Le Snowden de la Dgid ?
Pour les uns, il est un homme courageux, un lanceur d’alerte, un convaincu. Pour les autres, il n’est ni plus ni moins qu’un agitateur, un type à la recherche de notoriété. Pour ou contre lui, mais jamais indifférent. Depuis quelques semaines, Ousmane Sonko, cet inspecteur des Impôts et Domaines, leader du parti Pastef, est devenu un incontournable, tant ses sorties sont fracassantes. EnQuête vous fait découvrir un monsieur qui, il y a quelques années seulement, était pourtant à mille lieux de la politique, activité pour laquelle il avait une aversion totale.
En ces temps-ci, il est sans doute l’un des acteurs les mieux cotés à la bourse politique du Sénégal. Ses sorties font l’objet de réactions à tous les niveaux, les unes très laudatives à son endroit, les autres plus que virulentes à son encontre. Ce qui lui a valu une notoriété à la vitesse d’un Tgv. En l’espace de quelques mois, le leader de la formation politique Patriote du Sénégal pour le travail et la fraternité (Pastef) est devenu une personnalité très en vue. Et maintenant, il est parti pour devenir un martyr. Ousmane Sonko est un inspecteur des Impôts et Domaines. Disons un ex-inspecteur, puisqu’il a été suspendu de ses fonctions depuis mardi dernier par la Direction générale des Impôts et Domaines. Le ministère de l’Economie a instruit contre lui une procédure disciplinaire suite à une série de révélations sur de supposés scandales d’Etat.
Le leader de la formation politique Patriote du Sénégal pour le travail et la fraternité (Pastef) n’est pas seulement un politicien de plus. Il est surtout un casse-tête pour le pouvoir en place. Il divulgue, persiste et signe. Il provoque aussi. Après sa suspension, il s’est rendu le matin à son bureau comme il l’avait promis. Assis sur un fauteuil douillet au milieu de son bureau, il se prend en photo ‘’attendant le lion qui dort’’.
Sonko sait qu’il peut compter sur une large frange de la société. Hommes politiques, organisation de défense de la transparence ou simple citoyen, beaucoup lui ont manifesté leur solidarité, sans compter la sympathie dont il bénéficie. D’autres par contre le qualifient d’activiste qui foule au pied le devoir de réserve d’un fonctionnaire pour asseoir sa notoriété. Adulé d’une part et méprisé de l’autre, cet homme était pourtant un illustre inconnu il y a deux ans. Certes, il a eu à diriger le Syndicat des Impôts et Domaines et y a mené des combats contre les plus hautes autorités de l’Etat, mais cela n’a pas fait de lui quelqu’un dont le nom frappait l’imaginaire de l’opinion publique.
D’ailleurs lui-même le reconnaît. Lorsqu’il est entré en politique en 2014, l’un des premiers obstacles de son parti a été l’accès aux médias. ‘’Ici au Sénégal, les médias ne vous prennent que quand vous êtes célèbres. En France, les journalistes se glorifient d’avoir accordé la première interview à un acteur peu connu de son domaine. Mais ici, il faut avoir la notoriété pour accéder aux médias’’. Mais ça, c’est le temps des souvenirs.
Discours axé sur la fiscalité et la politique économique
Désormais, celui qui a débuté sa carrière au Centre des services fiscaux de Pikine-Guédiawaye n’a plus un problème d’accès aux canaux de communication de masse. Au contraire, il est devenu omniprésent sur les plateaux de télés et studios de radios. Ses propos remplissent chaque semaine les colonnes des journaux. Il est surtout à la une. Ses sorties sous forme de conférence de presse ou autres sont courues par les journalistes. Auditeur interne à la direction du Contrôle interne de la Dgid, le point fort de Sonko est d’avoir axé son discours sur ce qu’il connaît le mieux, la fiscalité en particulier, et la politique économique de façon générale. Ses propos sont toujours argumentés. ‘’Il n’est pas mû par une volonté de nuire. Il cherche à dire la vérité. Et il sera difficile de le contredire’’, prévient Birame Souley Diop, administrateur du Pastef.
