïdjan a suscité une levée de boucliers de la part du Parlement européen, d'autant plus que l'offensive azerbaïdjanaise dans le Haut-Karabakh, à l'automne dernier, a provoqué l'exode de plus de 100 000 Arméniens de cette enclave. À cela s'ajoutent les sanctions visant le Venezuela et l'Iran. La realpolitik prime ici’’.

Selon le chercheur, ‘’les pays riches en hydrocarbures ont tendance à être moins soumis aux pressions occidentales’’.   

D’ailleurs, depuis quelques semaines, des rumeurs annoncent que le président Emmanuel Macron courtise le nouveau président sénégalais. L’Élysée cherche à rencontrer Bassirou Diomaye Faye, alors que ce dernier n’a pas encore communiqué sur une éventuelle rencontre.

Selon le journal d’investigation ‘’Afrique intelligences’’, Emmanuel Macron s’est longuement entretenu au téléphone avec son nouvel homologue sénégalais, le 29 mars. Ils ont notamment convenu de se rencontrer d’ici cet automne, sans fixer de date pour l’instant.

Ce qui est constant, c’est que la France souhaite poursuivre sa coopération avec le nouveau chef de l'État sénégalais qui appelle à revisiter la relation bilatérale. Pour l’ancien analyste au cabinet Anticp et Risk and Co, Amadou M. Ann, ‘’le geste d'Emmanuel Macron d'inviter le nouveau président sénégalais semble faire partie d'une tentative de renouveler les relations entre la France et l'Afrique’’.

Il ajoute : ‘’En mars 2023, le président français avait annoncé vouloir passer d'une logique d'aide à une logique d'investissement et de partenariat avec le continent africain. Cependant, le discours de Macron comporte en général des éléments qui risquent d'être mal perçus. Par exemple, s’adressant aux entreprises françaises, il appelle à un réveil collectif face à la concurrence d'autres pays émergents comme la Chine ou la Turquie. Cette remise en cause des opérateurs économiques français, couplée à la reconnaissance d'une perte d'influence de la France, peut être interprétée comme une forme de paternalisme postcolonial par certains pays africains, notamment d'anciennes colonies comme le Sénégal’’.

Ibrahima Thiam : ‘’Un nouveau modèle économique, on n'en a ni le temps ni les moyens’’

Les nouvelles autorités n’ont pour l’instant pas privilégié l’axe Dakar - Paris. Par contre, elles ont déjà annoncé les couleurs dans une logique de partenariat entre pays africains pour diversifier leur économie.

C’est peut-être le sens qu’il faut donner à la rencontre, le 17 avril dernier, entre le directeur du Development Finance Corporation (DFC) l'Américain Scott Nathan et les ministres sénégalais de l’Économie et du Plan Abdourahmane Sarr, des Finances et du Budget Cheikh Diba et l’ambassadeur du Sénégal aux États-Unis Mansour Elimane Kane, lors des réunions du printemps de la Banque mondiale (BM) et du Fonds monétaire international (FMI). Une occasion qui a permis de collecter 400 millions de dollars (plus de 244 milliards de francs CFA) pour l'investissement dans divers domaines, notamment l’énergie, la santé, l’agro-industrie et le soutien aux petites entreprises.

Toutefois, le rédacteur en chef adjoint et ancien chef de desk Économie au ‘’Soleil’’, El Hadj Ibrahima Thiam, met en garde contre toute nouvelle orientation économique : ‘’Un nouveau modèle économique, je ne pense pas. On n'en a ni le temps ni les moyens. Le changement de paradigme demande une déconstruction qui prendra du temps. On ne peut pas se déconnecter du modèle économique actuel qui, en réalité, est celui qui domine le monde. Même les pays qui rejettent le système capitaliste appliquent les principes du capitalisme dans la conduite de leurs politiques économiques. Ce que nous aurons plutôt, c'est un changement de nom du référentiel des politiques publiques : de PSE à Projet, comme ce fut le cas avec Macky quand on est passé de SNDE à PSE. Reste maintenant à donner une contenance au Projet avec des éléments chiffrés et lui trouver aussi un nom, parce que Projet est assez générique comme appellation.’’

Rétablir une ‘’souveraineté’’ bradée

Toujours est-il que dans cette dynamique de changement profond, le chef de l’État a reçu les neuf organisations du secteur privé national sénégalais. Ces organisations, qui se réjouissent de cette rencontre, entendent renforcer aussi leurs relations avec l’État et espèrent qu’elles seront bâties sur l’engagement, la solidarité et la transparence pour relever ensemble les défis socioéconomiques du Sénégal comme l’emploi des jeunes, la souveraineté économique et la croissance inclusive.

En tout cas, le nouveau régime entend promouvoir la préférence nationale, sans pour autant tourner le dos aux sociétés étrangères. Entre l’Europe et le Sénégal, ‘’la coopération est dense et multiforme, mais ensemble nous voulons un partenariat repensé, rénové’’ et ‘’apte à soutenir la dynamique novatrice que nous voulons imprimer à nos relations’’, avait déclaré Bassirou Diomaye Faye, il y a quelques semaines.

Dans son programme, le président sénégalais a promis de rétablir une ‘’souveraineté’’ bradée, selon lui, à l’étranger et souhaite notamment renégocier les contrats gaziers et pétroliers ainsi que les accords de pêche signés avec l’Union européenne. Le chef de l’État a pu aborder la question avec Charles Michel, président du Conseil européen, le lundi 22 avril 2024, lors d’une visite à Dakar.  Diomaye Faye a rappelé, lors du point de presse conjoint qui a sanctionné la rencontre, que les priorités de son gouvernement ‘’s’articulent autour d’un modèle économique endogène d’industrialisation avec comme rampe de lancement le secteur primaire : agriculture, élevage et pêche ; mais aussi le renforcement des infrastructures économiques telles que les chemins de fer, l’électrification, les télécommunications et le réseau routier’’. Il a déclaré à son hôte que ‘’les investisseurs européens dont les entreprises ont des compétences avérées dans ces différents secteurs sont les bienvenus’’.

D’ailleurs, Charles Michel a reconnu qu'il y a une nécessité de changement dans les relations entre l'Europe et l'Afrique. ‘’Lorsqu’il y a le sentiment que des sujets doivent être abordés, on ne doit pas le redouter’’, pour ‘’apporter des améliorations de part et d’autre’’, a-t-il déclaré en citant ‘’la question de la pêche et des ressources halieutiques’’.

En tout cas, le président Bassirou Diomaye Faye et son gouvernement entendent donner au pays sa pleine souveraineté. Les deux premières visites du président en Mauritanie et en Gambie sont, à cet effet, symboliques de la volonté claire de renforcer les liens de coopération régionale et de solidarité entre nations voisines.

Ces visites montrent là où les nouveaux tenants du pouvoir mettent le curseur des priorités : une diplomatie de proximité pour prendre en charge de manière efficace les enjeux communs tels que la sécurité, le commerce et la gestion des ressources naturelles partagées.

En choisissant ces deux pays comme premières destinations, Diomaye souligne l'importance de la collaboration transfrontalière et envoie un message fort sur l'engagement de son gouvernement à travailler conjointement pour le développement et la stabilité dans la région.

AMADOU CAMARA GUEYE

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