Publié le 16 Feb 2024 - 11:30
MONNAIE COMMUNE DE L’ALLIANCE DES ÉTATS DU SAHEL (AES)

Volonté de rupture ou surenchère nationaliste ?

 

La création d'une monnaie commune de l'Alliance des États du Sahel (AES) est au cœur des nouveaux enjeux économiques en Afrique de l’Ouest. Néanmoins, cette volonté de battre une monnaie commune de l’AES risque de se heurter à certaines limites dans une conjoncture économique difficile.

 

Le gouvernement nigérien a indiqué sa volonté de mettre en place une monnaie commune avec le Burkina et le Mali, tous membres de l’Alliance des États du Sahel (AES), le 11 février dernier. Le général Abdourahamane Tiani, chef de la junte nigérienne, a laissé entendre que les trois pays, qui ont affirmé leur volonté de quitter la CEDEAO, réfléchiraient aussi à sortir du franc CFA.

Selon le nouvel homme fort de Niamey, la création de la monnaie sera une étape décisive pour en finir avec la colonisation. Les trois pays dirigés par des juntes militaires sont sur un discours nationaliste, souverainiste et profondément anti-français.

En outre, le maintien du franc CFA qui est toujours adossé à l’euro demeure l’un des symboles de la domination française sur l’économie africaine. Ce lien est vivement contesté dans les milieux intellectuels et d’activistes en Afrique de l’Ouest qui considèrent toujours cette monnaie comme un instrument de l’influence française en Afrique subsaharienne.

En novembre 2023, les ministres de l’Économie et des Finances de l’AES avaient notamment recommandé la création d’un fonds de stabilisation et d’une banque d’investissement. Les trois pays ont déjà acté leur monnaie commune - le sahel, qui devrait entrer en vigueur dans les prochains mois, selon des responsables de l’AES.

Sur les réseaux sociaux, des modèles des futurs billets ont même été proposés, à l'effigie du colonel Assimi Goita, du capitaine Ibrahim Traoré et du général Abdourahmane Tiani.

Toutefois, les chefs de l'AES n'ont donné aucune indication de calendrier. ‘’Au moment opportun, nous déciderons’’, a déclaré, sans plus de précisions, le général Tiani, dimanche soir.

Pour sa part, Ousmane Ndao, directeur de publication du journal ‘’Midi info’’ au Mali, indique que cette décision de monnaie commune de l’AES se veut plus optimiste. ‘’Je crois que la voie tracée par les trois pays va conduire à la mise en place de cette monnaie. C’est une option qui n’est plus à exclure et que les trois pays qui ont longtemps été déçus du comportement de la CEDEAO sont bien décidés à asseoir leur autonomie à travers cette mesure’’, affirme-t-il.

La sortie de l’UEMOA imminente pour les pays de l’AES

Pour l’heure, ces trois pays ont par ailleurs réaffirmé leur maintien au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), dont le Niger, le Burkina Faso et le Mali sont toujours membres. Cet espace monétaire du franc CFA réunit huit pays d’Afrique de l’Ouest sous la direction de la BCEAO. Même si beaucoup de réformes ont été faites dans la gouvernance du franc CFA avec le retrait du représentant français du Conseil d’administration de la BCEAO, le franc CFA est vivement critiqué par les nationalistes africains.

Ainsi, pour créer leur monnaie, les trois pays doivent se départir des différents traités qui les lient à l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA) et à l’Union économique et monétaires ouest-africaine (UEMOA) qui se caractérisent par la reconnaissance d’une même unité monétaire, le franc de la Communauté financière africaine (F CFA) dont l’émission est confiée à la BCEAO et son complément l’UEMOA qui est un espace économique harmonisé et intégré, au sein duquel est assurée une totale liberté de circulation des personnes, des capitaux, des biens, des services et des facteurs de production, créée en 1994.

Cette entité économique, qui a vu le jour au lendemain de la dévaluation du franc CFA, a aussi pour objectif des fondements économiques solides basés sur une convergence accrue des performances des différentes économies de l’union. Mais selon l’article 3 du Traité de l’UMOA, ‘’les États membres s'engagent, sous peine d'exclusion de l'UMOA, à respecter les dispositions du présent traité, du traité de l'UEMOA et des textes pris pour leur application’’.

Or, au regard des dispositions de l’article 4 du Traité de l'UMOA, l'unité monétaire légale des États membres de l'UMOA est le franc de la Communauté financière africaine (F CFA). De ce fait, tout manquement ou tout départ de la zone franc risque d'entraîner une exclusion de l’UMOA qui, de facto, peut entraîner l’exclusion de la zone UEMOA.

Selon l’économiste Meissa Babou, ‘’la création de cette monnaie au sein des pays de l'AES va signer la mort de l'alliance avec l'UEMOA. On ne peut pas avoir une monnaie indépendante du F CFA et rester dans le groupe. Ça, ce n'est pas possible’’, dit-il.

Les limites et les enjeux de la monnaie commune le sahel

Néanmoins, les spécialistes semblent sceptiques concernant la mise en place de la monnaie commune de l’AES, le sahel. D’autant que de l’AES viendrait en concurrence avec la monnaie commune de la CEDEAO (l’éco) dont l’entrée en vigueur est prévue en 2027.

Par ailleurs, une monnaie stable exige des garanties et des fonds de réserve en or. Les énormes réserves minières et énergétiques (or, fer, pétrole) sont exploitées par des multinationales australiennes et chinoises et laissent peu de revenus aux différents États. Et aussi d’autres limites comme l’absence d'infrastructures pour battre monnaie, de systèmes de paiement, un fonds de stabilisation et une banque d'investissement. Les trois pays, qui représentent 70 millions d’habitants et près de 2 millions de mètres carrés, souffrent de l’enclavement, d’une économie fortement déficitaire et de la menace terroriste, auront plus de mal à stabiliser leur monnaie.

Par contre, Meissa Babou soutient que cette monnaie peut être une chance pour ces trois pays sahéliens. ‘’Le franc CFA est difficile pour certains pays comme le Sénégal qui a un modèle économique d’importation. Les trois pays sont dotés d’une forte capacité de production de riz, de coton et de ressources minières. La Banque mondiale a prévu 12 % de croissance pour ces pays, l’année prochaine. À mon avis, il n’y a pas une limite légale et technique qui puisse les empêcher de s’affranchir définitivement de l'UEMOA et de battre monnaie pour une souveraineté pleine et entière’’, soutient-il.

Embouchant la même trompette, Ousmane Ndao soutient que cette décision de créer sa propre monnaie est une stratégie mûrement réfléchie par les juntes. ‘’Le gouvernement malien a organisé diverses rencontres avec des forces vives de la nation, les 5 et 7 février derniers. Une rencontre a été organisée entre le ministre de la Finance et des directeurs de banque. Je pense que les échanges ont été fructueux et que le gouvernement prendra en compte leurs préoccupations’’, révèle-t-il.

La première puissance africaine, le Nigeria, a du mal à stabiliser sa monnaie et connaît des évaluations récurrentes. Cette situation aboutit souvent à des cycles inflationnistes à cause d’une forte dépréciation de sa monnaie, le naira, très dépendant des cours du pétrole et de sa balance de paiement, le plus souvent déficitaire.

MAMADOU MAKHFOUSE NGOM

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