Publié le 6 Feb 2024 - 15:30
ENTRETIEN - SABINE MENSAH (DGA D'AFRICANENDA)

‘’Les défis qui attendent l’Afrique’’

 

Sabine Mensah, la directrice générale adjointe d’Africanenda, a accordé un entretien à ‘’EnQuête’’, dans lequel elle aborde plusieurs questions liées aux systèmes des paiements instantanés et inclusifs en Afrique. Notamment, les résultats du dernier rapport publié par leur structure.

 

Vous avez récemment publié le rapport 2023, ‘’Les systèmes des paiements instantanés et inclusifs (Siips) en Afrique’’. Que peut-on en retenir pour l’Afrique et le Sénégal en particulier ?

Il s’agit d’une étude qui nous permettait de mieux comprendre les chiffres du paysage des paiements instantanés et inclusifs (Siips) en Afrique. Il s’agit d’un rapport annuel avec nos partenaires. L’édition 2023 présente le paysage des Siips, mais aussi des recherches sur la base des consommateurs. Il concerne le Cameroun, le Malawi, le Maroc, le Rwanda et le Sénégal. Il parle également des qualités sur le système des paiements instantanés et inclusifs qui sont actifs en Afrique. Le rapport 2023 parle des qualités sur le système du Malawi et le Rwanda ainsi qu’un système sous-régional et en Afrique central.

On s’est focalisé sur les systèmes de paiements transfrontaliers, les défis et le besoin en harmonisation  de politique et de réglementation. L’objectif, pour nous, était d’apporter des informations qui sont détaillées et à jour sur l’écosystème des systèmes des paiements instantanés et inclusifs en Afrique. En espérant pouvoir justement permettre aux régulateurs, gouvernements et professionnels du numérique et toutes les parties prenantes de pouvoir utiliser ces informations et de prendre des décisions en rapport avec l’inclusion financière.  

On en retient aussi que les Siips en Afrique sont en hausse en matière de transaction. Mais aussi l’impact que le numérique a et avec l’expérience de la Covid-19. Il faudra que cela s’accélère dans son utilisation.

Le rapport a aussi montré qu’il y a 32 systèmes instantanés en Afrique, dont 29 nationaux et trois autres qui sont régionaux. De façon abrégée, les volumes de transaction en Afrique sont estimés à 32 000 milliards de transactions pour une valeur qui est de l’ordre de 1 200 milliards de dollars américains. Une façon de dire que les numériques contribuent significativement à l’inclusion financière des populations.

Mais il faut reconnaitre qu’il y a 27 pays en Afrique qui n’ont pas des infrastructures de paiement. Il y a 17 qui ont commencé leurs parcours à différents niveaux. Nous avons aussi apprécié le fait que le rapport puisse estimer l’inclusivité de ces systèmes de paiement numérique qui sont disponibles sur le continent.  

Il y a aussi un interopérant qui a été constaté. On a défini un cadre sur lequel on évalue les différents systèmes pour voir où ils en sont, pour nous permettre de faire des recommandations. Aux acteurs pour améliorer le système.

Et pour le Sénégal, que dit le rapport ?  

Si c’est au niveau de l’infrastructure, le Sénégal fait partie de la zone UEMOA où il y a un projet régional d’interopérabilité mis en œuvre par la BCEAO… On attend avec impatience le projet en termes de système exclusif des questions nationales ou régionales dans la zone UEMOA qui impactera bien sûr le Sénégal.  Mais n’empêche, il y a des solutions démocratiques de mobile money et autres qui sont présents sur le marché.

Dans ce pays aussi comme les sept autres pays de la zone UMEAO, l’interopérabilité de tous les services n’est pas encore une réalité, parce que le projet est toujours en cours. Il y a des opportunités de faciliter cette interopérabilité de tous les établissements financiers et quel que soit le fournisseur de service qu’on a.

Côté client, il y a le facteur confiance, de s’assurer que les systèmes de paiement numérique apportent la sécurité de leurs plateformes pour leur apporter des solutions. Qu’il y ait des recours pour laisser aux clients la possibilité de faire une plainte, si le système ne fonctionne pas.

On parle de la mise en place d’une Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). Les Siips y auront-ils un rôle à jouer ?

Je pense que les ambitions de la Zlecaf, c’est d’accélérer le commerce interafricain. En 2016, une étude avait montré qu’en Afrique subsaharienne, les exportations locales étaient estimées à 20 %. Je pense que l’ambition avec la Zlecaf est d’augmenter le commerce interafricain jusqu’à hauteur de 50 %.