Né à Thiès en 1974, cet enfant du Sud est issu d’un mariage métissé. Sa mère originaire du Ndiambour (région de Louga) et son père, fils de la Casamance, sont tous les deux des fonctionnaires. Entre Sonko adulte et le môme d’alors, il y a des traits qui sont restés les mêmes : le tempérament notamment. L’enfant terrible a fait ses humanités à Ziguinchor. Période pendant laquelle il était difficile à contrôler, à la fois à l’école et à la maison. Aujourd’hui encore, Ousmane se signale à nouveau. Dans un milieu dominé par l’argent et où le bruit n’est pas très apprécié, son indiscrétion citoyenne n’est pas la meilleure des qualités. Qu’importe ! Il n’entend pas changer. Ce monsieur qualifié de nerveux et spontané n’a pas pour habitude de chercher des compagnons avant de s’engager. ‘’Quand il est convaincu d’une bonne action, il n’attend personne. Ce qui le fait apparaître souvent comme un loup solitaire’’, témoigne une source.
Après le baccalauréat en 1993, ce pur produit de l’école publique a déposé ses baluchons à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Il en sortira avec une maîtrise en Sciences juridiques (option droit public). C’est là qu’il rencontre d’ailleurs Birame Souley Diop. Ensemble, ils ont pratiqué les arts martiaux, précisément le karaté. ‘’En 1997, il était ceinture verte. Il a continué après’’, souligne M. Diop. Mais ce n’est pas la seule discipline qu’il a titillée. Amoureux du sport et doté d’un physique d’athlète, il a aussi touché au football, à la gymnastique et au basket.
Un mépris souverain à l’encontre de la politique
Teint noir, taille moyenne, la mise toujours bien soignée, l’homme à la barbichette présente une tête généralement rasée, sans doute pour dissimuler sa calvitie. Ousmane Sonko, acteur politique ? Quelle surprise ! Qui dans l’entourage familiale pourrait se douter qu’un jour ce gamin glisserait sur ce terrain miné. Son défunt père n’en croirait pas ses oreilles s’il apprenait que son fils non seulement est un des acteurs, mais surtout qu’il est leader de parti. Le pater, socialiste convaincu, avait vu son descendant avoir un mépris souverain à l’encontre de la chose politique. ‘’Je détestais tellement la politique que même lorsque le débat virait à la politique, je me levais et je m’en allais’’, confiait-il à nos confrères du journal L’As. L’élève qu’il fut n’a même pas voulu être membre d’une quelconque association. Il dit même avoir demandé plusieurs fois à son papa de cesser ses activités politiques.
Un adage bien africain dit qu’un vieux sous un arbre peut voir plus loin que l’enfant qui est à la cime. Le père a aujourd’hui raison sur son fils qui a été obligé de faire son mea culpa. Reste à savoir ce qui a conduit Sonko sur ce champ de bataille où les motivations sont plus personnelles que collectives. Il a emprunté la passerelle naturelle, est-on tenté de dire ; c'est-à-dire, celle qui, au Sénégal, relie le syndicalisme à la politique. En fait, sorti de l’Ecole nationale d’administration (Ena) en 2001, monsieur Sonko se rend compte très vite de la précarité dans laquelle vivent les agents de la Dgid. ‘’Pendant longtemps, les gens travaillaient jusqu’à la retraite sans avoir une maison. On n’avait aucune faveur. Lui il a dit, puisqu’on affecte les terres à des Sénégalais, pourquoi pas en faire bénéficier à ceux-là même qui y travaillent’’, rappelle un interlocuteur.
Sonko lui-même dit avoir connu des difficultés financières pendant que des milliards lui passaient sous le nez. Et au même moment, les propositions de corruption se multipliaient. Il fallait donc faire un choix : accepter d’empocher les sommes indues ou alors se battre pour améliorer son quotidien tout en évitant d’encaisser les espèces illicites. Il choisit le combat.
La création d’un syndicat en 2005, dans une administration où il n’était pas question de laisser une certaine liberté aux agents, porte sa signature. Une bataille âpre sera donc menée pour la reconnaissance, car le patron de la Dgid Amadou Ba, les ministres de l’Economie Abdoulaye Diop et du Budget Cheikh Haguibou Soumaré ainsi que le Premier ministre Macky Sall s’y étaient tous opposés. L’ancien argentier de l’Etat avait même promis de ne jamais recevoir le syndicat. Il a tenu promesse.
