Publié le 22 Mar 2024 - 13:13
OUBLIÉS PAR LA PLUPART DES CANDIDATS DANS LEURS PROGRAMMES

Les acteurs de la culture en rogne exigent une meilleure considération

 

Relégués au second plan par les candidats à la Présidentielle dans leurs programmes, les acteurs culturels tapent sur la table. Lors d’une conférence de presse tenue dans les locaux de la Sodav, ils ont haussé le ton en exigeant plus de considération de la part des autorités. Ils réclament aussi le respect de la loi sur la rémunération de la copie privée.

 

Les acteurs culturels n’apprécient guère l’indifférence des candidats à la Présidentielle à leur égard. Réunis en comité de veille, ils ont tenu une conférence de presse à la Société sénégalaise du droit d'auteur et des droits voisins (Sodav) pour mettre en exergue leur frustration.

Selon eux, ils sont nombreux les candidats qui n’ont pas accordé de l’importance à la culture. ‘’Nous avons eu l’idée d’organiser cette conférence de presse pour taper sur la table pour partager l’agacement que les acteurs ont depuis longtemps par rapport au traitement de la culture dans les politiques publiques’’, a d’emblée lancé la présidente du Conseil d’administration de la Sodav, Ngoné Ndour.

Selon elle, après avoir étudié tous les programmes des candidats, le constat est que la culture est traitée comme un secteur secondaire par la majorité des candidats. À l’en croire, c’est comme si le secteur culturel ne compte pas à leurs yeux. «’’C’est la compréhension qu’on a du traitement de certains candidats. Pour eux, la culture, c’est un secteur qui ne mérite pas de compter sur l’échiquier économique. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes organisés et nous avons demandé au comité de veille d’organiser cette conférence de presse pour en parler. Parce que dimanche, peut-être, on aura un nouveau président, s’il n’y a pas de second tour. Et on voudrait que ce président-là puisse entendre notre voix et qu’on lui dise que nous comptons et que nous sommes des travailleurs’’, a lancé Ngoné Ndour.

Étant de la partie, certains acteurs culturels, à l’instar du chanteur Yoro Ndiaye, ont exhorté les candidats à être plus regardants en ce qui concerne leurs  droits. ‘’Au Sénégal, on ne connaît pas l’immensité de la culture. C’est une source intarissable. Ce n’est pas  comme le pétrole et le gaz. On doit protéger cet acquis. La culture est un grenier énorme d’emplois’’, a rappelé Yoro Ndiaye. ‘’Malheureusement, nos dirigeants ne connaissent toujours pas notre valeur. Ils ne doivent pas attendre que les artistes haussent le ton pour qu’ils se soucient de nous, de nos intérêts’’, a-t-il rappelé.

Pour sa part, l’écrivain et éditeur Seydou Sow trouve anormale cette prise de parole des artistes à la Sodav, à moins de deux jours du scrutin. ‘’Elle ne devrait pas avoir lieu. C’est terrible. On se rend compte que ceux qui aspirent à nous diriger ne connaissent pas la culture. S’ils savaient que la culture est l’identité d’une nation, ils n’allaient pas la reléguer  au second plan. Aucune nation ne se développe sans l’apport de la culture. Donnez à la culture ses lettres de noblesse. On exhorte les candidats à revoir leur copie. La culture traverse tout le développement. C’est notre socle’’, a fustigé Seydou Sow.

Sans gants, Matar Diouf relève que les acteurs culturels ne cessent d’être dupés par les hommes politiques. Pour lui, des candidats se sont rapprochés des artistes en leur promettant monts et merveilles lors des parrainages. En leur promettant des maisons, ils ont invité des acteurs culturels à s’inscrire sur des listes qui, en réalité, étaient destinées à leurs collectes de parrains. ‘’Après, on ne voit pas une place dédiée à la culture dans leurs programmes. Il faut le dire, on n’est pas considéré’’, a-t-il dénoncé.

Toutefois, il reconnaît que certains candidats tels que Diomaye Faye et Dethié Fall ont un programme acceptable, en ce qui concerne le secteur de la culture. S’agissant du candidat Amadou Ba, Matar Diouf soutient que celui-ci n’a pas appris de son prédécesseur.

Ainsi, dans un plaidoyer adressé aux autorités, acteurs culturels et candidats à l’élection présidentielle, ils ont regretté l’absence de la culture dans leurs programmes. ‘’Sur les 19 programmes, nous constatons qu’il n’y a pas de politique culturelle claire proposée par la majeure partie des candidats. Ceci nous fait dire que le secteur de la culture n’est pas une priorité des candidats, alors qu’il constitue l’un des greniers de création d’emplois. La culture, aujourd’hui, surtout en Afrique, est considérée comme un facteur clé de développement. En témoignent les données 2022 de l’IFPI sur le streaming (17 milliards de dollars) qui mettent l’Afrique en tête du peloton mondial, en plus du rayonnement extraordinaire du cinéma africain et des autres formes d’art’’, ont-ils déclaré. Ils invitent, de ce fait, les autorités à accorder une meilleure prise en compte du secteur culturel comme un incontournable levier de développement économique ainsi qu’un respect strict des droits culturels et de la propriété intellectuelle.

En outre, après avoir dénoncé l’usage non autorisé d’œuvres protégées dans les campagnes, ils encouragent les candidats à se pencher sérieusement sur l'élaboration de programmes de politiques culturelles qui valorisent et protègent le patrimoine culturel, tout en jetant les bases d’une industrie culturelle et créative forte et compétitive.

DROITS DES PROPRIETES INTELLECTUELLES ET ARTISTIQUES

Les vérités d’Aliou Bathily, DG de la Sodav

‘’Les droits des propriétés intellectuelles et artistiques constituent la pierre angulaire de  l’industrie culturelle. Parce que quand on parle d’économie de la culture, tout repose en réalité sur la propriété intellectuelle qui matérialise l’appropriation des artistes, de leurs créations. Mais également qui matérialise le respect des prérogatives que la loi leur a reconnues. D’ailleurs, c’est ce qui fait que mon propos sera accès sur cinq points.

Le premier point que je vais aborder, c’est le non-respect du paiement de la redevance par les différents candidats. Je pense qu’il est bien de dire aux Sénégalais que quand nous serons là, nous serons légalistes, les lois et les règlements de ce pays seront respectés. Mais dès l’entame, au moment même de chercher des voix, on piétine des lois et règlements qui ont un caractère fondamental.  Parce que la propriété intellectuelle relève des droits humains, car  étant stipulée dans la Déclaration des droits universels des Droits de l’homme d’octobre 1948 dans son article 27.

Comment peut-on déjà, en allant en quête d’électorat, piétiner des droits aussi fondamentaux et aussi sacrés que le droit de propriété intellectuelle ? Alors qu’on sait pourtant que chaque candidat a son artiste. Il faut qu’on se le dise. Pendant la campagne, comme on a eu a constaté, chaque régime qui est passé a eu ses artistes. De Senghor à Macky Sall. Et celui qui viendra ne va pas déroger à cette règle. Alors, est-ce qu’on doit juste utiliser les artistes pour aller en quête de voix ? Le fait de demander l’autorisation, je pense, aurait été un acte élégant, républicain, pour un candidat. Se rapprocher de la Sodav est un préalable. L’autorisation est un préalable. Il faut la chercher avant d’exploiter. Ce que je dis, ce n’est pas mon opinion, mais c’est la loi 2008 qui une loi de la République qui le stipule.

Le deuxième point porte sur la mise en œuvre effective de toutes les prérogatives reconnues par la loi de 2008 et de ces prérogatives, je ne dirais pas que tout n’a pas été mis en œuvre, mais la prérogative la plus importante n’a pas été mise en œuvre. Et c’est quoi cette prérogative ? C’est la copie privée. On a eu à berner les artistes, on a eu à berner les bénéficiaires dans des instances où on leur disait publiquement oui, ça sera fait. Rien n’a encore été fait. Pourtant, le Sénégal constitue la source où tous les pays de la sous-région viennent s’abreuver en la matière, pour ensuite retourner avec le savoir-faire du Sénégal en matière de copie privée pour aller implanter ça chez eux et enrichir leurs titulaires de droit.

Ceux qui partent ne l’ont pas fait. Espérons que ceux qui viendront auront la haute conscience que s’ils veulent rendre service au secteur culturel, le premier acte à poser sera de rendre effective la rémunération pour copie privée. Encore que la rémunération pour copie privée est si importante que l’UEMOA en a fait son affaire et a pris une directive allant dans ce sens-là avec un caractère très contraignant pour les États membres.

Donc, j’espère que celui qui viendra comprendra que le premier acte qu’il devra poser dans le secteur de la culture sera de donner aux acteurs culturels leur dû.

Le troisième aspect porte sur le respect des paiements des redevances. Au Sénégal, on a un agenda culturel très fourni. Mais en tant que directeur de la Sodav, je le dis, aucun événement de cet agenda culturel officiel ne respecte le paiement de la redevance. Finalement, quand tu te rapproches des organisateurs, on te fuit, alors que tu es là pour faire ton travail. Tu es là pour réclamer le dû des artistes. Ça aussi, dans cette nouvelle politique culturelle, dans cette vision culturelle, je pense que c’est quelque chose de fondamental qu’il faudra respecter.

En quatrième point, je parlerai d’autorisation préalable, parce que récemment, en fin de semaine, il y a eu un quotidien de la place avec qui j’ai fait une interview. On a largement discuté de cela. Vous savez, même si c’est pour ton candidat, même si c’est un candidat qui demande qu’on lui compose des chansons, je pense qu’il faudra veiller, même si ça doit être un remix, un arrangement, une œuvre dérivée, que l’autorisation du titulaire originel de l’œuvre puisse être obtenue. C’est pour éviter des contentieux futurs et à la base, parce que vous ne pouvez pas arracher l’œuvre d’une personne en faire ce que vous voulez au-delà de l’aspect économique.  Qu’est-ce qui vous dit que ce que vous utilisez est conforme à la vision de l’auteur de l’œuvre originale ? Parce que c’est un aspect de droit moral. Les artistes ont un droit moral. C’est pour ça que l’autorisation est importante. Beaucoup d’artistes ont eu à se plaindre, ces dernières années, lors des campagnes  électorales, sur de pareilles questions.

 Enfin, je dirais une meilleure articulation entre le secteur culturel et les acteurs du numérique dans un cadre régulé, réglementé et gagnant-gagnant, parce que ce qu’on a constaté, c’est qu’au Sénégal comme dans beaucoup de pays d’Afrique, les gens viennent, exploitent comme dans un monde de non-droit, s’enrichissent du répertoire africain sans payer ce qu’ils devraient. Est-ce que cette situation va continuer ? Est-ce que les gouvernants prendront en compte ces enjeux ? C’est des choses sur lesquelles le futur régime devra  réfléchir à fond. Parce qu’ailleurs, en Hexagone, les États sont si forts et si regardants de leur patrimoine culturel que c’est au-delà même des aspects paiement propriété intellectuelle. Ils consentent à injecter un pourcentage de leur chiffre d’affaires réalisé sur place pour développer les industries culturelles et créatives.’’

MAGUETTE NDAO

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