Publié le 6 Mar 2024 - 14:05
ADHÉSION DU SÉNÉGAL AU FORUM DES PAYS EXPORTATEURS DE GAZ

Le nouvel ‘’Eldorado’’ gazier en puissance  

 

Le Sénégal, qui vient de rejoindre le Forum des pays exportateurs de gaz (GECF) comme État observateur, entend s’imposer comme un hub gazier incontournable en Afrique subsaharienne.

 

Le Sénégal ambitionne de devenir un hub gazier en Afrique subsaharienne. Il vient d'acquérir le statut de membre observateur du Forum des pays exportateurs de gaz (GECF). ‘’Le Sénégal, qui doit exporter ses premiers mètres cubes de gaz naturel dans le deuxième semestre de cette année, franchit une nouvelle étape vers une exploitation responsable de ses ressources naturelles au profit des populations", souligne le ministère dans un communiqué publié à l'issue d'une réunion ministérielle à Alger entre les différents pays membres de cette organisation. 

L’organisation compte 20 pays avec 12 pays membres (Algérie, Égypte, Russie, Qatar...) et huit pays membres observateurs (Angola, Mauritanie, Pérou...). Ces pays représentent 70 % des réserves mondiales prouvées de gaz et 51 % des exportations mondiales de gaz naturel liquéfié (GNL).

D’après Mamadou Faye, ancien directeur général de Pétrole du Sénégal (Petrosen), les ressources en gaz du Sénégal sont estimées à 1120 milliards de mètres cubes pour quatre gisements, dont l’un (Grand Tortue Ahmeyin – GTA) avec une capacité de 560 milliards de mètres cubes en cogestion avec la Mauritanie, ainsi que le champ gazier offshore de Yakaar-Teranga dont les réserves sont estimées à 854 milliards de mètres cubes.

Des découvertes qui en font l’un des pays africains les plus importants en matière de ressources gazières prouvées, derrière l’Algérie, le Nigeria et l’Égypte. 

Cette adhésion va positionner un peu plus notre pays comme l’un des plus importants centres de production, surtout depuis l’adhésion du Sénégal au projet de gazoduc NMGP (Nigeria Morocco Gas Pipeline) qui doit relier le Nigeria et le Maroc. Ce gazoduc, dont le premier tronçon doit relier les champs gaziers du Sénégal et de la Mauritanie au Gazoduc Maghreb Europe (GME) déjà fonctionnel, devrait entrer en service en 2028.

Ce projet gazier va permettre au Sénégal d’être l’un des plus grands exportateurs de gaz en Europe, dans les prochaines années, surtout que les sanctions de l’Union européenne contre le gaz russe semblent ouvrir le marché au gaz africain.

Les récentes visites du président polonais Andrzej Duda et du chancelier allemand Olaf Scholz sont la preuve de l’intérêt croissant de l’Europe pour les ressources énergétiques de l’Afrique subsaharienne, notamment sur le secteur gazier.

De ce fait, le Sénégal pourrait ainsi multiplier fortement ses volumes d’exportation de gaz vers le vieux continent et peut-être vers le Maroc.

Une situation qui devrait renforcer les investissements étrangers pour la production et l’exploitation et des champs gaziers sénégalais.

Selon le nouveau ministre de l’Énergie Antoine Félix Diome, le taux d’exécution du champ gazier GTA est à 92 % avec les premiers mètres cubes attendus entre mai et juillet 2024. Et d’après le ministre, le retrait de la compagnie britannique British Petrolium de Kayar offshore profonde ne remet pas en cause la volonté de l’État de faire de ce champ gazier le pilier de la production énergétique au Sénégal à partir du gaz : le Gas to power, afin de stimuler l’industrialisation du pays. 

Le Sénégal dans le viseur des pays du Brics+

Ce positionnement pourrait aussi renforcer la candidature du Sénégal pour le groupe des Brics qui a récemment accueilli des pays exportateurs de pétrole que sont Arabie saoudite, Iran, Émirats arabes unis (EAU). Ces entrées permettent aux Brics+ de prendre le contrôle des plus grands gisements de pétrole et de gaz dans le monde et des immenses réserves de pétrodollars.  Des géants gaziers comme le Qatar, le Nigeria et l’Algérie continuent aussi de frapper à la porte du groupe des Brics+. 

Pour développer son parc gazier, le Sénégal pourrait aussi tenter de se lancer sur le marché du gaz naturel liquéfié (GNL) en se dotant de plus d’équipements de liquéfaction et des parcs de méthaniers bateaux transportant le gaz pour conquérir les marchés asiatiques très friands en GNL. Un moyen d’assurer des revenus supplémentaires pour l’exploitation gazière.

Pour rappel, le projet de gazoduc Nigeria-Maroc (NMGP), long de 6 000 km, d'un montant de 25 milliards de dollars, fournira 5 000 milliards de mètres cubes de gaz naturel le long de la côte ouest-africaine et va traverser plusieurs pays, dont le Bénin, le Togo, le Ghana, la Côte d'Ivoire, le Liberia, la Sierra Leone, la Guinée-Bissau, la Gambie, le Sénégal et la Mauritanie jusqu'au Maroc.  À terme, le gazoduc pourrait aussi approvisionner le marché européen.

Pour le moment, hormis les 45 millions de dollars proposés par la Banque islamique de développement et les 13 millions par le fonds de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et la Russie pour le développement international (Fodi), afin de financer une partie de l’étude d’ingénierie préliminaire (Feed, phase II) à la faveur du gazoduc Nigeria-Maroc, les promoteurs de ce gazoduc sont à la recherche d’investisseurs pour sa complète réalisation.

La guerre des gazoducs au cœur des rivalités géostratégiques entre le Maroc et l’Algérie

Néanmoins, ce projet de gazoduc doit entrer en concurrence avec l’autre projet de gazoduc transsaharien (TSGP), long de plus de 4 000 km, afin de transporter le gaz nigérien vers l'Europe via le Niger et l'Algérie. Ce gazoduc doit permettre d’acheminer 30 milliards de mètres cubes de GNL depuis le Nigeria et le Niger jusqu’en Algérie. Fin juillet 2022, les ministres de l'Énergie algérien et nigérien ont signé un protocole d'accord pour concrétiser un mégaprojet. Aucune date n'a été donnée pour l'achèvement du transsaharien.

En outre, les récentes tensions entre le Nigeria et le Niger, à la suite du coup d’État contre Mohamed Bazoum, ainsi que les sanctions de la CEDEAO contre le Niger, pourraient retarder sa mise en œuvre.

Ainsi, dans cette guerre des gazoducs, le Maroc entend sortir de sa dépendance algérienne en matière de fourniture de gaz. La crise entre les deux pays du Maghreb concernant le dossier sahraoui a culminé avec la rupture de leurs relations diplomatiques en août 2021, à l'initiative d'Alger. Suite à cette rupture, l'Algérie a privé Rabat de son gaz en fermant en octobre le gazoduc Maghreb-Europe (GME) transportant le gaz algérien vers l'Espagne et transitant par le Maroc.

Depuis lors, Rabat cherche à diversifier son approvisionnement en gaz. Ces deux mégaprojets longtemps jugés irréalisables bénéficient de la crise énergétique qu’a provoquée l’invasion russe de l’Ukraine. Le Maroc, l’Algérie et le Nigeria veulent se positionner comme représentant la meilleure alternative pour approvisionner l’Europe en gaz, au moment où cette dernière vient de renoncer à son principal fournisseur en gaz :  la Russie.

 

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