Mais cette hostilité de la tête de l’exécutif n’a pas découragé Sonko. Au contraire ! De ce combat syndical est née une nouvelle vocation. Le syndicaliste déclare avoir beaucoup appris et découvert. Il décide alors de s’engager davantage. Ses camarades et lui disent avoir longtemps réfléchi sur la forme de leur organisation. Voyant que les mouvements et organisations apolitiques ont les inconvénients d’un parti sans en avoir les avantages, ils ont opté pour le second.
Mais surtout pas pour pactiser avec le diable, du moins jusqu’ici. ‘’(…) Le triste spectacle qu’offrait, et qu’offre encore l’élite politique, la même depuis plus de quarante ans, nous interdisait de rejoindre l’un de ces parti dits ‘’grands’’ et que nous confondons tous dans la même médiocrité qui nous a valu tout ce retard’’, peste-t-il dans une interview. Plus loin, il renchérit : ‘’Toute la frange la plus visible de la classe politique sénégalaise obéit au même rejet de notre part, fondé sur un examen minutieux des comportements, actes et positions. Voyez, au-delà de la mascarade des oppositions ‘’idéologiques’’, nous avons au Sénégal la reproduction des mêmes systèmes qui aboutissent aux mêmes résultats’’. C’est ainsi que le Pastef se définit comme une opposition radicale. Il lui a fallu attendre un an et quelques mois pour enfin avoir son récépissé.
Le duel à la Dgid
Considéré comme un adversaire personnel du ministre de l’Economie Amadou Ba, Sonko dégage en touche. Il dit même être un ami de l’ancien patron de la DGID qui, selon lui, le proclame partout. Sonko soutient même que son patron lui a demandé plusieurs fois de lui dire où est-ce qu’il veut aller, mais il a toujours décliné. ‘’Il n’a aucun adversaire, il n’est l’adversaire de personne. Il respecte le ministre Amadou Ba qui est l’autorité de tutelle. Mais quand il n’est pas d’accord, il le dit’’, déclare un proche collaborateur. Le concerné confirme. ‘’Je n’ai jamais formulé de critiques personnelles visant Amadou Ba. Je critique la politique économique et financière du pays’’, se défend-il dans l’As.
Alors qu’il accuse l’Etat, certains de ses collègues aussi l’accusent de se servir du syndicat des Impôts et Domaines pour assouvir ses désirs politiques. Ses adversaires brandissent comme argument la ressemblance qui existe entre le bureau du Pastef et celui du syndicat, deux entités qui, selon eux, fonctionnent comme deux vases communicants. Ce qui est sûr, c’est que la Dgid est un enjeu de pouvoir d’influence et de pression. Car, comme le dit Sonko lui-même, c’est la direction où il y a l’impôt et les terres, donc le pouvoir réel.
Mais, ‘’si tant est qu’il était soucieux d’un objectif citoyen plutôt que de son héroïsme personnel, l’inspecteur Ousmane Sonko aurait pu communiquer ses informations à un ou à des journalistes et rester dans l’anonymat, peut-être frustrant, mais capable de porter des résultats aussi efficaces que si l’informateur avait agi à visage découvert’’, croit savoir le journaliste Jean Meissa Diop. C’est dire que le leader de Pastef est loin de faire l’unanimité et ils sont nombreux à penser qu’il a eu tort d’agir de la sorte. D’ailleurs, de l’avis de certains observateurs, Ousmane Sonko ‘’n’est qu’un manipulateur à la recherche du Buzz voire de la notoriété’’. Qu’à cela ne tienne, le leader de Pastef en a entendu des vertes et des pas mûres.
Assez posé et le débit moyen, cet amoureux du plat traditionnel diola ‘’étiodia’’ est aussi un pratiquant qui observe les prescriptions de l’islam. Marié, il est le père de 6 enfants. Mais le chemin de son cœur n’est pas fermé pour autant. ‘’Je suis musulman, si Dieu me donne 4, je prends’’, dit-il. Reste à savoir si ce nouveau ‘’samaritain’’ pourra garder la chasteté politique qu’il revendique. Et surtout s’il pourra un jour transformer le capital sympathie dont il bénéficie en une force électorale.
BABACAR WILLANE