Dans ce rapport, il y a un chapitre qui parle des défis et ce qui pourrait être fait pour s’assurer qu’il y ait des systèmes de paiement transfrontalier qui sont interopérables. En guise d’exemple, quelqu’un qui est à Nairobi ne peut pas envoyer de l’argent de façon instantanée à quelqu’un qui est à Dakar. Ce n’est pas encore une réalité au niveau du Kenya, encore moins en Afrique de l’Ouest et de l’Est. À moins que vous ayez des fournisseurs, sinon la difficulté demeure toujours. En général, ces options de paiement transfrontalier ne sont pas accessibles, sont très couteuses. C’est ce qui fait que la plupart des gens utilisent le système informel pour pouvoir faciliter le paiement transfrontalier. Des idées sont en cours pour faire face et nous avons notre rôle à y jouer aussi pour faciliter ces paiements transfrontaliers.

Que doit faire l’Afrique pour débloquer les paiements transfrontaliers transparents dans la perspective de cette Zlecaf ?  

On peut répondre à cette question sur plusieurs angles. Il y a la problématique d’harmoniser les réglementations des pays sous-régional et continental pour ce qui est des systèmes de paiement. Si je prends, par exemple, des opérateurs ; à la question de savoir pourquoi on a plus d’offres que de services, c’est parce qu’il y a une absence d’agrément.  Il y a ici une opportunité d’harmoniser les besoins pour avoir l’agrément dans les différents pays. Dans le cadre réglementaire, il y a des défis qui sont liés à l’identification des clients, mais aussi de contrôle d’opérations d’échanges. Je pense qu’il y a plusieurs opportunités sur lesquelles on peut faire des recommandations.

Pour nous, au niveau réglementaire, nous voyons deux aspects qui peuvent être priorisés dans les discussions en termes de réglementation. La première chose est de s’assurer qu’il y ait des processus qui sont proportionnels. Qu’il y ait un accord entre les régulateurs des différents pays ou différentes régions économiques au niveau de l’Afrique pour faciliter ce qu’on appelle la conformité et aussi le e-commerce. Cela ne sert à rien d’avoir un système de paiement instantané, si on a une transaction au Sénégal et qu’elle est bloquée à Nairobi ou au Cameroun, par exemple. Il faudrait qu’il y ait une harmonisation de la conformité entre deux pays, une reconnaissance des informations des deux pays pour permettre de faciliter ces transactions transfrontalières. C’est juste quelques exemples sur lesquels les régulateurs pourraient travailler.

Il y a aussi tout ce qui est lié à tarification des opérations des échanges, l’harmonisation et les accords qu’il pourrait y avoir entre différents pays. Je pense que l’ambition que nous avons est de travailler avec les zones économiques régionales, parce qu’il y a déjà un travail d’harmonisation qui est fait au niveau des régions. Il sera aussi question de voir dans quelle mesure les différentes régions peuvent maintenant s’accommoder pour une reconnaissance.

Nous avons, dans ce sens, signé des accords avec l’Union africaine et avons mobilisé des ressources pour un programme de plaidoyer avec les différents gouvernements et les entités régionales pour l’harmonisation des politiques et réglementations vis-à-vis des systèmes de paiement transfrontalier. 

Comment les paiements instantanés peuvent-ils faciliter le commerce intra-africain ?

Je crois à la perspective d’une PME. Nous avons des fournisseurs en Afrique de l’Ouest, central et du Nord. Par exemple, entre le Sénégal et le Maroc, il y a beaucoup de PME qui font du commerce. Mais pour la plupart des PME, les difficultés résident dans le fait que vous pouvez fournir le paiement pour les affaires commandées. Le système personne à personne existe, mais il n’y a pas de système qui permet le paiement de PME à PME. En cas d’utilisation ‘’be to be’’, le paiement business est beaucoup plus difficile.

Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées ?  

Nous en avons à plusieurs niveaux. Déjà, par rapport aux clients, fournisseurs de services, mais aussi par rapport à la réglementation. Nous sommes persuadés que pour la plupart des cas, pour que dans les zones rurales, les femmes puissent adopter le paiement numérique, il faudra des propositions de valeur. Elles doivent avoir plus avec le paiement cash, sinon il n’y a pas raison de le faire. Par exemple, en Afrique, sur les 32 systèmes de paiement qui sont actifs, la plupart commencent à développer le paiement de personne à personne, ensuite de personne à marchand et par la suite le paiement business-business. Du coup, même si on veut le faire avec le numérique, ça limite la valeur du cash. Nous travaillons pour qu’il y ait une extension. La difficulté, c’est la question de valeur pour les clients.

Sur les 32 systèmes actifs en Afrique, les 14 sont interopérables. Même pas la moitié. On a encore un long chemin à faire sur cette question, autrement dit la réalisation de l’interopérabilité pour deux pays ou entre deux pays. Au niveau de la réglementation, le défi est lié surtout au fait que les systèmes devraient bénéficier à tous les acteurs et non juste à quelques-uns. Il faut aussi l’accessibilité de tous les opérateurs et fournisseurs de services.

CHEIKH THIAM

Section: